FYI.

This story is over 5 years old.

Stuff

Dans le cerveau d’une épileptique

Il m'est arrivé de m'asseoir sur le sol d'un musée, d'enlever mes chaussures et de vider l'intégralité de mon sac – sans avoir le moindre souvenir de cet événement.

Illustration : Marta Parszeniew

Je suis épileptique. J'étais incapable de l'admettre il y a dix ans. Je pensais que la maladie disparaîtrait par elle-même, comme c'est le cas chez certains enfants. Aujourd'hui, c'est devenu un sujet de conversation comme un autre. Quand je prononce une phrase banale comme « Je ne peux pas conduire », mon interlocuteur me répondra : « Pourquoi ? T'as la flemme ? » Ce à quoi je réponds : « Non, je suis épileptique. » À ce stade de la discussion, la personne avec laquelle je discute me trouve généralement et subitement digne d'intérêt. « Et ça t'arrive souvent ? »

Publicité

Par « ça », entendez « crise ». On pense toujours que l'épilepsie se résume à de simples crises. Je préfère parler d'attaques. Je répète alors que mes « attaques » ne sont pas régulières et que je parviens à les maîtriser grâce aux médicaments. Ils sont rassurés de savoir que la fille qu'ils viennent juste de rencontrer à une soirée ne va pas finir étalée sur le sol, le corps en proie à de violentes convulsions.

Les attaques ne sont pas les seuls symptômes de l'épilepsie. Il y a aussi tout ce que l'on appelle les crises d'épilepsie partielles complexes (ou épilepsie psychomotrice). Dans les faits, vous pensez être totalement conscient de vos actes – alors que vous ignorez complètement ce que vous êtes en train de faire. Une fois, il m'est arrivé de m'assoir sur le sol du musée d'art moderne de Dublin, d'enlever mes chaussures et de vider l'intégralité de mon sac. Mon copain filmait l'exposition, et a donc pu capturer cet instant avec sa caméra. Je ne me souvenais de rien.

Parfois, les évènements prennent une tournure étrange. Plus tôt dans l'année, j'occupais un poste de prof d'anglais. J'avais déjà enseigné en Espagne et au Vietnam, mais c'était mon tout premier job depuis mon retour au Royaume-Uni. Un jour, j'étais en classe avec des étudiants âgés d'une vingtaine d'années. J'ai enlevé mes chaussures avant de déboutonner les deux premiers boutons de ma chemise. Heureusement, je portais un débardeur en-dessous. Après le cours, je me suis rendue dans la salle des profs et j'ai dit que je ne trouvais plus mes chaussures. Un collègue m'a accompagnée dans ma salle, où nous les avons retrouvées.

Publicité

Tous les jours, sans même y penser, nous faisons ces gestes : vider notre sac, enlever nos chaussures ou déboutonner notre chemise – mais les gens le font lorsque c'est nécessaire et dans des lieux appropriés. Cette capacité à effectuer de simples tâches inconsciemment est, dans un sens, fascinante, mais aussi effrayante lorsque vous en êtes l'auteure.

Mon épilepsie psychomotrice ou mes « crises d'absence » sont récemment devenues de plus en plus régulières. Inutile de vous dire que je traverse une période difficile de ma vie. J'ai perdu mon emploi – je n'aimais pas l'enseignement et ça se voyait. C'est un soulagement de ne plus enseigner. Désormais, je n'ai plus d'argent et je passe trop de temps seule dans mon appartement.

Ma sœur m'a rendu visite il y quelques semaines. Apparemment, je me suis brutalement mise à paniquer et lui ai demandé où était passés « tous les autres ». Elle a tenté de me rassurer – elle m'a dit que nous étions seules dans l'appartement, depuis le début. J'étais impassible, je commençais à compter le nombre de vestes dans l'entrée. « C'est ma veste, et celle-là aussi », ai-je répondu dans le vide.

Elle a essayé de me calmer en me montrant un de mes dessins réalisés lors du cours d'art auquel je m'étais rendue ce soir-là. « C'est toi qui l'a fait ? », me demanda-t-elle. « Je n'ai jamais vu ce truc de ma vie », lui ai-je répondu. Plus tard, ma sœur m'a demandé comment je faisais pour ne pas m'inquiéter à l'idée d'entrer dans des états de rage. On peut voir le fait d'inventorier des vestes et croire que des gens se trouvent dans votre appartement comme une forme de folie, mais c'est aussi le symptôme rationnel d'un cerveau incontestablement obstrué par d'autres pensées.

Publicité

La majorité des gens aiment à penser qu'ils contrôlent leurs actions. Savoir que je n'ai pas la capacité de contrôler toutes les miennes a eu un impact négatif sur mes relations amoureuses et ma carrière. Je n'arrive pas à avoir confiance en moi et aux autres.

On m'avait diagnostiqué une épilepsie myoclonique juvénile, ce qui veut dire que je n'ai pas eu de crise généralisée – cette période pendant laquelle l'énergie électrique balaye votre cerveau et provoque des convulsions – avant l'âge de 16 ans. Avant ça, je n'avais jamais eu le moindre épisode d'absence. Je suis allée à l'université en pensant que j'étais guérie – ça faisait longtemps que je n'avais pas eu de crise. J'ai eu une phase de stress intense après ma deuxième année d'études, quand je devais chercher un logement. J'ai fait deux attaques généralisées en un week-end. Tout s'est passé devant mes nouveaux potes de l'université, que je connaissais à peine. J'ai vraiment perdu confiance en moi, j'étais mal à l'aise et persuadée qu'ils me prenaient pour une folle.

J'ai commencé à fumer beaucoup de weed, ce qui ne m'a pas aidé avec ma paranoïa. Je me suis aussi mise à prendre du Tegretol Retard, un médicament à destination des épileptiques enclins à des crises régulières. Ce truc m'endormait complètement. Maintenant, je prends du Lavetiracetam, qui correspond parfaitement à mon type d'épilepsie. Ça fait un an que je n'ai pas eu de crise. Je ne devrais pas boire ou prendre de drogue mais je craque parfois, même si je sais que c'est totalement irresponsable.

J'ai toujours du mal avec cette étiquette d'épileptique. Je n'arrive pas à savoir si je dois cocher la petite case « oui » lorsque je remplis un formulaire. « Souffrez-vous d'un handicap ? » Je ne sais pas. Mon handicap n'est pas visible. Encore faut-il le considérer comme tel. Il occupe cette dimension étrange partagée entre le trouble mental et physique.

La maladie mentale et l'épilepsie sont intrinsèquement liées – j'ai parfois de vifs sentiments de peur et de panique. Une fois, j'étais dans le bus pour me rendre à mon travail. Ça faisait un mois que je travaillais là-bas. Tout à coup, j'ai été prise d'un élan de peur. J'ai alors téléphoné à ma sœur et lui ai demandé : « Sais-tu pourquoi je me trouve dans un bus en direction de Northenden ? » Impossible de m'en souvenir. « Tu travailles là-bas, m'a-t-elle répondu. Tu devrais peut-être descendre du bus et t'asseoir. »

Forcément, cette petite chose en moi qui me pousse à faire des choses étranges et inappropriées crée une distance entre moi et les gens « normaux ». Malgré tout, en vieillissant, je me préoccupe de moins en moins de ce que pensent les autres. Je serai toujours épileptique. Je l'accepte et je sais que je dois vivre avec. Je me sens moins honteuse. J'ai mis beaucoup de temps à comprendre que cette maladie affecte certes ma vie mais ne définit pas pour autant mon identité.