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Politique

Brexit, Trump et bientôt Le Pen? Gare au vote anti-élites!

La victoire de Trump est aussi la défaite de tous ceux qui ont refusé de voir jusqu'au bout que le milliardaire américain a bâti sa victoire sur le rejet d'une élite politico-médiatique et la promesse d'un retour à la dignité sociale et culturelle pour les classes moyennes et populaires. 

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Donald Trump et Marine Le Pen

Donald Trump et Marine Le Pen

(c) AFP

Après le Brexit, Trump. Et après Trump? Sarkozy? Le Pen? Et même, pourquoi pas, Macron? Tout est possible désormais, puisqu’il est acquis que la vague du rejet des élites traditionnelles au pouvoir, incapables de protéger les classes populaires de leurs nations respectives des effets néfastes de la mondialisation, est la tendance de l’époque. Trump n’a pas gagné en se faisant l’ardent avocat des valeurs républicaines américaines traditionnelles, patrie, famille, sécurité, mais sur la défense sociale du travail et de l’emploi, le tout placé sous les auspices de la restauration d’une certaine forme de dignité sociale et culturelle.

Tandis qu’Hilary Clinton s’affichait avec le tout Hollywood, de George Clooney à Bruce Springsteen, Donald Trump parlait à l’Amérique industrieuse et besogneuse en proie au déclassement social. Soit le même genre d’électorat qui a voté au Royaume-Uni pour le Brexit. CQFD.

Le camp français du cercle de la raison s’est trompé sur l’Amérique, comme il s’était déjà trompé sur l’Angleterre. La raison n’a que peu d’influence sur le sentiment d’abandon, de déclassement, de perte de dignité sociale et la colère qu’il nourrit, cette volonté de revanche, voire de vengeance. A force de ne pas entendre la demande de protection, de verticalité rassurante, les élites mondialisées et européistes ont perdu le fil du peuple. La cassure est nette. Et partout constatée dans les démocraties occidentales. Podemos et Syriza sont sans aucun doute des mouvements de gauche, mais ce qui a présidé à leur avènement procède des mêmes mécanismes que ce qui a produit Trump aux Etats-Unis.

Le sociétal renversé par le social

Comme il était révélateur, ce mercredi matin, le débat entre deux partisans de Clinton et Trump organisé sur l’antenne de BFMTV : le premier parlait de la défense de ses amis LGBT, noirs et artistes, livrés à l’Amérique des beaufs, le second plaidait la cause des ouvriers, employés et "lower middle class", que les élites démocrates avaient négligé… Le sociétal venait d’être renversé par le social, et le démocrate clintonien continuait de s’y accrocher.

Pire encore, les instituts de sondage américains, qui n’ont donc fait guère de progrès depuis 1948, se sont trompés jusqu’au bout, qui toujours ont annoncé la victoire de Clinton, contribuant à entretenir l’illusion, via les médias les diffusant à haute intensité, que la victoire de Trump était impossible. Ils n’ont pas vu que dans les tréfonds de l’opinion américaine se dissimulait un vote Trump en gestation. Un vote caché, voire honteux (comment avouer à un sondeur que l’on vote Trump quand tous les Yann Barthès de la télévision américaine, Jimmy Fallon en tête, vous culpabilisent à longueur d’antenne) mais un vote déterminé qui, le moment venu, a offert à Trump une victoire imparable.

On résume les causes du succès Trump : mépris du social au profit du sociétal, déconnexion de la réalité des sentiments du peuple en proie au désespoir social, illusion de la classe politico-médiatique supérieure confiante en la raison et opinion stratège qui sait avancer masquée pour mieux frapper son élite discréditée au cœur, dès que l’on fait le bilan, surgit l’inévitable question: aujourd’hui l’Amérique, et demain la France?

 

Prochaine étape électorale, la France

Commençons par les sondages, qui nous prédisent aujourd’hui l’inéluctable victoire, tant à la Primaire qu’à l’élection présidentielle, d’Alain Juppé. Que valent ces enquêtes qui tous les jours proclament l’avènement du président Juppé? On a déjà dit ici, sur Challenges.fr, que dès que l’on se penche sur la dimension qualitative de ces enquêtes, la prudence s’impose.

Il faut en effet dépasser la seule livraison quantitative des chaines d’information continue. Un chiffre parmi tant d’autres: si l’on en croit une récente enquête CEVIPOF ( réalisée sur un échantillon de 14.000 personnes, donc plus sérieuse qu’un sondage portant sur 625 individus) seuls 39% de ceux qui déclarent avoir l’intention de voter en faveur de M. Juppé le justifient « par adhésion à ce candidat », alors que cette même raison est avancée par 62% de ceux qui se déclarent prêts à voter Sarkozy. Voilà qui introduit un peu de relativité dans ce monde de sondages enrobé de certitude, non?

De même, revenons un instant sur le chœur des commentateurs qui, dans la foulée du deuxième débat de la Primaire, considérait qu'avait été démontrée la vacuité de la stratégie Sarkozy destinée à faire de Bayrou l’ennemi idéal. "Rendez-vous compte" disaient-ils, "il a été seul à persister, quel isolement!"… Très bien, Sarkozy est nul… Sauf que si l’on en croit une donnée qualitative recueillie par le dernier baromètre Paris-Match Ifop, voici que la popularité de Bayrou chute lourdement dans l’électorat de la droite, tandis que celles de Nicolas Sarkozy et François Fillon se redressent spectaculairement au sein de ce même électorat. encore un peu de relativité dans ce monde de certitude...

Ainsi va le choeur politico-médiatique. Quand Nicolas Sarkozy parle frites en République, les élites clintoniennes à la française se gaussent, comme se gaussaient les élites démocrates américaines des sorties de Trump sur le Mexique…Et à la fin, c'est Trump qui gagne...

Chacun dans leur genre, Sarkozy, et même Fillon, s’adressent au cœur de cible de la droite, où la question sociale le dispute à la question identitaire. Ils parlent à un électorat Trump à la française, qui commande de parler insécurité culturelle (à noter que déjà Sarkozy a salué la victoire de Trump qui sonnerait « la défaite de la pensée unique ») tout en gardant la pose crédible en économie. Le premier terme avantage Sarkozy ou Fillon, le second Juppé, la difficulté étant de savoir où placer le curseur du discours trumpien pour l’emporter. D’où la question: quelle traduction électorale les électeurs de la Primaire LR donneront-ils à leur sentiment mesuré par l'IFOP? Les cotes de popularité de Sarkozy et Fillon se transformeront-elles en vote effectif? Bien aventureux celui qui se hasardera à un pronostic assuré sur l’impossibilité Sarkozy… Et même l'impossibilité Fillon...

Idem pour Marine Le Pen, qui a placé la dénonciation de l’élite mondialisée coupée des sentiments sociaux des classes moyennes et populaires au cœur de sa campagne. La présidente du FN ne fait pas tout à fait campagne, comme Sarkozy et Fillon. Elle parle social avant de parler culturel, dans la mesure où elle cible un électorat plus populaire, qui pense pouvoir d'achat avant de penser racines chrétiennes de la France. Et force est de constater qu’elle recueille aujourd’hui le vote des plus grandes victimes de la mondialisation sauvage, les plus faibles étant en grande demande de protection. Contre le vote Le Pen, la raison n’a plus de prise. La gauche ayant opté pour le sociétal au début des années 2000, renonçant à construire des majorités politiques identifiées à la majorité sociale du pays, est la première victime de cette stratégie de temps court appliquée à la présidentielle 2012. Aujourd’hui, le vote des classes populaires, c’est le vote Le Pen. Qui sait si cet acquis de temps long, contrairement à l’idée répandue, ne lui permettra pas d’entrer à l’Elysée dès 2017? Bien aventureux celui qui se hasardera à un pronostic assuré sur l’impossibilité Le Pen…

La question Macron

Enfin, il faut bien aborder ici la question Macron. Car le potentiel candidat à l’élection présidentielle est celui à qui le cercle de la raison reproche de faire du populisme à la Trump. Alain Minc a déjà dénoncé le traître au système que serait Macron, en mode « On lui a tout donné, il nous a trahi ». De même que Manuel Valls, qui n’a pas de mots assez durs afin de vilipender le populisme qui imprégnerait le discours de Macron. Et pourtant, bien que dépeint en "Trump light" progressiste par ses détracteurs de gauche, l’effet Macron persiste. 15% d’intentions de vote dans les sondages au premier tour de la présidentielle, en dépit du feu nourri des élites du cercle de la raison à la française, ce n’est pas rien. Et plus il est ciblé, plus il progresse.

On touche là à un paradoxe étonnant, qui laisser penser que, d’une certaine façon, les dénonciations de Manuel Valls ou Alain Minc servent Emmanuel Macron plus qu’elles ne le détruisent. Il n’est pas impossible qu’une partie des électeurs de la gauche modérée, du centre gauche et du centre droit, soit tentée par un vote de rébellion contre les élites socialistes et centristes.

Après tout, quand il dénonce effectivement la faillite des élites, les présidences de l’anecdote, la perte du sens en politique, le besoin de protection des Français les plus démunis face à la mondialisation, la nécessité d’adapter le salariat aux mutations du monde, Macron parle social plus que sociétal. Tout était dit dans l’entretien accordé à Challenges en octobre dernier : "Le système politique, avec ses codes et ses usages, je ne cherche pas à le respecter parce que je ne lui appartiens pas. Ça ne me pose donc aucun problème de transgresser ses codes. Je dirais même ceci: ma volonté de transgression est d’autant plus forte que j’ai vu le système de l’intérieur. J’en connais les mérites, mais aussi les failles et les maladies". Du Trump light? Oui, sans doute. Mais qui fait écho à ce qui se passe dans tous les secteurs de l’opinion française. Et si l’envie prenait Macron, dans les semaines qui viennent, d’être plus clair, transparent et lisible dans sa dénonciation des élites en faillite, il pourrait encore débaucher bien des électeurs socialistes, de moins en moins séduits à l’idée de voter pour un candidat issu de la Primaire PS qui serait François Hollande ou Manuel Valls. Bien aventureux celui qui se hasardera à un pronostic assuré sur l’impossibilité Macron…

Nous en sommes là. Et si au final, il convient de tirer la conclusion pour la France des conditions de la victoire de Trump, nous dirions ceci: s’imposera en 2017, en France, le candidat qui se donnera les moyens de constituer une majorité politique identifiée à la majorité sociale du pays, le tout en donnant un sens culturel commun à cette majorité. De la verticalité. De la protection. De la dignité. Et souvenons-nous: il y a un an, comme Sarkozy, Le Pen ou Macron aujourd'hui, Trump était considéré comme une impossibilité.

 

 

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