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Après le Bataclan, les rescapés de la prise d'otages unis "à la vie à la mort"

Après leur terrible huis clos du 13 novembre avec les terroristes du Bataclan, deux ex-otages sont comme des frères de combat. Entre amitié, résistance et résilience. Le JDD les a rencontrés.

Juliette Demey , Mis à jour le
David et Stéphane, instigateurs des retrouvailles entre les anciens otages du Bataclan
David et Stéphane, instigateurs des retrouvailles entre les anciens otages du Bataclan © G. BASSIGNAC POUR LE JDD

 

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David, 25 ans, et Stéphane, 50 ans, instigateurs des retrouvailles entre les anciens otages du Bataclan

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Au sein de la communauté des survivants du Bataclan , ils forment une confrérie à part. Ils étaient dix. Peut-être onze, mais aucun ne saurait l'affirmer. Ils avaient décidé d'aller à gauche, sur le balcon, ou de se jeter entre les sièges quand les rafales ont plu dans la fosse. Ils ont croisé la route d'Ismaël Omar Mostefaï et Foued-Mohamed Aggad, les terroristes. Ils ont passé deux heures trente retenus en otages dans un couloir de 10 m de long sur 1,5 m de large. Un huis clos sous la menace des kalachnikovs, ponctué de gémissements et d'appels au secours venant de la salle. Ces inconnus se sont raccrochés les uns aux autres. Comme à autant de preuves d'humanité, quand l'inhumanité et la mort les cernaient. Depuis, "quelque chose" qu'ils peinent à définir les unit, disent-ils, "à la vie à la mort".

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Sept d'entre eux se sont retrouvés : Stéphane, David, Sébastien, Arnaud, Marie, Grégory, Caroline. "On se doit la vie mutuellement", assène David, Chilien de 25 ans installé à Paris, le benjamin et le trait d'union entre les membres de la bande. "Personne n'a exposé l'autre par un comportement déplacé, alors que dans la salle plein de gens ont paniqué. On est restés hypercalmes, unis, dignes." À ses côtés cette nuit-là, assignés aux fenêtres pour assurer le guet, Stéphane, un informaticien de 50 ans, et Arnaud, un graphiste de 42 ans. Marie, la femme de ce dernier, était assise contre la porte avec Grégory et Caroline, chargés de crier aux policiers de s'éloigner. Sébastien, un journaliste de 35 ans venu d'Arles, était posté devant la seconde fenêtre. "Il a été très actif, a communiqué avec les preneurs d'otages", admire Arnaud. Tous en sortent vivant, atteints seulement de blessures mineures.

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Une rencontre en tentant de s'échapper par la fenêtre

Dès les jours d'après, ils se sont cherchés. Grâce à un appel posté par Stéphane sur la page Facebook du groupe Life for Paris, il n'a fallu que quelques jours pour que la plupart se manifestent, hormis deux cousins lyonnais qui restent introuvables. Ils ont voulu se voir. Donner corps aux silhouettes du couloir. David a lancé un groupe de discussion, "Bro's", et suscité des retrouvailles. Pressé de "mettre un visage sur cet îlot de bien-être qu'avait été Stéphane", qu'il sentait respirer contre son épaule. Il pensait revoir le "mec en costard" gravé dans sa mémoire, il a découvert ce grand homme chauve au regard doux. Stéphane, lui, avait en tête les cheveux longs et bruns de celui qui lui avait touché la main pour l'apaiser. L'amitié s'est imposée. Stéphane : "À 50 ans, on ne crée plus tant de liens forts. Et il a l'âge de ma fille aînée!" David : "Je veux garder Stéphane près de moi toute ma vie. Cette main directrice qui m'apportera sa sagesse."

Pour un peu, ce n'est qu'en revoyant Sébastien l'Arlésien que David a réalisé qu'il était lui-même en vie. Il a pleuré. "C'est mon frère. De l'amour pur. Parfois, on se regarde sans se parler en souriant", s'amuse-t-il. Le duo s'était déjà croisé en tentant de s'échapper par une fenêtre du Bataclan, pendus au-dessus du vide. "David m'a dit : ça va bien se passer, on va s'en sortir. Ses paroles se sont collées dans mon cœur. Il m'a apporté la paix", relate Sébastien, qui aura le temps de sauver une femme enceinte en la hissant avant que Mostefaï n'arrive et ne les pousse, David et lui, dans le couloir. Sébastien prête désormais au Chilien un pouvoir magique : "Il est la vie même. Ma mémoire, ma conscience, mon ange." Des retrouvailles avec Arnaud et Marie ont suivi ; ainsi que celles avec Grégory et Caroline, que David a recherchés trois mois avant de les croiser en février au concert des Eagle of Death Metal, le groupe qui jouait au Bataclan le 13 novembre.

Derrière leur urgence à se revoir, le besoin vital de croiser des souvenirs en charpie. Coincés dans le goulet, stressés, "on manquait chacun de bouts du puzzle. On a reconstitué le déroulé. Une conjonction de hasards heureux nous vaut d'être en vie", explique Stéphane. Pour dissiper les ultimes zones d'ombre, David s'est démené jusqu'à rencontrer leurs "sauveurs" de la BRI. Puis il a emmené tous ses amis du couloir au 36, quai des Orfèvres pour une séance de remerciements et débriefing croisé. Depuis, ils ont partagé d'autres repas avec ces "vrais héros, intelligents, humains, humbles", confie Arnaud, le ­graphiste.

Il y a un enjeu "thérapeutique" à se revoir

À chaque apéro ou dîner, les ex-otages puisent une étrange énergie. "On se comprend sans se parler", disent-ils à l'unisson. "De la télépathie", tranche l'un d'eux. Stéphane : "Les proches peuvent avoir la plus grande compassion, ils n'arriveront jamais à percevoir le truc." L'expérience intérieure vécue dans ces heures où "chacun avait plus ou moins accepté l'idée de ne pas revenir dans le monde des vivants", poursuit Sébastien. Un voyage express mêlant "bilan de vie, prières, regrets, promesses et vérités intimes", décrit encore Arnaud. Avec une pression double pour Marie et lui : leurs deux filles perdraient-elles un ou deux parents? Malgré la difficulté d'assumer ce vécu commun au quotidien, le graphiste y voit "une force à long terme" pour leur couple.

Les ex-otages aiment se retrouver, juste entre eux. Pour tous, il y a un enjeu "thérapeutique" à se revoir, analyse Sébastien. Dès qu'il vient à Paris, le trentenaire d'Arles trinque avec David et Stéphane ou Arnaud s'ils sont disponibles. "C'est presque un devoir de mémoire. On a des rapports amicaux spontanés, avec cette tendresse supplémentaire portée au cœur." Arnaud voit dans ces moments une bulle de liberté. Chez certains proches, la lassitude ou la gêne ont succédé à l'empathie. Passe à autre chose, entend-il. "Comme tu ne veux pas laisser penser que tu es englué, tu n'en parles plus", lance le quadra à barbe poivre et sel. Entre eux, même s'ils font "un peu les beaux", les ex-otages s'avouent leurs effets secondaires sans peur du jugement. Hypersensibilité, agoraphobie, angoisses… Tout vacille à chaque attentat.

"Voir qu'on n'est pas seul à se casser la gueule, ça rassure"

Ils s'épaulent et se jaugent. David a remarqué qu'ils ne s'appellent jamais lorsqu'ils sont au creux de la vague. Par pudeur. Ils découvrent souvent après coup qu'ils étaient mal au même moment. "Voir qu'on n'est pas seul à se casser la gueule, ça rassure", reconnaît Sébastien. "La vie reprend, on fait des projets, puis les questions ressurgissent : pourquoi je m'en suis sorti? Comment être reconnu comme victime sans être réduit à ce statut?", décrit Stéphane. Selon leur situation d'avant le Bataclan, ils se reconstruisent en continuité ou en rupture. Stéphane, l'informaticien de 50 ans, a vite repris le travail, emmené ses filles en voyage. Ces jours-ci, il est au Brésil. "C'est un roc, il a sa famille, il avance en étant dans l'analyse.

Il est l'homme que j'aimerais être dans quinze ans", admire Sébastien. Marie s'est jetée dans son boulot de secrétaire de direction. Son mari, Arnaud, en congé sabbatique, se consacre à leurs filles et envisage d'enseigner les arts plastiques. "Il n'y a pas de grande révélation : tu en reviens comme avant, chargé d'une couche en plus. Les optimistes surjouent le positif. Chez les dépressifs comme moi, ça s'accentue." Sébastien rêve toujours de journalisme d'investigation. Pour l'instant, il est en arrêt maladie. David a renoncé à un job de barman. Il fait des extras et se remet à la photo, son métier initial. Il avoue en souriant : "Même si plein de choses vont mieux, dans le fond, mon traumatisme est énorme."

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Leur calme les avait sauvés dans le couloir. Il leur a évité de "sombrer dans l'islamophobie ou l'amalgame, malgré la rage et la colère", se réjouit Arnaud. Certains sont retournés à des concerts, ont revisité le Bataclan. Le 13 novembre reste en filigrane de toutes leurs discussions. Mais ils parviennent à en rire, prisant l'humour noir ; et même à parler d'autres sujets : conjoints, musique, vacances… "On est dans la phase où on essaie d'être simplement amis", constate Sébastien. Le cœur de Stéphane se réchauffe. "De cet événement assez moche, il est aussi ressorti de belles choses." La terreur a inscrit en eux son empreinte. Elle n'a pas tout détruit. 

Source: JDD papier

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