Témoignages

#PorteOuverte du 13 Novembre: «Ce n'était pas grand-chose mais pour nous, c'est ce qui a fait toute la différence»

Après les attentats, un mouvement de solidarité est né sur les réseaux sociaux et dans la rue. Retour sur le dispositif avec ses acteurs.
par Dounia Hadni
publié le 13 novembre 2016 à 11h41

«Pour moi, #PorteOuverte a constitué un point de ralliement dans un paysage numérique de catastrophe. Je n'ai rien fait que créer une balise pour des usagers qui avaient déjà besoin d'aide ou en offraient mais ne se rencontraient pas». C'est avec ces mots que Sylvain Lapoix parle à «Libé» du hashtag qu'il a lancé sur Twitter le 13 Novembre.

Ce simple tweet, posté à 22h34 juste après les attentats, voulait relier des milliers d'inconnus à Paris ou Saint-Denis en fonction de leur localisation pour permettre aux uns d'accueillir et aux autres de trouver un refuge le temps que tout soit sécurisé (la circulation dans les quartiers touchés était fermée, les métros arrêtés et la préfecture de police recommandait à tout le monde de rester chez soi). Le hashtag a cumulé plus de 460 000 tweets très vite au point de devenir le deuxième trending topic de Twitter France, après #fusillade, signalait le Parisien. Mais combien ont débouché concrètement ? Sur une cinquantaine de personnes interrogées qui ont proposé leur porte (et pas simplement relayé d'autres tweets), cinq nous ont dit que cela avait porté ses fruits. L'une d'elles nous a raconté comment elle a débarqué chez un inconnu par ce biais.

Jeanne était au Stade de France vers 20h30, le coup d’envoi du match était à 21 heures. Elle se souvient qu’elle était entrée par la porte U, près de l’espace média où elle a rejoint son petit ami. Ils avaient pris les places les moins chères (à 25 euros) et étaient installés tout en haut.

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«Pas grand-monde n’était au courant de notre présence au stade. Je ne l’avais pas dit à mes parents, pas encore à mes amis car je n’avais plus que 10% de batterie. J’ai dû poster une photo sur Twitter mais c’est tout… On a su qu’il se passait un truc grave quand on a entendu 2 à 3 détonations sourdes et des ados de 13 ans, tout près, rivés sur leur portable parler d’attentats à leurs parents.

»

La confusion domine. «On est sorti du stade mais on n'a pas réussi à franchir les barrières de sécurité à cause du mouvement de foule. On s'est mis à courir mais entre les cris, les bousculades, les gens en panique qui avaient perdu leurs proches… C'était le bordel.»

La frayeur s'est accentuée, notamment à cause de l'ignorance dans laquelle tout le stade baignait : «Certains étaient même persuadés qu'il y avait un tireur dans la foule. J'ai utilisé le peu de batterie qu'il me restait pour rassurer ma mère et mon père. J'ai ensuite prévenu mes amis via Facebook que j'étais au stade.»

«Si ça a fonctionné, c’est parce que mes amis ont pu faire les recherches pour moi»

Bloqué par la foule, le couple fait demi-tour et retourne au stade pour finir par hasard dans l’espace médias. Là, au milieu des gens blessés (à cause du mouvement de foule), Jeanne se précipite vers les prises pour recharger son téléphone. En fond, un écran de télé diffuse les images du Bataclan et des terrasses.

«Les attentats n'étaient pas terminés, ça continuait… se remémore-t-elle. Pas de taxi, pas d'Uber, le RER bloqué, je ne voulais absolument pas qu'on s'expose à un nouveau risque… Heureusement, mes amis ont vu le hashtag #PorteOuverte, ont fait des recherches et m'ont envoyé quelques numéros.»

Quarante minutes plus tard, ils trouvent enfin un contact qui leur semble sûr. «C'est mon copain qui a appelé pour s'assurer des intentions de la personne. On est resté vigilant malgré tout», précise-t-elle.

«Nos hébergeurs habitaient à Saint-Denis, à cinq minutes à pied du stade. Ils étaient 5 ou 6 frères et cousins âgés de 20 à 30 ans, scotchés devant leur télé… Puis, stupéfaits par notre récit. On est resté trente minutes maximum, le temps de boire un verre d'eau, de reprendre nos esprits, de brancher le téléphone et de commander un Uber. Ça ne semble peut-être pas grand-chose vu de l'extérieur mais c'est ce qui a fait toute la différence pour nous. Et même si on n'a pas gardé contact, lors de l'assaut de Saint-Denis quelques jours plus tard, j'ai immédiatement envoyé un DM [message privé sur Twitter, ndlr] pour savoir s'ils allaient tous bien.»

«Le hashtag #PorteOuverte était une très bonne idée mais, si ça a fonctionné, c'est parce que mes amis ont pu faire les recherches pour moi, poursuit-elle. Quand on est en panique, loin de chez soi et qu'on cherche à s'abriter, ce n'est pas le moyen plus instantané et pratique qui soit : il faut aller sur Twitter, chercher la porte ouverte la plus proche, entrer en contact, noter l'adresse, sortir le plan… Ça implique d'aller d'un point A à un point B et du coup de rester exposé. On touche aux limites du dispositif. Sans oublier la psychose ambiante. On ne sait jamais qui peut se présenter chez soi…»

«Trop de trucs à faire pour tomber sur le bon tweet au bon moment»

Nombreux sont ceux qui, ce soir-là sur Twitter, ont posté ou repéré le hashtag trop tard ou ceux qui ont simplement relayé les propositions de portes ouvertes. Raison pour laquelle le nombre d'occurrences de #PorteOuverte était si élevé. Parfois, sans réponse, comme dans le cas de Christiane, qui explique qu'elle l'a proposée «sans doute trop tard».

Parfois, des contacts se nouent, mais n’aboutissent finalement pas. Ainsi pour Baptiste, 33 ans, communiquant qui travaille pour une agence spécialisée dans les réseaux sociaux. Habitant à trois minutes du Bataclan, il a proposé sa #PorteOuverte le 13 Novembre.

«J’étais chez moi avec ma femme quand j’ai commencé à voir passer des tweets étranges. J’ai compris qu’il se passait quelque chose de grave. Une heure plus tard, j’ai vu passer ce fameux hashtag et, comme j’habite dans un des endroits touchés, j’ai proposé d’ouvrir ma porte pour que des gens puissent venir prendre un café, recharger leur téléphone, reprendre leurs esprits le temps de trouver une solution pour passer la nuit… Je suis entré en contact avec deux personnes par message privé, signe que ça aurait pu marcher. Même si ça n’a pas abouti, notamment à cause de problèmes de batterie.»  

«Si on a pu voir que de nombreux internautes ont proposé d'ouvrir leur porte, ça reste difficile de quantifier ceux qui ont réussi à se faire héberger via ce hashtag, explique Baptiste. Les taxis et les Uber étant gratuits cette nuit-là, plusieurs personnes ont pu rentrer chez elles. Et il est plus facile et naturel de faire appel à son réseau personnel de connaissances.»

Selon lui, le dispositif peut fonctionner mais reste compliqué: «Il y a trop de trucs à faire pour tomber sur le bon tweet au bon moment, les gens n'ont pas forcément le temps. Surtout que les événements étaient localisés dans un quartier précis et que les messages proposant des portes ouvertes provenaient de partout dans Paris et sa banlieue», analyse-t-il.

Certains ont d’ailleurs très vite perçu ce défaut et ont tenté de le minimiser :

Parfois, c'est le contact humain, plus simplement, qui a permis de trouver une solution d'hébergement. Ainsi pour Antoine, 27 ans, qui a accueilli trois personnes.

«Ce soir-là, j’ai hébergé trois personnes croisées totalement par hasard au boulevard Beaumarchais dans le troisième quand je suis descendu acheter un pack de bière dans l’épicerie en bas de chez moi vers 22h30. Je les ai aperçus tous les trois, couverts de sang, l’air totalement désorienté. Ils cherchaient à se cacher… J’ai compris qu’ils sortaient du Bataclan,

raconte-t-il.

Je les ai fait monter chez moi où j’étais avec des amis. Ils 

sont restés avec nous jusqu’à 7 heures. L’un d’entre eux avait été séparé de sa copine lors de l’attaque, dans la salle de concert. J’ai alors lancé des appels à témoins sur les réseaux en espérant la retrouver et j’ai proposé ma #PorteOuverte pour accueillir d’autres personnes dans le besoin… Sans succès. Le lendemain, ils ont appris qu’elle était décédée.»

Les liens entre eux ne se sont pas rompus: «Depuis cette nuit tragique, des liens forts se sont tissés entre nous par la force des choses. Je les ai revus tous les trois et je continue de demander régulièrement de leurs nouvelles. Je les appelle désormais mes amis d'infortune».  

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