Dans la maison des espionnes

Illustration. Ce livre est une plongée dans les coulisses de la lutte anti-terroriste notamment menée par des agents féminins. 
Illustration. Ce livre est une plongée dans les coulisses de la lutte anti-terroriste notamment menée par des agents féminins.  AFP/MARTIN BUREAU

    Pendant un an, alors que la France était visée par une vague d'attentats sans précédent, elle a mené des interrogatoires serrés dans la maison des espions. Ou plutôt des espionnes, puisque les femmes représentent désormais un quart des agents de renseignement français.

    Dalila Kerchouche, auteure d'un article remarqué sur le sujet pour Madame Figaro, a prolongé son enquête pour en faire un livre enlevé, Espionnes, doubles vies sous haute tension (1), autorisation exceptionnelle et souriante détermination en poche.

    Son enquête, la journaliste l'a conduite dans tous les services dits de la « communauté du renseignement », y compris au sein des deux principaux, la DGSE (service extérieur d'espionnage) et la DGSI (service intérieur, chargé notamment du contre-terrorisme). La DGSI fut la dernière à accepter ce regard extérieur. Ce « service réputé fermé, écrit l'auteure, se révèle le plus ouvert aux femmes » puisqu'il a promu de nombreuses policières.

    Une vie de sacrifices

    La série d'entretiens illustre la diversité des profils de ces femmes de l'ombre. Voici « la colonel » Nathalie, 54 ans, cadre de la DGSE « au débit mitraillette », longtemps chargée de recruter d'honorables correspondants. « Je peux vous dire que j'ai souvent serré la main du diable, confie-t-elle. Il m'est arrivé de mépriser certaines de mes sources. » On comprend pourquoi le soir venu, elle a besoin de se changer les idées en tricotant. Il y a aussi Alice, psy chargée à la DGSI du profilage de ces mêmes informateurs, afin d'évaluer leur degré de crédibilité et de dangerosité. Ou encore Pauline, 30 ans, aux airs d'étudiante qui « joue l'idiote » pour sonder l'âme des suspects de retour de Syrie.

    Au fil des questions, les entretiens abordent les fêlures intimes de ces agentes secrètes. Celles qui, comme d'autres « femmes d'affaires », cherchent l'âme sœur sur « Meetic » ou « Adopteunmec » faute de temps. Celles obligées de jongler avec leurs vies de famille. Ont-elles changé au contact de cet univers viril? « Oui, je dis plus facilement : « Putain, merde, fais chier » », lâche Daphnée, une douanière, dans un sourire. Elles le concèdent : évoluer dans ce monde de faux-semblants, laisse peu d'illusions sur la nature humaine : « L'homme reste un homme et c'est un animal. Et les femmes aussi. » En matière d'égalité des sexes, l'instinct bestial serait donc le registre le mieux partagé.

    Les espionnes veulent casser les barrières : « Cessons aussi de répéter aux petites filles : souris et sois sage. Il faut leur dise qui ose gagne». « Qui ose gagne », la devise des SAS britanniques… Dalila Kerchouche aborde d'ailleurs ses sujets avec un féminisme assumé. Pour apprécier l'ouvrage, il n'est pas indispensable cependant de souscrire à tous les présupposés de l'enquête - « les femmes disent Nous quand les hommes disent Je » ; « les hommes ne sont pas prêts à lâcher le pouvoir » - pour se délecter des anecdotes. Il faut lire notamment cette scène finale où l'auteure est lâchée dans le grand bain de l'espionnage en plein Paris...

    « Je ne crois nullement aux clichés existentialistes qui voudraient que les femmes aient des prédispositions « naturelles » - l'intuition, l'empathie, la séduction, la discrétion, la prudence…- à l'espionnage, précise Dalila Kerchouche. La réalité est plus prosaïque : elles représentent aujourd'hui plus de la moitié des diplômés de l'enseignement supérieur.»

    (1) Espionnes, de Dalila Kerchouche (Flammarion).