
Pas facile d’être une start-up du sport ou de la santé. Dans le premier cas, il faut affronter un milieu compliqué et assez peu ouvert à l’innovation ; dans le second, se heurter à la réglementation et à une administration trop lente. Ces start-up, qui passent souvent d’ailleurs d’un domaine à l’autre, ont des parcours plus difficiles que celles qui interviennent dans le commerce, le marketing ou le recrutement. Benjamin Carlier dirige Le Tremplin, le seul incubateur au monde consacré au sport. Créé par la Mairie de Paris en 2015, il œuvre au rez-de-chaussée du stade Jean-Bouin, face au Parc des Princes.
« Travailler avec un club de foot ou une fédération, ce n’est pas travailler avec un groupe industriel ou une PME, explique Benjamin Carlier. Le sport est un écosystème très particulier, très éclaté, avec une culture particulière. » Un milieu que les créateurs de start-up ne connaissent pas, car ils sortent tous d’écoles d’ingénieurs et de commerce. « Le “start-upeur” type du sport est un trentenaire issu du conseil qui en a eu assez au bout de cinq ans, développe Omar El Zayat, en charge de l’incubation au Tremplin. Il n’a aucun code des institutions et n’imagine guère le faible intérêt du secteur pour le numérique ou la difficulté de trouver le bon interlocuteur. »
12 millions d’euros levés
Le Tremplin a néanmoins sorti quelques belles réussites : Digifood propose de se faire livrer au stade bières ou pizzas, l’OL et le Racing 92 l’utilisent. Running Heroes fait gagner des cadeaux en fonction des performances ; Mac-Lloyd a élaboré un tissu connecté pour suivre les performances d’un athlète en temps réel, et Natural Grass a créé la pelouse hybride qui a équipé les stades rénovés de l’Euro 2016. Sur les 17 start-up sélectionnées de la première saison (19 lors de saison 2016), 3 ont vraiment décollé, 8 ont effectué des levées de fonds correctes, 4 cherchent encore leur modèle et 2 ne vont pas très bien. Le bilan est correct : 45 CDI créés, 12 millions levés la première année et 7 l’année suivante.
Mais pour l’instant, le sport n’est pas le secteur industriel où vont grandir les « licornes », ces start-up stars de la Silicon Valley. Le Tremplin a compris la nécessité de rassembler ces entreprises pour leur apprendre à partager leurs expériences et surtout à chasser en meute : le marché est à défricher, et un client qui échappe à l’une ne doit pas échapper à l’autre. La structure a aussi réalisé qu’il fallait faire germer les idées très tôt. Au Tremplin, on préincube. Sarah Ourahmoune, médaille d’argent de boxe à Rio, a ainsi eu l’idée de gants de boxe connectés pour mesurer la puissance ou simuler des combats. Innovant, mais embryonnaire, le concept a besoin de temps pour se développer. Le marché est en croissance, selon Benjamin Carlier, « mais il n’y pas encore de place pour des dizaines de start-up dans toutes les métropoles, même s’il se passe des choses à Montpellier, Reims, Bordeaux ou Nice ».
Pour beaucoup de jeunes entreprises,le sport est une première étape avant le marché prometteur de la santé connectée
Beaucoup de ces jeunes pousses se servent en réalité du sport pour amortir leur R&D avant de s’attaquer au marché, prometteur celui-là, de la e-santé. Des chercheurs issus du CNRS ont par exemple trouvé un moyen de détecter des traqueurs métaboliques liés aux brûleurs de graisse. Une goutte de sang permet de mesurer les graisses brûlées lors de l’activité physique lors des quatre dernières heures. Chaque organisme réagissant différemment, le marché s’annonce vaste, dans une France gagnée par l’obésité. Cette start-up, LSee, a besoin du sport avant de passer au médical et utilise Le Tremplin.
Sébastien Moussay est, avec Bodycap à Caen, dans le même cas. Trois ans de R&D avant de pouvoir mettre sur le marché la gélule à ingérer e-Celsius, un capteur de température qui permet de suivre en différé ou en direct la resynchronisation cardiaque. La gélule a été testée avec l’équipe nationale d’Ethiopie de marathon, ou à Doha avec 80 coureurs pendant les championnats du monde de cyclisme. Bodycap travaille aussi avec Aspetar, la fameuse clinique du sport hyperdigitalisée du Qatar qui prépare les joueurs du PSG et remet sur pied Javier Pastore ou Marco Verratti.
« Nous bousculons un modèle »
Sébastien Moussay a besoin de 2 millions d’euros pour attaquer le marché de la santé. Il a aussi besoin de l’accord de l’administration sur son dossier déposé il y a plus d’un an. « Cette gélule peut dans certaines interventions chirurgicales remplacer la sonde, et c’est le marché que nous visons. Notre business model ne tient pas sur le sport », explique-t-il. Mais les anesthésistes souhaitent des tests et Bodycap attend l’autorisation avant de pouvoir réaliser sa levée de fonds. « Je sais que nous bousculons un modèle, poursuit Sébastien Moussay. La sécurité du patient est primordiale, mais nous n’avons aucune visibilité. Il faut vraiment avoir les reins solides ! »
Alexis Normand, directeur du développement santé de Withings, la start-up qui a inventé ce bracelet connecté aux allures de montre adoré des sportifs, le confirme :« La France est le paradis de la R&D dans le domaine de la e-santé, avec le crédit impôt recherche, et beaucoup de start-up se créent, peut-être trop. En revanche, la solvabilisation des produits dans le domaine médical est beaucoup plus compliquée qu’aux Etats-Unis. La e-santé est fondée sur du suivi à distance et doit être rémunérée. En France, le médecin est payé à l’acte et l’hôpital à l’activité, cela nous laisse peu de place. Aux Etats-Unis en revanche, si un patient revient à l’hôpital trente jours après une intervention, l’établissement est automatiquement déremboursé. Cela encourage au suivi cardiologique à distance. De même, si une innovation améliore la santé d’une population donnée, elle est prise en charge. Il n’y a aucune incitation de ce type en France. »
« L’inventivité est française, le business, américain »
Les Bordelais d’eDice et leurs pacemakers connectés ont ainsi été rachetés par les Chinois d’iHealth pour attaquer le marché américain. Ils y font désormais la quasi-totalité de leur chiffre d’affaires. Withings, racheté par Nokia, vend son produit phare, la balance connectée, aux hôpitaux américains, anglais, hollandais ou belges. Mais pas en France, qui ne représente plus que 10 % de son chiffre d’affaires. « Il est beaucoup plus facile de parler à la NHS anglaise qu’à l’AP-HP parisienne, estime Alexis Normand. La France est un terrain de R&D, de débats et de lobbying mais le business intervient trop longtemps après. L’inventivité est française, le business, américain. »
Cet article fait partie d’un supplément réalisé dans le cadre d’un partenariat entre Le Monde et l’agglomération de Thau, qui organisent ensemble, le 18 novembre à Sète-Balaruc-les-Bains (Hérault) le colloque « Quand le sport change la vie ».
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu