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Carrefour ou la distribution Rubik's Cube

Le géant français évolue d'un groupe d'hypermarchés à une société hybride qui mélange les formats et les canaux pour servir le consommateur au plus près de ses besoins et envies.

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Par Philippe Bertrand

Publié le 17 nov. 2016 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Hypermarchés, supermarchés, magasins de proximité, e-commerce, ancrage national à l'international, ancrage local en France : l'équation stratégique de Carrefour mêle six dimensions. Le PDG Georges Plassat parviendra-t-il à les mettre chacune en ordre comme les six pans d'un Rubik's Cube ? Tel est l'enjeu de son deuxième mandat qui s'achèvera en 2018.

Multilocal, multiformat, multicanal : depuis deux ans déjà, le vieux briscard de la distribution, âgé de soixante-sept ans, qui était déjà président de Casino il y a vingt ans, a changé le code du groupe qui a inventé l'hypermarché en France. « Le modèle ne suffit plus », a-t-il reconnu cet été lors de la présentation des résultats semestriels. De fait, « No parking, no business »,« location, location, location » (l'emplacement, l'emplacement, l'emplacement), « one stop shopping » (tout sous le même toit), « les pauvres ont besoin de prix bas, les riches adorent ça » : les préceptes de Bernardo Trujillo, le conférencier de National Cash Register (NCR), qui avait inculqué les bases du libre-service à Defforey et Fournier, les fondateurs de Carrefour, doivent être complétés par d'autres.

Le code a changé

La population vieillit. Les foyers monoparentaux se multiplient. La voiture a moins d'adeptes. Surtout, les grands distributeurs ont mis la main sur des réseaux de proximité : Franprix, Monoprix pour Casino, toutes les petites surfaces du grossiste Promodès pour Carrefour. L'écart de prix entre le centre-ville et la périphérie, qui était de 20 % à 25 %, est retombé à 10 %. La famille de quatre enfants qui venait le samedi dans un hyper en break pour faire les courses du mois est une image du passé. La confiance dans les grandes marques agroalimentaires s'est érodée. L'argent économisé grâce à la guerre des prix est réinvesti dans des produits de meilleure qualité, bio ou sans gluten, fabriqués à proximité par des PME.

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Le monde ancien n'a pas totalement disparu. L'hyper capte encore en France 53 % des ventes de produits alimentaires et du quotidien, et il vend encore du Coca-Cola et du Nutella. Dans les grandes zones urbaines, l'étalement urbain lui a apporté une clientèle de proximité nombreuse. A Epinal, le Carrefour est encore facile d'accès pour des habitants qui n'ont pas abandonné l'automobile pour le métro ou le Vélib'. Mais les modes de consommation ont évolué, ils sont devenus divers, dit le PDG de Carrefour. Le code a changé, mais Georges Plassat a un nouveau mot-clef.

L'ancien élève de l'école hôtelière de Lausanne compte utiliser son deuxième mandat pour prouver sa capacité d'adaptation et repartir à l'offensive. A son arrivée, il a d'abord joué en défense pour stabiliser un paquebot détourné de sa culture interne par l'industriel Lars Olofsson. Ce fut le rapatriement de cash en vue de réaliser les réinvestissements nécessaires dans les zones géographiques jugées prioritaires par la cession de filiales internationales. Japon, Thaïlande, Malaisie, Indonésie, Grèce, etc. : la liste est longue des renoncements à la vocation quasi-universelle de l'enseigne qu'incarnait Daniel Bernard, le désormais lointain prédécesseur de Georges Plassat.

La rénovation passe désormais avant la conquête du monde. Celle des magasins, ainsi que celle de leurs galeries marchandes et parkings se fait grâce à la création de la foncière Carmila qui réunit les éléments du puzzle commercial en association avec Carrefour Property. C'est aussi le retour aux fondamentaux, à une culture décentralisée depuis toujours source de motivation pour le personnel opérationnel des usines à vendre. C'est également la rationalisation des entrepôts et leur adaptation au commerce en ligne. C'est, enfin, la finalisation de l'harmonisation des systèmes informatiques de Carrefour et de Promodès, dix-sept ans après la fusion. Et la réorganisation de la Chine, où les ventes dévissent. Le tout est complété par des acquisitions tactiques : Dia, Guyenne & Gascogne en France, Bilal en Roumanie, les hypers d'Eroski en Espagne, etc. Les investissements sont passés de 1,5 milliard d'euros en 2012 à 2,2 milliards en 2013, puis, peu ou prou, 2,5 milliards chaque année suivante.

Artillerie financière

Cette première étape achevée, le général Plassat se veut plus conquérant. La nouvelle campagne sera précédée par la mise en place d'une artillerie financière : les introductions en Bourse de Carrefour Brésil - dont le brésilien Abilio Diniz détient déjà 12 % -, de Carmila et, probablement, la cession d'une partie du capital de Carrefour Chine à des partenaires locaux. Ces opérations étancheront les soifs de plus-value des deux actionnaires de référence, agissant de concert, Colony Capital et Groupe Arnault, alors que le cours stagne depuis trois ans. L'un ou les deux fonds pourraient alors quitter le navire pour laisser à la barre ses deux nouveaux actionnaires patrimoniaux que sont Abilio Diniz (le même qu'au Brésil) et la famille Moulin, représentée par Philippe Houzé.

Le terrain préparé, la croissance externe reprendra à l'international dans des pays où l'enseigne prétend à une position de leader : la Pologne, par exemple, mais aussi peut-être en Italie, où la disparition du fondateur d'Esselunga pourrait faire bouger le paysage concurrentiel. Ce sera surtout l'achèvement de la transformation digitale du groupe entamée avec le rachat de Rue du Commerce, de GrandVins-Privés.com, de Croquetteland ou du site de produits bio Greenweez.com. Une réponse à la question que l'impétueux Georges Plassat, capable à l'occasion d'autodérision, se posait à lui-même lors des semestriels : « Est-ce que le vieux a intégré le digital dans sa stratégie d'épicier ? » La relance de Ooshop, qui vient de débuter, et surtout le lancement de Livraisonexpress.com à Paris, pour contrecarrer le service Prime Now d'Amazon, comme les partenariats avec les start-up ou le lancement d'un « passeport numérique » pour les salariés, attestent du virage.

« Qui rêve d'un monde dans lequel chacun vivrait cloîtré chez lui et commanderait tout depuis ses écrans ? », s'exclamait Georges Plassat dans « Les Echos » en janvier dernier. Mais, malgré les apparences, le « vieux » ne fait pas de la résistance à l'e-commerce. Pour lui, le futur de la distribution, c'est l'hybridation du multiformat. La livraison express est effectuée depuis les City, Market ou Contact de proximité. L'hypermarché, lui, rentabilise ses espaces et ses ateliers-laboratoires pour assembler des produits frais pour le compte des supers de centre-ville. C'est la salade composée du City de l'avenue Malakoff, à Paris, qui est livrée par l'hyper de Villiers-en-Bière, en banlieue. L'hybridation, c'est aussi, au Brésil, les cash-and-carry Atacadão qui prennent le relais des hypermarchés, ou le déploiement des supers de proximité à São Paulo comme à Shanghai.

Si l'hyper reste la pierre angulaire de la pyramide Carrefour (il représente encore 55 % des ventes en France), ce n'est plus vraiment son coeur de métier. Il occupait 62 % de la surface commerciale du groupe en 2011, contre 58 % en 2016. Le dernier-né, à Bayonne, ne s'étend que sur 5.000 mètres carrés, avec 85 % d'alimentaire. On est loin des 20.000 mètres carrés développés durant les Trente Glorieuses. Clairement, les grands hypers doivent réduire leur surface, ou tout au moins les rayons non-alimentaires, textile et high-tech peu rentables... Le nouveau coeur de métier, c'est une offre client qui se décline dans divers canaux ou différents formats. Carrefour a entrepris de mettre le client au coeur de sa stratégie. Il était temps ! Le Big Data va remplacer le « mégastore » !

Chiffres-clefs

Chiffre d'affaires

76,9 milliards d'euros HT (au 31/12/2015), 104,4 milliards sous enseignes, c'est-àdire avec l'activité des franchisés dans les petits supers de proximité. Carrefour réalise plus de 1 milliard d'euros d'activité e-commerce en France.

Nombre de magasins

12.296, dont 1.481 hypermarchés, 3.462 supermarchés,

7.181 magasins de proximité, 172 cash-and-carry.

Carrefour estime avoir plus de 100 millions de clients dans le monde. 13 millions d'entre eux passent chaque jour en caisse.

Nombre de pays d'implantation

30, dont la France, l'Italie, l'Espagne, la Pologne et la Roumanie en Europe, le Brésil et l'Argentine en Amérique du Sud, la Chine et Taiwan, en Asie, ainsi que des franchisés en Afrique, au Moyen-Orient, au Kazakhstan et en Indonésie.

Nombre de salariés

380.000 dans le monde, 117.000 en France. Carrefour recrute plus de 40.000 personnes en France chaque année, dont 11.000 CDI.

Philippe Bertrand

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