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Nature

Le Parc national de La Réunion menacé de déclassement

Menace sur l’écrin du Piton de la Fournaise. Le conseil régional de La Réunion souhaite transformer le Parc national en un parc naturel régional, à la réglementation moins protectrice pour l’environnement. Cette démarche s’inscrit dans un contexte trouble, entre projet de construction d’un écolodge de luxe sur le volcan et éviction brutale de la directrice du Parc.

Le tuit-tuit et le tamarin des Hauts ont du souci à se faire. Le conseil régional de La Réunion veut la peau du Parc national où ces espèces endémiques ont trouvé refuge. Mardi 27 septembre, la commission permanente de la Région a voté une enveloppe de 50.000 euros pour la réalisation d’un « état des lieux du Parc national de La Réunion et d’une étude sur ces perspectives d’évolution ».

Sous couvert de cette formulation vague, l’objectif de ce travail est bel et bien de transformer le Parc national de La Réunion en un parc naturel régional au règlement plus favorable au développement d’activités économiques. « Je ne veux pas avoir à quémander au conseil d’administration [du Parc national] à chaque fois qu’on voudra faire quelque chose », a asséné aux élus Didier Robert, président (Les Républicains) du conseil régional, prenant l’exemple du Grand Raid, une course pédestre interdite d’accès au volcan du Piton de la Fournaise situé au cœur du Parc national.

Le piton de la Fournaise et le piton Rouge vus depuis le morne Langevin.

Ce projet de déclassement du parc constituait l’un des piliers de son programme pour les élections régionales de 2015. Sous l’intitulé « Libérer la terre réunionnaise », le candidat dénonçait des « terres réunionnaises privées du moindre développement du fait des règles trop contraignantes. (…) Parce que les Hauts de La Réunion sont gérés par un Parc national porteur d’interdits administratifs et de contraintes diverses, le combat est bien celui de rendre ce parc aux Réunionnais ».

De nombreuses espèces endémiques et protégées

Le Parc national a été créé le 7 mars 2007 et inauguré le 9 juillet 2008. Son cœur, d’une surface de 105.447 hectares, couvre 42 % de la surface de l’île, dont les sites remarquables du Piton de la Fournaise et des cirques de Mafate, Salazie et Cilaos. Il abrite de nombreuses espèces protégées, comme le tec-tec, le papangue, le bois de Laurent Martin et le petit mahot. Huguette Bello, députée de Saint-Paul et conseillère régionale d’opposition, dénombre ainsi « 237 espèces végétales qu’on ne trouve qu’à La Réunion ». « De nombreuses espèces endémiques se sont développées sur ce petit caillou volcanique de 2.500 kilomètres carrés, inhabité jusqu’au XVIIe siècle, complète Jean-Pierre Marchau, secrétaire régional Europe Écologie - Les Verts (EELV). Le Pétrel noir, par exemple, n’existe qu’à La Réunion. On évalue la population de ce mystérieux oiseau aux mœurs nocturnes à un peu moins de 20 individus. »

Panorama plongeant sur Cilaos depuis la Roche merveilleuse.

Ce projet de déclassement fait l’objet de vives contestations de la part de l’opposition. Mme Bello rappelle que le Parc national apporte chaque année « plus de 6 millions d’euros de subventions [sur 7,5 millions d’euros de budget] et 60 emplois financés par l’État [sur 80 emplois], alors qu’un parc régional serait à la charge des collectivités locales ». Elle redoute que l’abandon du Parc n’entraîne la perte du classement des pitons, cirques et remparts de l’île de La Réunion au patrimoine mondial de l’Unesco, obtenu le 1er août 2010. Pour M. Marchau, déclasser le parc serait un non-sens touristique, car « pour les plages, nous sommes écrasés par la concurrence de l’île Maurice. Nous devons parier sur un tourisme nature et écolo sur les Hauts, qui sont très beaux. Cela sera-t-il possible si, demain, la réglementation s’assouplit et qu’on voit se multiplier le bâti sur ces lieux préservés ? » Mme Bello s’interroge sur un possible conflit d’intérêts : « Les présidents des collectivités doivent nous répondre de manière précise : y a-t-il des élus qui possèdent des terres dans le périmètre du Parc ? »

Du côté de la direction du Parc, c’est la consternation. Son président, Daniel Gonthier, par ailleurs élu Les Républicains et soutien de M. Robert aux dernières élections régionales, a refusé de participer aux discussions, au motif qu’il ne veut pas « être associé à la destruction du Parc national, qui est le fruit d’un travail de passionnés depuis les années 1960 ». Au Parc, on dénonce l’absence de concertation : « Le conseil régional, le conseil général [dont la présidente (UDI) Nassimah Dindar soutient le projet de déclassement du Parc] et tous les maires de La Réunion siègent au conseil d’administration (CA) du Parc. Pourtant, la question de la régionalisation du Parc n’a été abordée à aucun CA, et nous n’avons reçu aucune demande ferme ni du Conseil régional ni du conseil général. »

Aucun précédent de déclassement de Parc national en France

La menace reste néanmoins imprécise. Il n’existe aucun précédent de déclassement de parc national en France. Et cette procédure n’est possible que si « les circonstances ont cessé d’en justifier le maintien ».

Ce projet s’inscrit dans un contexte troublé. D’autres discussions sont en cours pour la réhabilitation d’un gîte existant et la construction d’un écolodge haut de gamme sur le Piton de la Fournaise. Financé par l’Europe, l’État, le conseil régional et le conseil départemental, ce double chantier, évalué à 7 millions d’euros, devrait débuter fin 2018 pour une livraison en 2019. Or, selon M. Robert, la réglementation très stricte du cœur de Parc en matière de bâti compromet le projet. « Malgré les promesses, le premier galet n’a toujours pas été posé », a-t-il raillé lors de l’assemblée plénière du conseil régional. D’où la nécessité de déclasser le Parc pour pouvoir lancer les travaux.

Les fleurs groupées en bouquets de petits pompons du tamarin des Hauts.

Faux argument, répliquent les partisans du maintien du Parc. « Contrairement à ce qui est prétendu, le cœur de parc n’est pas sanctuarisé et peut accueillir des activités agricoles, artisanales et commerciales. Des travaux de construction peuvent être menés avec l’autorisation du Parc », affirme Mme Bello. Du côté du Parc, on assure que « le travail a déjà commencé, avec des visites de terrain organisées pour des élus du conseil départemental, pour choisir le site le plus adapté. Les relations sont saines, il sera tout à fait possible de construire. La seule chose que nous préconisons, c’est de construire à un emplacement proche du bâti existant pour limiter au minimum l’impact sur l’environnement. » Même son de cloche au conseil général, où l’on précise que « le cahier des charges qui sera associé à l’appel d’offres est en cours de finalisation avec le Parc, en tenant compte de sa réglementation ».

La directrice du Parc brutalement écartée

Autre bouleversement, l’éviction brutale de la directrice du Parc, Marylène Hoarau, le 12 septembre dernier, alors que son mandat s’achevait en février 2017. Cette décision a été prise par le cabinet de la ministre de l’Environnement Ségolène Royal. Mme Hoarau avait fait l’objet d’une mesure d’avertissement par M. Robert quelques semaines plus tôt pour avoir tenu des propos critiques sur l’implication des élus locaux dans la protection du Parc. « Je n’ai à aucun moment été sollicité par la ministre de l’Environnement ni par ses services, et je n’ai, évidemment, à aucun moment pris l’initiative d’interpeller la ministre sur la question de la direction du Parc », s’est empressé de préciser M. Robert. Quoi qu’il en soit, ce départ fragilise un peu plus le Parc national. « Marylène Hoarau, jeune Réunionnaise, a été la cheville ouvrière du Parc et l’une de ses plus ardentes défenseurs, regrette M. Marchau. Elle a fait partie de la mission créée en 2002 pour porter ce projet de création de Parc et a ensuite porté la tâche de convaincre les communes limitrophes de signer la charte. »

Le tarier de La Réunion ou localement tec-tec (« Saxicola tectes »).

Les résultats de l’enquête sur l’avenir du Parc devraient être connus à la fin de l’année. Une chose est sûre, le contexte n’est pas porteur, avec un élu régional dont la protection de l’environnement semble être la dernière des préoccupations. Arrivé à la tête de La Réunion en 2010, M. Robert a renoncé au projet de tram-train lancé par son prédécesseur, Paul Vergès (Parti communiste réunionnais). Il a transféré l’enveloppe allouée à ce chantier à la modernisation de la route du littoral, un désastre écologique à 1,8 milliard d’euros. Contacté, le conseil régional n’a pas donné suite à nos questions.

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