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FRANCE

À la frontière italienne, un Niçois jugé pour avoir transporté des migrants

Un professeur d’université va être jugé à Nice le 23 novembre pour "aide aux étrangers en situation irrégulière". Pierre-Alain de Mannoni avait recueilli, mi-octobre, dans sa voiture, trois Érythréennes, dans la vallée de la Roya, près de Nice.

Pierre-Alain de Mannoni sera jugé le 23 novembre pour avoir aidé des migrants.
Pierre-Alain de Mannoni sera jugé le 23 novembre pour avoir aidé des migrants. FRANCE 24
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Pierre-Alain Mannoni a un peu hésité avant de les faire monter dans sa voiture. Il n’est pas loin d’une heure du matin, ce dimanche 17 octobre. Dans la vallée montagneuse de la Roya (Alpes-Maritimes), qui s’étire le long de la frontière italienne, la température frôle les 5 degrés. "Je me suis demandé quoi faire", explique-t-il sobrement, en entrecoupant ses phrases de longs silences. "Puis, j’ai dit oui."

Cette nuit-là, Pierre-Alain Mannoni, un Niçois de 45 ans, père de famille sans engagement politique particulier ni aucune activité militante à son actif, a fait monter trois Érythréennes dans sa voiture. Jeunes, peut-être même mineures. Il ne sait pas. "Il faisait très froid. Elles ne parlaient pas un mot de français, ni d’anglais". Les trois jeunes filles étaient hébergées dans un bâtiment désaffecté de la SCNF, réquisitionné par des associations, à Saint-Dalmas de Tende, pour abriter des dizaines de migrants qui affluent sans cesse dans la vallée. Un squat "sans électricité, ni chauffage", explique-t-il.

Jugé pour "aide à la circulation d’étrangers en situation irrégulière"

En passant devant le campement improvisé, Pierre-Alain de Mannoni, fonctionnaire de l’Éducation nationale, enseignant d'écologie marine à l’université de Nice Sophia Antipolis, pense alors qu’il peut aider, modestement, à son échelle. En accord avec le personnel associatif sur place, et après un moment d’hésitation, il décide d’emmener trois jeunes filles, "qui avaient besoin de soins", avec lui. Il souhaite les emmener à Nice, puis le lendemain, les déposer à la gare pour qu’elles puissent rejoindre Marseille "où elles devaient être prises en charge par une association pour être soignées."

>> À lire sur France 24 : "Héberger un migrant chez soi : que dit la loi ?"

Pierre-Alain Mannoni sera arrêté quelques minutes plus tard sur l’autoroute A8 en direction de Nice, au péage de la Turbie. En contrôlant sa voiture, les gendarmes découvrent à l’arrière les trois migrantes à qui l’enseignant avait demandé "de se baisser à l’approche du péage." Jamais il n’a pensé que les autorités le poursuivraient. "Je pensais que les risques étaient pour elles... J’hallucinais, je ne comprenais rien".

C’est le début d'un engrenage judiciaire. Pierre-Alain Mannoni est menotté, placé immédiatement en garde-à-vue, puis 36 heures après, envoyé en comparution immédiate. Son appartement de Nice est perquisitionné. Son procès se tiendra le 23 novembre. Il sera jugé pour délit "d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour d’étrangers en situation irrégulière". Le même chef d’inculpation que pour les passeurs. Selon la loi, aider une personne sans papiers est passible de cinq ans de prison et 30 000 euros d’amende. Pour ne pas être inquiété par la justice, la personne aidante doit pouvoir prouver qu'elle a agi dans un but humanitaire, bénévole et désinteressé.

"Je ne suis pas un passeur, je n’ai jamais touché de sous !"

La vallée de la Roya se situe à une demi-heure en voiture de Vintimille, la ville-frontière, souvent considérée comme un mini-Calais italien en raison du nombre très important de personnes originaires pour la plupart des régions instables d’Afrique qui transitent dans la zone depuis 2015. Chaque jour, pour fuir les nombreux contrôles aux frontières, les migrants contournent la ville italienne et s’aventurent dans les zones montagneuses de la Roya, quitte à se perdre, et à prendre la mauvaise direction, vers les sommets enneigés.

>> À lire sur RFI : "À Vintimille, les migrants gardent l'espoir de passer la frontière"

Pierre-Alain Mannoni sait que la route peut être mortelle. D’après son avocate, Me Maeva Binimelis, plusieurs migrants ont déjà trouvé la mort dans l’arrière-pays niçois, tous victimes d’accidents de la route. Mais quand au commissariat, on lui demande s’il réalise ce qu’il a fait, le père de famille reste interdit. "Non, je ne savais pas… Je me suis juste dit : ‘Demain, ces filles seront prises en charge à Marseille’". Il refuse d’être mis dans le même panier que les trafiquants d’êtres humains. "Je ne suis pas un passeur ! Je n’ai jamais touché de sous. J’aime bien prendre soin des gens. C’est ça ce qui compte dans la vie", ajoute-t-il un peu naïvement. "C’est ça qui m’a poussé à le faire".

Lorsque les forces de l'ordre l'interpellent, c’est la deuxième fois de sa vie, en deux jours, que le père de famille tend la main à des migrants. Tout a commencé la veille de son arrestation, le 16 octobre. Pierre-Alain de Mannoni et sa fille de 12 ans se rendent ce jour-là à la Brigue, dans la vallée de la Roya, pour la fête de la Brebis, une fête paysanne, ancestrale, qui marque la fin de la saison des transhumances. Là-haut, l’enseignant a de nombreux amis, des bergers, des fermiers, dont Cédric Herrou, un militant de l’association Roya Citoyenne, jugé lui aussi, pour avoir ouvert le camp de transit pour migrants dans l’arrière-pays niçois, à Saint-Dalmas de Tende.

"À la gare de Nice, c'était trop risqué, il y a trop de policiers"

Vers 17h, alors qu’il reprend la route pour redescendre vers Nice, il croise quatre jeunes Noirs sur la route. Ce n’est pas la première fois que le père de famille croise la route de migrants dans la vallée, mais cette-fois-ci, il est avec sa fille. Il s’arrête, dit-il, pour montrer l’exemple, "ne pas être indifférent, parce que ça ne coûte pas grand-chose".

Après 15 minutes de conversation, le père de famille comprend que ces quatre adolescents, originaires du Darfour, sont complètement perdus, et qu’ils veulent rejoindre Marseille. Sans l’avoir prémédité, affirme-t-il, il les emmène à Nice, les héberge dans son 40 m2. "Comment voulez-vous redémarrer et vous dire qu’ils ne survivront peut-être pas au froid ?" Le lendemain, il les dépose à la gare des Arcs-Draguignan, à une cinquantaine de kilomètres de son domicile. "C’est assez loin, mais les emmener à la gare de Nice, c’était trop risqué. Il y a trop de policiers. J’ai eu peur qu’ils les renvoient, si près du but, de l’autre côté de la frontière." Opération réussie. Les quatre jeunes grimpent dans un train.

Assignation à résidence ou bracelet électronique

Aujourd’hui, Pierre-Alain Mannoni a interdiction de quitter Nice en attendant son procès. "C’était ça ou le bracelet électronique", explique-t-il. Son avocate Me Maëva Binimelis dénonce son arrestation, jugée arbitraire. "Au début de l'arrivée des migrants, les autorités essayaient d'arrêter les passeurs. Bon nombre ont été condamnés à des peines lourdes. Maintenant on tape sur les associatifs et les militants alors qu'eux ne poursuivent qu'un but humanitaire", explique-t-elle. "Si Mr Mannoni n'avait pas agi, cette nuit-là, il y aurait eu non-assistance à personne en danger".

Me Binimelis rappelle aussi que le cas de son client n’est pas inédit. En décembre 2015, par exemple, une Niçoise avait déjà été condamnée en première instance à 1 500 euros d’amende par le tribunal de Grasse (Alpes-Maritimes) pour avoir facilité le séjour et la circulation de deux Érythréens en situation irrégulière. Elle aussi avait décidé de les emmener dans une autre gare de la région pour les soustraire aux contrôles de police à la gare de Nice.

Pierre-Alain de Mannoni croise les doigts pour que sa bonne foi soit reconnue devant les tribunaux. Il espère aussi avoir des nouvelles des trois Érythréennes qu’il regrette d’avoir "abandonnées". "Quand je demande aux autorités ce qu’elles sont devenues, on me répond que ce n’est pas mon problème. Je pense que si. C’est mon problème, c’est mon histoire et c’est pour elles que j’ai fait ça."

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