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Analyse

Un Tesla est-il possible en Europe ?

Alors que le secteur se prépare à de profonds bouleversements, aucun pionnier ne semble en mesure d'imiter Tesla de ce côté-ci de l'Atlantique. Aucun corsaire ne se lance à l'assaut des constructeurs européens pour inventer (et vendre) la voiture de demain.

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Par Julien Dupont-Calbo

Publié le 21 nov. 2016 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

L'audace aurait-elle déserté certains pans du Vieux Continent ? Un siècle après les glorieux débuts de l'industrie automobile, personne ne semble prêt à reprendre le flambeau en Europe. Aucun pionnier pour faire un autre Tesla de ce côté-ci de l'Atlantique, aucun corsaire pour tailler des croupières aux constructeurs installés, aucun aventurier pour inventer (et vendre) la voiture de demain - qu'elle soit propre, autonome, partagée, connectée ou les quatre à la fois.

On a eu beau chercher, on n'a trouvé que les Allemands de Borgward, un groupe disparu en 1961, qui tâche de renaître de ses cendres. Christian Borgward, le petit-fils du fondateur, a annoncé le mois dernier vouloir investir plus de 10 millions d'euros dans une nouvelle usine à Brême. Sans lui faire injure, cela semble bien peu et, de toute façon, les capitaux en question sont chinois. Il y a aussi les engins à batterie de Vincent Bolloré, mais celui-ci rechigne à se muer en un vrai constructeur - pour l'instant du moins.

L'éloge de la page blanche s'avère pourtant assez aisé. Prises au piège par leurs réseaux de concessionnaires, les marques actuelles n'ont pas vraiment accès à leurs clients. Coincées par des décennies d'investissement dans les moteurs thermiques, leurs ingénieries renâclent à se propulser sans frein dans l'ère électrique. Empêtrés avec des usines sonnant souvent creux (et vieux), les industriels européens, notamment français, peinent à rivaliser avec les ateliers flambant neufs du monde émergent. Engluées dans une logique produit, leurs directions se crispent dès qu'il s'agit de parler service et client. « On ne peut pas renverser la table, même si la tentation existe, soufflait l'an dernier un dirigeant du secteur. On a des dizaines de milliers de bouches à nourrir à chaque fin de mois. »

Un point pour lui. Sauf qu'à terme, il faudra bien que quelqu'un s'y colle. Car à chaque grande étape industrielle, une génération apparaît, remisant au placard une partie de la précédente. C'est le cas dans l'informatique, le commerce, les services. Pourquoi pas dans l'automobile ? « Notre monde figé va exploser avec un tas de nouvelles offres. Comme lors du début de l'industrie, il y a cent ans », pense Guillaume Devauchelle, le directeur R&D de l'équipementier Valeo.

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Le problème est que les quelques projets qui fleurissent - Apple, Faraday Future ou Baidu (LeEco vient de jeter l'éponge) -, viennent des Etats-Unis ou de Chine. Et que les Armand Peugeot, André Citroën, Louis Renault, Carl Benz ou Gottlieb Daimler n'ont pas de successeurs. Quand on pose la question aux observateurs du secteur, nos interlocuteurs nous regardent avec des yeux ronds. En substance, faire naître un constructeur en Europe, c'est « trop compliqué »,« trop cher »,« pas réaliste du tout ». Comprenons-les : le dernier fabricant de voitures à avoir véritablement émergé sur la planète s'appelle Hyundai-Kia. Cela date de 1974, et ce n'était pas sur le Vieux Continent. Ici, c'est l'inverse : on enterre les constructeurs. Lancia, MG, Saab, Rover, reposez en paix.

Clairement, inverser la démographie se révèle une gageure. D'abord pour une triviale question d'argent. « Il faut pouvoir investir des milliards et des milliards, en plus du jus de cerveau. Créer un constructeur ne se fait pas en claquant des doigts », explique Eric Apode, un cadre de DS, la troisième marque de PSA. Pour lui, celle-ci n'aurait jamais pu se développer sans l'apport du constructeur séculaire. « On n'est pas assez solide, ne serait-ce que pour concevoir nos propres systèmes d'aide à la conduite », dit-il. De fait, les dernières marques à être sorties de terre sur le Vieux Continent sont des émanations de grands constructeurs. Mini et BMW, Smart et Mercedes, en attendant Alpine et Renault. Hors de ce cadre, un soutien public lourd (subventions, commandes, normes sur mesure, sur de nombreuses années) paraît primordial. Il est néanmoins compliqué à obtenir, ne serait-ce que pour des questions de concurrence.

Et puis, l'argent ne fait pas tout. En l'espèce, il faut aussi une sacrée dose d'expérience, de savoir-faire industriel et technologique. Sur ce plan-là, on peut toujours débaucher des équipes entières chez PSA, Renault, Valeo ou Faurecia, s'abreuver dans les start-up et les écoles. Mais les recrues, même chevronnées, même géniales, devront franchir une autre montagne. Dans l'automobile, c'est la quantité qui fait la qualité, et sans qualité, pas de quantité. Un cercle vicieux dans lequel on peut se noyer facilement. Ce sujet fiabilité-finition est d'autant plus critique qu'un nouvel entrant doit vite forger son image et sa réputation, savoir donner suffisamment confiance et envie à un client pour lui faire sortir une grosse somme du portefeuille.

Destruction créatrice

Alors, mission impossible ? Pas forcément, puisque Tesla existe. Ce dernier est toutefois né dans des conditions particulières, pile-poil dans un contexte de destruction créatrice. Elon Musk profita des difficultés des constructeurs établis pendant la crise pour poser ses premières pierres. Une usine géante récupérée pour une bouchée de pain à Flint, en Californie. Des presses glanées à Detroit, des fournisseurs en quête désespérée de nouvelles commandes - plus quelques aides venues des pouvoirs publics.

Surtout, Tesla a eu l'intelligence de privilégier les moteurs électriques plutôt que thermiques, évitant ainsi de prendre de front les Audi, Mercedes ou BMW. Ou de se lancer depuis la Californie, un terrain de jeu idéal pour lui, écolo et avide d'avoir son propre constructeur. Etre opportuniste, malin, oser, attaquer les cadors sur leurs flancs, inventer un modèle tourné vers la demande. Voilà les conditions nécessaires, mais pas forcément suffisantes. Avis aux amateurs.

Les points à retenir

Un siècle après les glorieux débuts de l'industrie automobile, personne ne semble prêt à reprendre le flambeau en Europe.

A chaque grande étape industrielle, une nouvelle génération apparaît. C'est le cas dans l'informatique, le commerce, les services. Pourquoi pas dans l'automobile ?

A l'heure de la voiture autonome ou connectée, les projets qui émergent viennent tous des Etats-Unis ou de Chine.

Journaliste au service Industrie Julien Dupont-Calbo

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