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Les chromosomes humains seraient un champ de bataille où les gènes luttent pour leur survie !

Publié le 22 Nov 2016 à 14H00 Modifié le 30 décembre 2022
Chromosome
Un nouveau modèle génétique semble prouver qu'une lutte entre proies et prédateurs se mène au coeur même de notre ADN.

La théorie de l’évolution met notamment en scène les relations entre proies et prédateurs, telle une population de lapins et de loups partageant un habitat commun, comme élément influant l’évolution de ces deux espèces (coévolution).

Mais jusqu’ici, les biologistes n’appliquaient cette théorie qu’aux individus, et non pas aux cellules et molécules biochimiques d’un individu, considérant que la théorie de Darwin ne vaut que pour les êtres vivants en tant qu’unités indivisibles.

Or des chercheurs américains viennent de montrer que cette lutte pour la survie se déroulerait également à l’échelle moléculaire de l’ADN d’un seul individu : des « éléments génétiques » (gènes ou morceaux de gènes) joueraient ainsi au jeu des lapins et des loups. Une sorte de mise en abîme de la théorie de Darwin.

Une lutte pour la « survie » entre éléments non vivants

Les biologistes de l’université de l’Illinois à Urbana-Champaign ont ainsi présenté un nouveau modèle théorique (allié à une simulation) qui semble en accord avec les observations. En substance, il dit qu’en ce moment-même dans l’ADN de nos cellules se déroulerait une lutte pour la « survie » (eut égard au fait que l’ADN n’est pas un être vivant) !

Plus concrètement, les chercheurs se sont penchés sur un type d’assemblage moléculaire : les transposons (improprement nommés « gènes sauteurs »), soit des morceaux d’ADN du chromosome dont la particularité est de se déplacer ou se multiplier dans celui-ci : certains par la méthode du copier-coller, les autres par celle du couper-coller.

Qui est le loup ? Qui est le lapin ?

L’ADN, cette très longue chaine moléculaire qu’on subdivise en gènes et qui forme un chromosome, est pour ainsi dire criblée de ces étranges éléments : 45% du génome humain (ensemble de gènes de ses 23 paires de chromosomes) est formé de transposons, la plupart inactifs mais pas tous.

Les chercheurs ont étudié deux types de transposons actifs : l’un plutôt court nommé Alu, c’est le loup, l’autre long nommé L1, le lapin. Les deux utilisent la méthode du copier-coller.

Le vol d’une photocopieuse

Or, il se trouve que L1 contient un code (séquence) qui lui permet de synthétiser un « photocopieur » (une enzyme) pour se dupliquer, copie qui migre vers un autre lieu du chromosome.

Mais Alu est trop court pour ce faire. Qu’à cela ne tienne : plutôt du genre parasite, Alu capte – pour ne pas dire « vole » – la photocopieuse de L1 et réalise sa copie, car malgré sa petite taille, il possède la capacité de synthétiser une « colle spéciale à photocopieuse ». Mais alors Alu prive L1 de ses moyens !

Les deux populations oscillent

Tel le jeu mortifère entre loups et lapins (ou entre un parasite et son hôte), un trop grand nombre d’Alu phagocytant la machinerie des L1 conduit à la décroissance du nombre de L1 copiés ce qui réduit le nombre de nouveaux photocopieurs construits, et donc le nombre d’Alu copiés diminue. Mais avec la diminution des Alu copiés, la population des L1 copiés peut se refaire… Et ainsi de suite.

Il se produit alors ce qu’on observe couramment dans les populations de proies-prédateurs : des oscillations du nombre d' »individus » des deux « espèces » en décalage l’un par rapport à l’autre. Des vagues donc, que l’on sait mesurer par analyse chimique.

Une lutte qui se poursuit de génération en génération

Et selon les chercheurs, le tempo de ces vagues dépasserait le temps de vie d’une cellule : en se divisant, celle-ci transmet à son « enfant » une copie de l’état de la lutte entre Alu et L1, qui peut alors se poursuivre… ce sur des dizaines ou centaines de générations.

De là à conclure que cette lutte influence sur l’évolution des individus (nous) et leurs lignées, il y a un pas que les chercheurs esquissent.

Darwin universel ?

L’essentiel dans le travail des chercheurs est d’avoir construit leur modèle sur la base d’outils mathématiques décrivant exclusivement la dynamique de type proie-prédateur de populations d’espèces vivantes. Or le plus souvent en sciences un modèle, pour mathématique qu’il soit, n’est pas qu’un artifice calculatoire : s’il marche, c’est qu’il reflète l’essence du mécanisme réel.

Alors que jusqu’ici les lois de la théorie de Darwin étaient supposées ne s’appliquer qu’en référence aux individus d’une espèce, des êtres vivants, les voilà projetées à l’intérieur même des corps sur des « individus » biochimiques. De quoi relancer l’hypothèse d’un « darwinisme cellulaire » défendu jusqu’ici par une infime minorité de chercheurs.

De quoi aussi se demander si, au-delà de la sphère du vivant, Darwin n’aurait pas mis le doigt sur un mécanisme physique plus général et universel

— Roman Ikonicoff

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Les nouveaux mystères de l’ADN – S&V n°1145 – 2013 – Depuis la découverte de la structure de l’ADN, en 1953, les biologistes ne cessent de s’étonner de la sophistication de cette minuscule machinerie qui contient toutes les informations pour faire fonctionner un organisme vivant. C’est un véritable langage, dont les paroles sont des protéines, qui est loin d’avoir été parfaitement déchiffré.

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