Alain Juppé-François Fillon : la bataille des sacristies

Les finalistes de la primaire se disputent l'électorat catholique. Mais, sur ce terrain, l'homme de l'Ouest a une sérieuse avance sur le maire de Bordeaux.

Par

François Fillon et Alain Juppé se disputent l'électorat catholique pour le second tour de la primaire.
François Fillon et Alain Juppé se disputent l'électorat catholique pour le second tour de la primaire. © DR

Temps de lecture : 6 min

Les évêques ont été entendus. Eux qui récemment, dans une lettre ouverte – et très médiatisée –, en appelaient à « retrouver le sens du politique » sont servis. Le champ spirituel est devenu l'un des terrains d'affrontement des deux candidats à l'investiture de la droite pour la course à l'Élysée. Choc de convictions, mais aussi d'arithmétique électorale : selon l'Ifop, les catholiques pratiquants représenteraient 15 % des électeurs de la primaire.

La newsletter politique

Tous les jeudis à 7h30

Recevez en avant-première les informations et analyses politiques de la rédaction du Point.

Votre adresse email n'est pas valide

Veuillez renseigner votre adresse email

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

Distancé chez cet électorat par François Fillon, Alain Juppé tente de combler son retard, se plaçant sous l'ombrelle du pape François et dénonçant la vision « traditionaliste » de son adversaire. Le positionnement, évidemment, n'est pas le fruit du hasard. Entre conservateurs et progressistes, soit, d'un côté, les partisans d'une ligne doctrinale rigoriste incarnée par le théologien Benoît XVI et, d'un autre côté, les tenants d'une ouverture défendue à grand renfort de gestes symboliques par le pastoral pape François, la bataille fait rage au Vatican. Et, évidemment, parmi les fidèles. « Il y a plusieurs pièces dans la maison du Père », dit l'évangile de saint Jean.

Le catholicisme d'un notable bon teint

Alain Juppé se pose en progressiste et renvoie son adversaire dans le camp des ultras, conservateurs s'entend. Argument facile : François Fillon est le candidat qui a été choisi – après audit de tous les autres – par Sens commun, le bras politique de la Manif pour tous, pour défendre les valeurs de la famille traditionnelle – un papa, une maman et des enfants.

Las, faire de l'homme de l'Ouest, serré dans sa veste matelassée, marié depuis longtemps avec la même femme, père de cinq enfants, le héraut des « tradis » est tentant. Mais un peu court. Traditionaliste, François Fillon ? L'attaque paraît mal ajustée. Le Sarthois ne reviendra pas sur l'IVG et le mariage gay, il l'a dit et répété. Il n'a pas inscrit dans son programme l'abrogation de la loi Taubira, il propose de réécrire la circulaire signée par la ministre de la Justice de l'époque pour en « corriger les excès », dit-il, sur les conditions d'adoption d'enfants par des couples gay, ainsi que sur les critères de recours à la PMA et à la GPA. Nuance importante, et sur ce point François Fillon se différencie assez peu du programme d'Alain Juppé. Le séguiniste Fillon nourrit sa foi chez ses voisins bénédictins de l'abbaye de Solesmes, qui ne sont pas les fervents défenseurs, Grand Dieu, d'un catholicisme ultra.

Dans son livre Faire (Albin Michel), qui a lancé sa campagne à la rentrée 2015, François Fillon a consacré un long chapitre à son rapport à Dieu. Et si l'homme y confesse son adhésion – « J'ai été élevé dans cette tradition et j'ai gardé cette foi » –, il avoue aussi ses doutes et, in fine, n'y apparaît pas comme  un « béni-oui-oui », pour faire vite. Quant au leader politique, il s'en tient à une ligne de conduite ténue qu'il définissait ainsi dans Le Point en août dernier : « Je suis profondément laïque dans ma conception du pouvoir, mais j'ai un engagement religieux, j'ai une foi, et je n'accepterai pas que l'État m'empêche de la pratiquer. » Une position qui, soit dit en passant, est la même qu'un certain François Bayrou... Le catholicisme de François Fillon apparaît davantage comme celui d'un notable bon teint. Classique, mais certainement pas traditionaliste.

Ce mot n'a pas été choisi par hasard par le maire de Bordeaux : il est fait pour piquer. Et reprendre l'avantage sur cet électorat que François Fillon soigne depuis longtemps, creusant méticuleusement son sillon dans ces cercles catholiques.

Tout comme le chef, la garde rapprochée du Sarthois – Bruno Retailleau, Jérôme Chartier, Valérie Boyer – ne fait pas mystère de ses convictions catholiques personnelles. François Fillon a été le premier candidat à envoyer une lettre ouverte aux évêques, à défendre les chrétiens d'Orient et à s'affirmer comme le protecteur des valeurs de la famille classique. « En visant le totalitarisme islamique, comme le souligne La Croix , François Fillon rassure des milieux catholiques rétifs à un discours laïque globalisant sur le religieux. » Cette stratégie a fini par faire mouche auprès d'un électorat laissé en jachère par la droite traditionnelle – et sur lequel, par exemple, a « bondi » Marion Maréchal-Le Pen.

Un « catholique agnostique »

Comme les autres candidats de la primaire, Alain Juppé s'est avancé sur ce terrain, au début, sur la pointe des pieds. Dans son adolescence, le maire de Bordeaux songea à entrer dans les ordres, comme il l'a confié à l'historien Dominique Lormier.

Mais, depuis, il a pris quelques distances avec les choses de l'au-delà, se définissant, à l'instar de nombreux de ses coreligionnaires, comme « catholique agnostique ». Le candidat n'a répondu à l'interpellation des évêques que trois jours avant le premier tour de la primaire, pour y dresser le constat que la France est devenue une société « multiculturelle », que le christianisme est, « par construction, « une invitation et une source » pour mieux dialoguer avec les musulmans » et que la laïcité doit nécessairement être ouverte – « La laïcité, ce n'est pas l'ignorance ou le rejet du fait religieux, mais la reconnaissance et le dialogue. »

Alain Juppé, lui aussi, a reçu le renfort de têtes d'affiche catholiques tels les parlementaires Hervé Mariton et Philippe Gosselin, en première ligne dans les rassemblements de la Manif pour tous, tout comme Jean-Pierre Raffarin. Mais, à la différence de son concurrent, il prône un catholicisme sans doute moins identitaire, plus ouvert, plus social. « Je reste attaché à l'Église catholique, confiait Alain Juppé au Point en janvier dans un débat avec le philosophe Alain Finkielkraut. J'ai retenu ce qui me paraît être le message essentiel du christianisme : ce n'est pas le rejet de l'autre, ce n'est pas la porte fermée à l'étranger, mais exactement le contraire. C'est l'accueil de l'autre, l'amour de son prochain. N'instrumentalisons pas les racines chrétiennes pour prôner le repli et le rejet des étrangers. »

Guère étonnant, donc, que celui qui veut incarner une candidature d'ouverture se place sous les mânes du pape François, du moins le Saint-Père qui multiplie les gestes vis-à-vis des exclus, des marginaux et des migrants, qui dit sur l'homosexualité « Qui sommes-nous pour juger ? » ou celui qui, comme il vient de le faire dans sa lettre apostolique publiée le 21 novembre, donne aux prêtres « la faculté d'absoudre le péché d'avortement ». Mais le pape de Juppé n'est-il pas celui de Fillon ? Pragmatique, le pape François a intégré les changements profonds à l'œuvre dans les sociétés occidentales et dans les rapports géopolitiques. D'où ces inflexions qu'il donne, en les soulignant à grands traits, à la doctrine générale de l'Église. Mais, sur les fondamentaux, il suit la ligne de ses prédécesseurs, à savoir plutôt progressiste sur les questions sociales mais conservateur sur les moeurs et la famille. Le pape François reste le défenseur d'une famille classique, traditionnelle, tel qu'il l'exprime nettement dans Amoris laetitia, son exhortation apostolique publiée en avril dernier.

Traditionnelle. Pas traditionaliste. Dans sa dernière lettre publiée le 21 novembre, François a ouvert « le temps de la miséricorde ». De quoi méditer pour les deux concurrents de la primaire quand viendra le choix définitif des électeurs, puis celui du rassemblement.

Ce service est réservé aux abonnés. S’identifier
Vous ne pouvez plus réagir aux articles suite à la soumission de contributions ne répondant pas à la charte de modération du Point.

0 / 2000

Voir les conditions d'utilisation
Lire la charte de modération

Commentaires (76)

  • hip68

    - "Je m'appelle : Fill. "
    - "Moi, c'est : Jupp. "
    -Catho ? Oui, je le suis et même catho tradi.
    -Et toi ? Moi, catho agno.
    -Très drôle, cher ami, je viens de comprendre l'élégance du propos !
    Nous ne sommes pas dans le dialogue religieux et encore moins dans nos sacristies à nous entre-détruire, comme semble le croire Cordelier !
    Mais alors ! Toujours pas compris ?
    Voyons, c'est pourtant simple ! On baigne dans l'apocope. Pardieu !

  • SALURA

    Je ne mélange pas la religion avec la politique... Dans ma famille (catholique) on a toujours voté à droite ou au centre... (la gauche était considéré surtout les communistes comme des anti Christ)
    sI PERSONNELLEMENT je vote FILLON c'est pour raison que son concurent qui est devenu méchant (je mesure mes propos) a de ce fait perdre la droite et quoi qu'il advienne je et beaucoup de votants n'en veulent absolument pas... Ils ne voteront certainement pas à gauche... Et au pire s'abstiendront ce qui ne sera pas mon cas... Juppe est l allé trop loin et le paiera... Très vite et pour longtemps...

  • Le sanglier de Génolhac

    Qui à leur mort faisaient tuer leurs gardes, leurs serviteurs, leurs concubines, tous leurs enfants sauf l'ainé pour ne pas partir seuls. Comme à la fin d'un film célèbre où l'on entend une vois chevrotante demander "Paris brûle-t'il ? ". Triste spectacle d'un politicard fini, aigri, méchant et qui trimbalerait sur son dos voûté par l'âge sa propre momie afin que le peuple prosterné le pense immortel.