Les eurodéputés réclament un gel des négociations sur l’adhésion de la Turquie

Federica Mogherini et Christos Stylianides au Parlement européen le 22 novembre 2016 [Parlement européen]

Les principaux groupes politiques au Parlement européen ont affirmé le 22 novembre que la Commission devait temporairement geler les négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE, une proposition que Bruxelles voit d’un mauvais oeil.

« Notre message à la Turquie est très clair : les négociations en vue de son adhésion doivent être immédiatement gelées », a déclaré Manfred Weber, responsable du plus grand groupe du Parlement européen, le Parti populaire européen de centre droit.

Ce dernier a aussi insisté sur le fait que si la Turquie réintroduisait la peine de mort, l’UE doit bien faire comprendre qu’un tel pays ne peut pas devenir membre de l’UE. En effet, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a fait allusion au rétablissement de la peine de mort qui, selon lui, dépendra de la « volonté du peuple ».

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Manfred Weber a également déclaré que le coup d’État avorté du 15 juillet ne devait pas être utilisé par les autorités de manière abusive. « Des milliers de fonctionnaires ont été virés. La liberté de la presse est limitée. Certains médias ont été obligés de mettre la clé sous la porte. Des responsables politiques, des députés élus démocratiquement, sont en prison. Cette situation est très inquiétante », a-t-il estimé.

« Nous souhaitons lancer cet appel : la Turquie est une amie, un partenaire, mais dans l’intérêt de ses citoyens, elle doit rapidement changer de cap », a expliqué Manfred Weber.

Gianni Pittella, chef de file des socialistes, le second parti du Parlement, a aussi appelé au gel des discussions sur l’accession de la Turquie à l’Union. Selon lui, cela permettrait d’envoyer « un message politique à Erdoğan » pour qu’il cesse les « détentions en masse, les accusations de responsables politiques et de députés, la répression de journalistes et de juges. »

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« Mr Erdoğan transforme de plus en plus la Turquie en un régime autoritaire », a commenté Gianni Pittella, tout en ajoutant : « Notre message politique à la Turquie est : les droits de l’Homme, les droits civils et la démocratie sont non négociables si vous voulez faire partie de l’UE. »

D’autres ont fait écho à ce discours, dont le chef du groupe libéral ALDE, Guy Verhofstadt. « L’Union européenne perd de la crédibilité en détournant le regard de la tentative d’Erdoğan d’installer un régime autoritaire. Nous devons donc mettre un terme immédiatement aux négociations d’adhésion de la Turquie. Ne pas approuver cette résolution reviendrait à trahir nos propres citoyens et ceux de Turquie, notamment ceux qui considèrent que l’Europe est leur avenir », a insisté Guy Verhofstadt.

Négociations malhonnêtes

Le vice-président du Parlement européen, Alexander Lambsdorff, rapporteur fictif de l’ALDE sur la Turquie, a qualifié les négociations de « fondamentalement malhonnêtes ». « Ni la Turquie ni les États membres de l’UE ne sont intéressés par la réussite des négociations », a-t-il dit tout en ajoutant que l’ALDE n’appelait pas seulement à la suspension immédiate des discussions, mais aussi au gel des fonds de pré-adhésion.

Syed Kamall, responsable du groupe des conservateurs et réformistes européens (ECR), a aussi appelé l’UE à avoir une relation plus honnête et nouvelle avec la Turquie. Le parti AKP de Recep Tayyip Erdoğan est un membre associé de la famille ECR. Selon lui, le parti au pouvoir contient toujours beaucoup d’éléments qui cherchent à combiner Islam, démocratie, et libéralisation économique, mais les actions d’Erdoğan sont assez préoccupantes pour que la plupart des eurodéputés s’unissent pour dire « ça suffit ! »

Même s’il reconnaît que l’UE doit prendre en compte des facteurs géopolitiques plus larges, Syed Kamall estime que l’UE devrait se concentrer davantage sur un partenariat honnête avec la Turquie plutôt que d’essayer de faire pression sur Recep Tayyip Erdoğan dans la perspective d’une adhésion peu réaliste.

« Je crois qu’aujourd’hui, ce Parlement est désormais uni pour dire ça suffit », a-t-il martelé. Le responsable de l’ECR a ajouté qu’il comprenait parfaitement pourquoi certains politiques des gouvernements nationaux étaient réticents à critiquer Erdoğan, faisant ainsi référence à l’accord UE-Turquie sur la crise migratoire et la volonté de s’engager avec la Turquie au niveau géopolitique. « Soyons toutefois honnêtes les uns envers les autres. Et pour être honnêtes avec la Russie, nous devons d’abord être honnêtes avec nous-mêmes. »

Régime d’Erdoğan

Au nom du groupe de gauche GUE/NGL, Takis Hadjigeorgiou, vice-président de la délégation du Parlement européen en Turquie, a déclaré que son groupe exhortait les dirigeants européens à mettre fin immédiatement à l’accord controversé sur les migrants et à réexaminer tous les liens avec le régime d’Erdoğan. « Si le Parlement européen n’avait pas tenu ce débat sur la Turquie et n’avait pas voté cette résolution, il aurait perdu la dernière once de dignité qu’il lui reste », a-t-il estimé. En effet, une résolution est désormais en cours de préparation pour demander le gel des négociations.

Takis Hadjigeorgiou a également condamné l’arrestation du leader du parti pro-kurde HDP, Selahattin Demirtaş.Ankara a récemment empêché une délégation d’eurodéputés et de députés nationaux de rendre visite à Selahattin Demirtaş, emprisonné depuis presque trois semaines.

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La chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, a quant à elle appelé à la prudence. « Je pense que le meilleur moyen de renforcer la démocratie turque […] est de s’engager avec la Turquie, de laisser les canaux de communication ouverts », a-t-elle assuré lors de la session parlementaire. « Si la procédure d’adhésion de termine, nous serons dans un scénario où toutes les parties sont perdantes », a-t-elle ajouté.

Peine de mort

« Nous avons besoin de plus de clarté sur ce que veulent nos partenaires turcs. En ce sens, il est évident que si Ankara passe à l’action sur le thème de la peine de mort, ce sera un signal clair que la Turquie ne veut pas être un membre de la famille européenne ni un membre du Conseil de l’Europe, ce qu’elle est maintenant, ni de l’UE. L’adhésion [à l’UE] signifie partager les valeurs défendues par l’Europe – et la peine capitale n’en fait pas partie », a rappelé Federica Mogherini.

Le 14 novembre, les ministres européens des Affaires étrangères ont critiqué les persécutions de la Turquie envers les présumés partisans du coup d’État échoué, mais l’appel de l’Autriche pour suspendre les négociations de l’UE avec Ankara n’a pas rallié un soutien unanime.

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Johannes Hahn, commissaire européen à l’élargissement et à la politique de voisinage, a récemment déclaré que sous la pression de certains groupes politiques et de certains États membres pour geler les négociations d’adhésion de la Turquie, il souhaitait un mandat clair pour discuter du problème avec Ankara.

Les chefs d’État et de gouvernement de l’UE devraient discuter une nouvelle fois de la Turquie les 15 et 16 décembre à Bruxelles, lors de leur dernière réunion de l’année.

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