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L'eSport et les chiffres : la dangereuse tentation de la surestimation

La finale des Worlds 2015 a rassemblé 17000 personnes dans un stade à Berlin. (L'Equipe)
La finale des Worlds 2015 a rassemblé 17000 personnes dans un stade à Berlin. (L'Equipe)

L'eSport est indiscutablement un phénomène en plein essor, mais ses acteurs ont bien souvent la fâcheuse tendance à vouloir l'amplifier. En diffusant ou relayant des chiffres pour le moment déconnectés de toute réalité. Décryptage.

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En juin 2015, ESPN the Magazine publiait un numéro spécial dédié à l'eSport. À l'intérieur, un long portrait du Lionel Messi de League of Legends, le Sud-Coréen Faker, mais aussi une double page data, titrée Resistance is futile, La résistance est inutile. Chiffres à l'appui, le magazine dévoilait la puissance du phénomène, entre revenus à sept chiffres pour les pro gamers les plus skillés et audiences en croissance folle depuis l'avènement de Twitch, suite à son rachat par Amazon à l'été 2014.

Un fameux graphique comparait l'audience de la finale de League of Legends 2014 (20 millions), disputée à Séoul dans un stade de 40 000 places, et la positionnait notamment devant celle du match 5 des finales NBA 2014 (15,5 millions). L'eSport ferait déjà mieux que des sports majeurs : l'argument, massue, fait illico le tour des médias, repris en boucle par l'écrasante majorité des acteurs du secteur, moins motivés à l'idée de vérifier la véracité de l'information (erronée) qu'à celle d'alimenter la hype grandissante entourant la discipline. Question de priorités. Lorsqu'il publie son magazine, ESPN a déjà commencé à investir l'eSport, en retransmettant des compétitions à la télévision, et s'apprête à passer à la vitesse supérieure, en lançant, six mois plus tard, un espace dédié sur son site internet.

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Le graphique d'ESPN, qui place les Worlds devant plusieurs évènements sportifs majeurs.  (D.R)
Le graphique d'ESPN, qui place les Worlds devant plusieurs évènements sportifs majeurs. (D.R)

Nicolas Cerrato (Gamoloco) : «Quand tu dis à un milliardaire que l'audience de l'eSport, c'est déjà au-dessus de la NBA, il y a des chances qu'il se précipite»

«L'article d'ESPN a convaincu pas mal de monde d'investir dans l'eSport, assure Nicolas Cerrato, cofondateur de Gamoloco, qui mesure l'audience des plateformes de streaming. Quand tu dis à un milliardaire que l'audience de l'eSport, c'est déjà au-dessus de la NBA, il y a des chances qu'il se précipite.» C'est justement parce que le secteur manquait (et manque encore) de données fiables sur son audience que ce Français, passionné de jeux vidéo, a fondé sa société.

Son discours, moins aguicheur que celui de ses anciens camarades, lorsque le secteur en était à ses balbutiements à la fin des années 1990, fait évidemment grincer quelques dents. «L'eSport, j'y crois énormément, mais le risque avec ce flou sur les chiffres, c'est de créer des bulles, se défend-il. Les promesses sont énormes, mais il reste encore plein de choses à construire.»

Audience cumulée (League of Legends) vs Audience moyenne (Sports traditionnels)

Reprenons les audiences de la finale de League of Legends (Worlds), mais celle d'octobre 2015, à la Mercedes-Benz Arena de Berlin : selon Riot Games, l'éditeur du jeu, l'évènement a attiré dans le monde entier 36 millions de personnes qui, à un moment où un autre (pas forcément en même temps, donc), ont suivi la victoire de SKT face aux KOO Tigers. Il s'agit d'une audience cumulée.

Pas d'une audience moyenne, comme celle communiquée par ABC à l'issue du match 7 de la finale NBA entre Golden State et Cleveland, en juin 2016 : en moyenne, pendant la rencontre, il y avait 31 millions de personnes devant leur poste de télévision à suivre, en même temps, le succès des Cavaliers. Le pic d'audience a atteint 44,5 millions de personnes, sur la seule chaîne ABC, contre 14 millions dans le monde entier et sur tous les supports pour la finale des Worlds 2015.

En résumé, le pic d'audience des Worlds 2015 n'a pas atteint la moitié de l'audience moyenne du match 7 des finales NBA 2016...

Fans d'eSport et revenus des pros gamers, deux autres exemples d'amplification

Newzoo, société qui produit des études de marché références pour le secteur, estime qu'en France, 4,5 millions de personnes s'intéressent à l'eSport. Un chiffre impossible à vérifier, mais qui est assurément très généreux. En octobre 2016, 20 millions d'heures de programmes eSports francophones ont été visionnés sur Twitch. «La durée moyenne de visionnage, par jour et par utilisateur, est estimée (par Twitch) à 1h15, ce qui donne environ 500 000 personnes, en France, sur Twitch chaque mois», analyse Nicolas Cerrato. On peut toujours y ajouter les Français anglophones et les curieux occasionnels, de là à combler le gap jusqu'aux 4,5 millions évoqués...

Autre exagération assez fréquente : 500 pro gamers dans le monde émargeraient à 100 000 dollars annuels ou plus. Au 23 novembre, ils sont 160 à avoir gagné plus de 100 000 dollars en cash prize, 277 si l'on descend à 50 000 dollars, et 500 à 25 000 dollars, en sachant que le cash prize constitue bien souvent la part la plus conséquente de la rémunération d'un pro gamer, devant l'éventuel salaire et les éventuels revenus de streaming et de sponsoring.

Ce qui serait juste, en revanche, et tout aussi porteur pour l'industrie naissante, c'est de souligner la croissance exponentielle des revenus dans le secteur, puisque quatre ans en arrière, on ne comptait en fin d'année que 17 pro gamers à 100 000 dollars ou plus de cash prize.

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