A quelques jours de l’ouverture de la COP22 à Marrakech, l’affaire avait fait grand bruit. Alors que le Maroc s’apprêtait à recevoir le monde entier pour une grand-messe contre le dérèglement climatique, deux mineures étaient arrêtées pour « homosexualité », un crime passible de trois ans de prison selon le droit marocain. Leur procès devait se tenir vendredi 25 novembre. L’affaire a mis en lumière les vifs débats de la société marocaine sur le sujet.
Agées de 16 et 17 ans, S. et H. ont été arrêtées le 27 octobre. C’est la mère de S. elle-même qui a emmené les deux jeunes filles au poste de police. Elle aurait expliqué aux policiers les soupçonner de relation homosexuelle. En cause notamment : la découverte d’une photo de baiser entre les deux jeunes filles sur l’un de leurs téléphones. S. et H. ont été détenues quarante-huit heures avant d’être présentées au procureur. « Ces deux filles pourraient aller en prison simplement pour avoir exprimé de l’affection l’une envers l’autre », a dénoncé Sarah Leah Whitson, de l’ONG Human Rights Watch, appelant « les autorités marocaines [à] abandonner les charges contre elles et à arrêter de poursuivre les gens pour des actes privés consentants ».
« On confond péché et crime »
Si c’est la première fois qu’une telle affaire concerne des femmes, les médias marocains rendent compte à intervalles réguliers de cas d’hommes poursuivis pour homosexualité. Selon l’article 489 du Code pénal marocain, les actes de « déviance sexuelle » entre personnes d’un même sexe sont passibles de peines pouvant aller jusqu’à trois ans de prison et une amende de 1 000 dirhams (94 euros). Le collectif Aswat, créé en 2013, qui milite pour la défense des minorités sexuelles, a répertorié dix-neuf cas de poursuites entre janvier et mars à Casablanca.
« L’homosexualité a toujours existé mais les codes sociaux font que tu dois le cacher car la société n’est pas prête à le tolérer. Cette hypocrisie ne concerne pas seulement l’homosexualité. Un certain nombre de gens boivent de l’alcool, font la fête, ont des relations hors mariage. Mais cela devient honteux dès lors que c’est sur la place publique », souligne une membre d’Aswat, qui souhaite rester anonyme. « Je ne sais pas si les poursuites sont plus nombreuses, mais elles sont plus médiatisées », souligne la jeune militante.
Le 9 mars, l’agression violente de deux homosexuels à Beni Mellal (centre) avait fait les gros titres de la presse. Plusieurs jeunes gens avaient fait irruption dans un appartement de la ville, où ils avaient attaqué deux hommes. Une vidéo de l’agression, postée sur les réseaux sociaux, avait provoqué une vive polémique dans le pays où les débats entre ceux qui militent pour la dépénalisation de l’homosexualité – une minorité – et ceux qui s’y opposent sont intenses. Si une partie de la société a été choquée, Beni Mellal a aussi été le théâtre de manifestations de soutien aux agresseurs. Devant la justice, ceux-ci ont été condamnés pour « effraction, recours à la violence et port d’armes ». Les victimes aussi : l’un à quatre mois de prison ferme pour « actes sexuels contre nature » mais relâché en appel après vingt-six jours passés en prison, le deuxième à quatre mois de prison avec sursis.
« Dans des sociétés comme le Maroc où il n’y a pas de séparation entre le sacré et le droit, où la religion reste le socle le plus important, ce sont des sujets hypersensibles », rappelle Asma Lamrabet, la directrice du Centre des études féminines en islam, qui poursuit : « Que ce soit pour l’homosexualité ou d’autres sujets de société, le problème est celui de la pénalisation. On confond péché et crime. Je peux refuser l’homosexualité d’un point de vue moral, religieux, cela relève de la vie privée. Mais en faire un crime dans le droit, c’est cela qui est aberrant. »
La problématique ne concerne pas seulement l’homosexualité, mais aussi l’avortement et la pénalisation des relations sexuelles hors mariage. « Il y a un conservatisme croissant mais qui est général au monde arabo-musulman avec, face à la violence de la modernité, un recours à une lecture très rigoriste de la religion », analyse Mme Lamrabet pour qui, paradoxalement, la diffusion sur la place publique d’affaires comme celle de H. et S. témoigne aussi d’une évolution de la société, car « il y a de nombreux endroits où ces débats ne seraient même pas possibles ».
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu