Un couple de phasmes (Asprenas sp.) endémiques de Nouvelle-Calédonie, découvert lors du volet forestier de l’expédition.
En Nouvelle-Calédonie, à la recherche
de la « biodiversité négligée »
Des espèces uniques
au monde
Reportage de Yann Chavance (texte et photos)
Depuis une décennie, le programme La Planète revisitée concentre son inventaire de la biodiversité sur des zones bien précises. Mais pour cette mission en Nouvelle-Calédonie, les chercheurs ont dû adapter leurs méthodes aux caractéristiques uniques de la région : ici, la plupart des espèces ne vivent que sur un étroit territoire et nulle part ailleurs.
Pour beaucoup, il ne s’agirait que d’une insignifiante tache noire sur un tronc. Pour Laurent Soldati, entomologiste à l’Institut national de la recherche agronomique, c’est assurément une belle découverte. Ce spécialiste des coléoptères s’empresse de saisir le minuscule insecte, qui finit sa course dans le pot de collecte accroché à la ceinture du naturaliste.
« Je sais qu’il fait partie du genre Isopus, mais il faudra que je regarde plus en détail pour connaître l’espèce. Il est encore trop tôt pour s’avancer, tempère-t-il, prudent. Mais par expérience, connaissant bien la Nouvelle-Calédonie, la probabilité que ce soit une nouvelle espèce est très forte, comme la probabilité que l’espèce soit très localisée. »
Ce scientifique participe au vaste programme La Planète revisitée, conduit par le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et l’ONG Pro-Natura International. Il a pour objectif, courant novembre, de procéder à un inventaire de la « biodiversité négligée » de l’archipel, à commencer par celle des forêts et plus particulièrement dans la « côte oubliée », une chaîne montagneuse de quelques dizaines de kilomètres de long, vierge de toute présence humaine. Laurent Soldati avait déjà participé, en 2008, à une autre expédition dans la région : sur la dizaine d’espèces récoltées dans le groupe d’insectes qu’il étudie, seule une était déjà connue auparavant.
Micro-endémisme
La richesse de la biodiversité est la marque de la Nouvelle-Calédonie. Sur ce territoire coupé du reste du monde depuis des dizaines de millions d’années, la grande majorité des espèces sont endémiques, vivant uniquement dans l’archipel et nulle part ailleurs sur la planète. Et ce, dans des proportions hors du commun : ici, près de 80 % des plantes sont endémiques. Pour certains groupes d’insectes, ce chiffre monte à 90 %. Mais surtout, la Nouvelle-Calédonie est réputée pour son micro-endémisme. Autrement dit, de nombreuses espèces ne vivent que dans telle rivière, dans telle vallée ou sur tel sommet, comme c’est probablement le cas pour le petit Isopus découvert par Laurent Soldati.
« De nombreuses propositions ont été faites pour expliquer le grand nombre d’espèces restreintes à un très petit territoire, mais aucune n’explique totalement ce taux de micro-endémisme qui n’a pratiquement pas d’équivalent dans le monde, souligne Philippe Grandcolas, directeur de recherche au CNRS-MNHN. Cela reste un défi à la compréhension, aujourd’hui encore sans réponse réellement satisfaisante. »
De nombreuses espèces d’insectes se cachent dans le bois des troncs morts.
Les filets à papillons servent également à capturer blattes, grillons et petits coléoptères.
Tous les jours, les chercheurs doivent trier les spécimens collectés pour faciliter leur conservation et leur identification ultérieures.
C’est pour mieux comprendre cette particularité néo-calédonienne que les équipes du programme La Planète revisitée, mené depuis dix ans dans différentes régions du monde, ont dû revoir leurs protocoles. Plutôt que de traquer la petite faune sur une zone bien précise comme lors des précédentes missions, il a fallu concevoir un effort de collecte réparti sur trois sites distants de quelques kilomètres. Sur chacun de ces sites, dix pièges à insectes seront disséminés autour du camp de base.
Grandes toiles de tissu
« Nous utilisons une méthode de piégeage standardisée mais également assez généraliste, qui piège un grand nombre d’insectes volants, décrit Philippe Grandcolas, à l’origine du protocole. Cependant, la densité animale étant plutôt faible en Nouvelle-Calédonie, il faut laisser ces dispositifs suffisamment longtemps pour avoir une image représentative de la faune du sous-bois et pouvoir évaluer le micro-endémisme. »
Ces pièges, de grandes toiles de tissu interceptant les insectes volants, ont ainsi été installés plusieurs jours avant l’arrivée des scientifiques sur chaque site et seront démontés peu après leur départ. Pour mener à bien cette complexe logistique et acheminer pièges et scientifiques sur les différents sites, une vingtaine d’allers-retours en hélicoptère seront finalement nécessaires durant les quatre semaines d’expédition.
Pour Olivier Pascal, le responsable du volet forestier de l’expédition, qui coordonne ce gigantesque ballet aérien depuis le camp de base du premier site, le jeu en vaut la chandelle. « Jusqu’ici, le micro-endémisme n’a été étudié que sur quelques groupes d’insectes, nous allons voir si ces schémas de répartition peuvent être généralisés à tous les groupes, explique le scientifique. Nous pourrons également comparer des milieux différents et pourquoi pas les prioriser dans une idée de protection, en montrant par exemple que telle forêt est plus riche que telle autre. »
Pour cela, dès que les forêts de la « côte oubliée » auront retrouvé leur quiétude, le contenu de tous les pièges sera trié puis envoyé à une batterie de spécialistes afin d’identifier les espèces capturées. Enfin, cette expertise se verra complétée par une série d’analyses génétiques avant que les équipes de La Planète Revisitée ne reproduisent ce protocole de collecte sur trois autres sites, l’année prochaine dans le nord de l’île.
Tous les jours, les chercheurs doivent trier les spécimens collectés pour faciliter leur conservation et leur identification ultérieures.
Le programme « La Planète Revisitée » s’intéresse à la petite faune, qui ne se dévoile parfois que sous la loupe binoculaire.
Durant le volet terrestre de l’expédition, les chercheurs ont collecté plusieurs espèces de phasmes, pour la plupart endémiques.