Le Désert de feu de Sebastião Salgado
The following excerpt is from Sebastião Salgado's impending book "Kuwait: A Desert on Fire" (out November 23 via Taschen) in which the Brazilian photographer explains what inspired him to capture the oil fires set ablaze by Iraqi soldiers in 1991, as well

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Le Désert de feu de Sebastião Salgado

Quand les gisements pétrolifères du Koweït se transforment en véritable enfer.

Le texte et les photos suivants sont extraits du dernier livre de Sebastião Salgado intitulé Kuwait : Un désert en feu, sorti le mois dernier chez Taschen. Dans la préface de cette nouvelle œuvre, le photographe brésilien raconte son expérience au milieu de ces puits de pétrole incendiés par les soldats irakiens en février 1991, lors de la guerre du Golfe.

Connu pour son engagement humaniste et écologiste, l'homme a tenu à témoigner de cette véritable catastrophe environnementale, malgré les conditions extrêmes. Publiées en juin 1991, ses images ont été récompensées du prix Oskar Barnack.

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Véritable évènement dans l'édition photo, ce livre illustre un pan de notre histoire moderne et met en avant les conséquences environnementales que peuvent avoir les conflits contemporains.


Par pure coïncidence, je me trouvais alors au Venezuela pour photographier l'importante industrie pétrolière de ce pays lorsque j'appris que les champs pétrolifères du Koweït étaient en flammes. Les nouvelles de cette catastrophe alarmaient d'ailleurs le Venezuela au point où, pour des raisons de sécurité, il interdit ses sites d'exploitation aux étrangers et m'expulsa très vite de la région pétrolière de Maracaibo. À cette époque, le monde entier savait qu'une gigantesque coalition militaire internationale, conduite par les États-Unis, se préparait à chasser l'armée irakienne du Koweït. Son succès allait marquer le début d'une ère d'instabilité dans tout le Moyen-Orient, situation qui se poursuit encore aujourd'hui.

Dès l'entrée des forces de la coalition au Koweït à la mi-­février 1991 – qui allait mettre fin aux rêves expansionnistes de Saddam Hussein en à peine deux semaines –, je compris que la guerre allait se poursuivre sous une autre forme dans les champs de pétrole du Koweït où plus de 600 puits flambaient et beaucoup d'autres étaient gravement endommagés. J'ai alors appelé Kathy Ryan, éditrice photo au New York Times Magazine, et lui proposai de couvrir le sujet. Elle réagit avec enthousiasme et je lançai le planning.

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Photos de Sebastião Salgado/Amazonas images, publiées avec l'aimable autorisation de Taschen.

Photos de Sebastião Salgado/Amazonas images, publiées avec l'aimable autorisation de Taschen.

Le pétrole marque à la fois le début et la fin de l'histoire de l'invasion irakienne. Si Bagdad réaffirmait souvent ses revendications historiques sur le territoire du Koweït, Saddam Hussein était particulièrement furieux de ce que – d'après lui – la surproduction pétrolière koweïtienne fasse baisser le cours mondial du baril. De plus, il pensait que, dans le vaste champ pétrolifère de Rumaila qui s'étend de chaque côté de leur frontière commune, le Koweït utilisait des techniques de forage oblique pour prélever du pétrole appartenant à l'Irak. En annexant le Koweït, l'Irak aurait pu non seulement augmenter significative­ment ses réserves pétrolières mais accroître son influence sur le marché du pétrole. Initialement du moins, ces raisons suffisaient pour évincer la famille royale koweïtienne.

Ces plans furent néanmoins modifiés quand il apparut clairement que l'armée irakienne allait au-devant d'une défaite certaine face à une coalition internationale beaucoup plus puissante et à l'opération « Desert Storm » sur le point d'être déclenchée. En janvier 1991, les soldats irakiens commencèrent à mettre feu aux puits koweïtiens, acte délibéré qui allait faire aboutir au moins un des objectifs de Saddam Hussein : faire augmenter les prix du pétrole. Le dictateur voyait également dans ces sabotages un intérêt militaire. La fumée noire des puits en feu pouvait – et réussit à – limiter la visibilité de l'aviation de la coalition, fournissant une certaine protection aux forces irakiennes au sol. Par ailleurs, des ordres furent donnés de creuser de longues tranchées et de les remplir de pétrole en feu pour ralentir l'avancée des tanks et des équipements lourds de la coalition. Malgré tout, le 28 février fut la date de la fin de l'occupation du Koweït par l'Irak dont les troupes refluèrent en laissant derrière elles une mer de puits en flamme.

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Au cœur de ce désastre d'origine trop humaine, des ingénieurs et des techniciens du pétrole venus d'Amérique du Nord et d'Europe étaient déjà à l'œuvre pour tenter d'inverser le cours de la catastrophe. J'avais décidé d'attendre quelques semaines avant de partir pour le Koweït, pour que les entreprises appelées en secours aient le temps de rassembler leurs équipes et de commencer à intervenir. Une douzaine de sociétés au moins avaient été appelées pour colmater les puits, la plus grande partie du travail étant effectuée par l'entreprise canadienne Safety Boss et les sociétés américaines Red Adair Company, Boots & Coots International Well Control et Wild Well Control. Ils étaient aidés par d'autres étrangers, d'intrépides conducteurs d'engins et ouvriers venus d'Afrique de l'Est et du sous-continent indien. L'importance de leur travail ne saurait être sous-estimée : on attendait de ces quelque 300 experts étrangers de mettre fin à toutes les sources de contamination de la terre et de l'air, de permettre la reprise rapide de la production pétrolière koweïtienne, de sauver son économie compromise et d'aider ainsi à stabiliser le marché mondial du pétrole.

Tels des fantômes hantant l'obscurité ambiante, vivant couverts de pétrole pendant des heures et des heures, ces hommes étaient trop proches du danger pour penser à autre chose qu'à leur tâche. Et celle-ci exigeait de l'expérience, le sens de l'improvisation, de la discipline, de la solidarité et une immense confiance en soi, aussi bien mentale que physique. Sans eux, le coût environnemental et humain de cette calamité aurait été incommensurablement plus élevé. Début avril, je me retrouvai donc à la frontière entre l'Arabie saoudite et le Koweït et, après avoir attendu avec impatience l'autorisation de poursuivre ma route, je louai un 4 x 4 et entrai au Koweït, en direction des lourds et noirs nuages de fumée qui s'élevaient dans le lointain.

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Je publie ce livre vingt-cinq ans après le drame qu'il illustre car je me suis rendu compte que nombre de ces clichés n'avaient jamais été publiés. Plus important encore, j'avais le sentiment qu'elles possédaient une qualité intemporelle. Elles ont été prises en 1991, mais pourraient l'être aujourd'hui ou demain si un désastre similaire venait à se produire. Pour moi, elle représente aussi un voyage dans le passé. J'ai revécu les moments durant lesquels j'avais pris ces photos et me suis senti aussi touché par ce que je voyais aujourd'hui que je l'avais été un quart de siècle plus tôt. Jamais auparavant, ni depuis, je n'ai été témoin d'un désastre provoqué par l'homme d'une telle ampleur.

– Sebastião Salgado

« Kuwait : Un désert en feu » de Sebastião Salgado est disponible en édition Grand public, en édition collector limitée à 1 000 exemplaires et en édition art tirée à 100 exemplaires. Rendez-vous sur le site de Taschen et dans le Taschen Store au 2 rue de Buci, dans le 6ème arrondissement de Paris.