Le réalisateur Spike Lee, lors d'un marathon à New York, le 1er novembre 2015

"La diversité n'est pas un slogan, ce n'est pas une expression tendance ou chic", avance Spike Lee. Ici, lors d'un marathon à New York, le 1er novembre 2015.

afp.com/DON EMMERT

Il est 9 heures du matin à New York, le jour des élections présidentielles. Spike Lee a déjà voté et s'apprête à repartir en tournage: il réalise en ce moment le remake de son film de 1986, Nola Darling n'en fait qu'à sa tête (She's Gotta Have It), qu'il adapte pour Netflix en série de dix épisodes.

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A cette heure-ci, Donald Trump n'a pas été élu, tout semble encore possible. Pourtant, la tension est à son comble et s'entend jusque dans la voix du réalisateur. Spike Lee ne mâche pas ses mots, il évoque même le "jour du jugement dernier": "Huit ans après l'euphorie provoquée par l'élection du premier président afro-américain à la Maison-Blanche, comment imaginer que nous puissions en arriver à une telle situation? Nous n'avons pas su prévoir l'opposition qui était en train de se former contre Obama: chaque jour, pendant ces huit ans, au Congrès comme au Sénat, les républicains ont essayé d'intriguer pour l'empêcher d'accomplir son programme. Rien de bon ne peut arriver avec la victoire de Donald Trump, ni pour les Etats-Unis d'Amérique, ni pour le monde."

Plus engagé que jamais

L'activisme et l'engagement de Spike Lee n'ont jamais failli. En 1986, dans She's Gotta Have It, l'héroïne, Nola Darling, vit comme elle peut, à Brooklyn, entre ses trois amants et une voisine lesbienne qui tente de la séduire. Dans cette comédie sentimentale tournée en douze jours dans la moiteur d'un été caniculaire, des hommes et des femmes noirs sont montrés comme des citadins éduqués: c'est la première fois que cela arrive au cinéma.

L'adaptation pour Netflix, trente ans plus tard, semble plus pertinente que jamais: "J'ai toujours eu la conviction que ce qui fait la grandeur d'une ville, d'un pays ou d'une nation, ce sont ses artistes. Or, aujourd'hui, les jeunes talents n'ont plus les moyens de vivre à New York. Ils vont à Detroit ou à Seattle pour pouvoir pratiquer leur art. C'est un vrai problème."

Trois ans plus tard, son film culte, Do The Right Thing, donne un coup d'accélérateur à sa carrière. Le film explore la vie quotidienne d'une communauté noire de Brooklyn, la musique qu'elle écoute, sa façon de s'habiller. Un style haut en couleur et avant-gardiste y est mis en valeur, imprégné de hip-hop (la bande-son est signée Public Enemy). Il aura une influence considérable.

L'affirmation de la culture afro-américaine

Les filles ont des robes tubes et des créoles surdimensionnées; les garçons portent des maillots de sport ou des imprimés ethniques, des shorts qui descendent jusqu'aux genoux et des Nike Jordan aux pieds. C'est la naissance du street-style, l'affirmation d'une culture et d'une individualité par le biais d'un look bricolé de toutes pièces. C'est aussi, pour l'anecdote, le film que Barack et Michelle Obama ont été voir lors de leur tout premier rendez-vous.

Trois décennies après ces oeuvres fondatrices, comment exprime-t-on le style afro-américain au cinéma? "Je trouve que les gens, et les jeunes en particulier, sont beaucoup moins sensibles aux marques. Ils sont davantage dans une idée d'expression de soi. En revanche, il existe toujours une esthétique afro-américaine en ce qui concerne la mode. Et s'il fallait la résumer en un seul mot, ce serait 'cool'."

Cool, donc, comme la collaboration qui unit le réalisateur à Moncler: la marque, qui inaugurait cette semaine un flagship de 600 mètres carrés sur Madison Avenue, avec installation de doudounes figurant le drapeau américain, a demandé à Spike Lee de réaliser un petit film en hommage à New York: "J'ai fait beaucoup de collaborations avec des marques de mode, mais celle-ci était particulière: le seul brief de Moncler c'était de montrer New York, dans toute sa gloire et sa diversité. J'ai accepté immédiatement."

"La diversité n'est pas un slogan"

Le morceau qui accompagne ce film est intitulé Brave Suffering Beautiful et commence par une introduction parlée où le réalisateur récite Le Nouveau Colosse, de la poétesse Emma Lazarus. "Envoyez-moi vos fatigués, vos pauvres, envoyez-moi vos cohortes qui aspirent à vivre libres, les rebuts de vos rivages surpeuplés..."

Le sonnet, gravé à l'intérieur du socle de la statue de la Liberté, évoque les 20 millions de migrants qui ont débarqué à New York entre 1890 et 1924. Il prend une résonance toute particulière aujourd'hui. "La diversité n'est pas un slogan, ce n'est pas une expression tendance ou chic. Les ennuis commencent partout où la notion de diversité est niée."

Dessin préparatoire pour une installation sur Madison Avenue, par Thom Browne pour Moncler.

Dessin préparatoire pour une installation sur Madison Avenue, par Thom Browne pour Moncler.

© / SDP

Même si l'espoir subsiste: "Barack Obama n'est plus président, mais je ne crois pas qu'il en profitera pour jouer au golf jusqu'à la fin de sa vie: il continuera de s'exprimer, d'agir, tout comme Michelle Obama. Tous deux auront un énorme impact sur le monde. Simplement, cela ne se fera pas du bureau Ovale."

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