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Pourquoi les femmes ont déserté l’informatique dans les 80’s

En 1984, un décrochage brutal se produit dans la proportion des femmes dans l'informatique. Marketing, naissance de l'image du "geek" et stéréotypes dès l'école : les causes sont nombreuses.

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Extrait de "Effet de genre : le paradoxe des études d’informatique", Isabelle Collet (Tic&Société, 2011)
Publié le 25 nov. 2016 à 19:13Mis à jour le 22 févr. 2017 à 14:50

Ada Lovelace, Grace Hopper, Frances Allen, Adele Goldberg… Ces noms ne vous disent rien ? Pourtant, sans elles, vous ne pourriez peut-être pas lire cet article sur votre ordinateur ou votre smartphone aujourd’hui. Ces pionnières ont été écartées des grandes lignes de l’Histoire au profit de Bill Gates ou Steve Jobs.

Alors que les premières personnes à programmer étaient des femmes, et que pendant des décennies leurs effectifs augmentaient même plus rapidement que ceux des hommes, un décrochage brutal se produit en 1984. La proportion de femmes dans les études informatiques stagne, puis chute pour ne jamais remonter, résume brillamment un podcast américain en octobre 2014.

1979 - 1980 : pic des femmes dans l’informatique

En France, il se produit le même phénomène, au même moment. Entre 1972 et 1985, “le pourcentage des femmes en informatique est supérieur au pourcentage moyen des femmes ingénieures, toutes écoles confondues”, peut-on lire dans “La disparition des filles dans les études d’informatique : les conséquences d’un changement de représentation”, d’Isabelle Collet. Cette chercheuse à l’université de Genève, spécialiste en sciences de l’éducation, confirme qu’un pic est atteint en 1979-1980. “Avant le micro-ordinateur, personne ne savait ce qu’était l’informatique. La représentation que l’on en avait alors, c’était celle d’un métier du tertiaire. Les filières pour y accéder se nommaient “calculs numériques”, étaient moins prestigieuses, et correspondaient à une certaine représentation qu’on se faisait des femmes scientifiques”, expose-t-elle.

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Extrait de "Effet de genre : le paradoxe des études d’informatique", Isabelle Collet (Tic&Société, 2011)

Christiane, qui s’est orientée vers un DUT “informatique” après l’obtention de son bac C en 1973, faisait partie de ces pionnières. “Lors de l’entretien d’admission, le prof m’avait dit que je pouvais faire quelque chose de mieux, au vu de mes notes”, se souvient-elle. Mais plutôt que d’entrer dans une école d’ingénieurs, elle a préféré faire des études courtes. Elle ne se souvient pas d’une disproportion garçons/filles, ni d’avoir senti un décalage par rapport à ses collègues masculins. Dans la classe, personne n’avait eu de micro-ordinateur chez soi : “À l’époque, pour programmer, on tapait nos programmes sur des cartes perforées, qui étaient avalées par l’ordinateur - une machine qui occupait alors une pièce entière.”

Le micro-ordinateur transforme l’image de l’informatique

“L’arrivée du micro-ordinateur en 1980 transforme les représentations”, soutient Isabelle Collet. “On a vu de plus en plus d’ados se passionner pour les ordis, et les publicités cibler surtout les hommes et les garçons. On prétend que le père de famille va pouvoir gérer le budget de la famille sur son ordinateur”, rappelle la chercheuse. On entend aussi que “l’informatique, c’est l’avenir : si vous voulez que votre fils ait un bon métier, faites-lui faire de l’informatique !”

Aux Etats-Unis, ce type de marketing crée même un décalage dans les connaissances entre étudiants et étudiantes. A partir de 1983-1984, les jeunes femmes qui entrent à l’université se retrouvent avec des garçons qui ont eu accès à un ordinateur à la maison, ce qui leur a permis d’acquérir déjà certaines notions. Les professeurs ajustent leur niveau à ces pré-requis, et les étudiantes, faute d’accompagnement, décrochent voire se réorientent vers d’autres filières, plus littéraires.

C’est à cette époque que se construit l’image du “geek”, un jeune homme un peu asocial, véhiculée par les films, les romans de science-fiction et les séries TV. Des groupes de gars se constituent autour des micro-ordinateurs et, adolescence oblige, les filles sont souvent rejetées de ces bandes.

L’essor des études en informatique… sans les femmes

Conséquence :  au milieu des années 1980, alors que les filières d’informatique grossissent, l’effectif de femmes reste constant. Et ce n’est pas le plan “Informatique pour tous” (IPT), porté en 1985 par Laurent Fabius alors Premier ministre, qui changera la donne. Des ordinateurs Thomson MO5 et TO7 ont beau être distribués dans toutes les écoles, les enseignants ont du mal à s’approprier l’outil, quand ils n’y sont pas totalement hostiles.

“C’était le début de l’informatique à l’école, sauf que personne ne savait s’en servir, ni même vraiment ce qu’était l’informatique”, se souvient Marie-Christine, enseignante en école primaire à l’époque, qui a suivi alors plusieurs sessions de formation. “Mais très vite, les outils informatiques à disposition sont devenus obsolètes. Dans mon cas, seuls les plus jeunes instituteurs de l’école se montraient véritablement motivés par ce nouvel outil pédagogique”.

L’informatique ne parvient pas à s’ancrer dans les écoles. “Les enseignants sont devenus très réticents et il a fallu attendre aujourd’hui pour qu’on reparle de former à l’informatique au collège !”, regrette Isabelle Collet.

Extrait de "Effet de genre : le paradoxe des études d’informatique", Isabelle Collet (Tic&Société, 2011)

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Aujourd’hui, les filières STIC (sciences et technologies de l’information et de la communication) ne diplôment que 11% de femmes. Celles-ci ne représentent encore aujourd’hui que 20% des effectifs des ingénieurs en informatique, selon un rapport de la Dares de novembre 2013.

Même dans les formations privées, ouvertes à la reconversion, le pourcentage de femmes est équivalent. Anna Stepanoff, fondatrice de la Wild Code School (formation au métier de développeur web), regrette qu’il n’y ait pas plus de candidates. “Pourtant, pour équilibrer les équipes, beaucoup de monde cherche à recruter des femmes aujourd’hui, elles ont de réelles opportunités d’emploi !”, affirme-t-elle, citant l’exemple d’une journaliste en reconversion qui a eu trois offres de CDI à l’issue de sa formation.

Découvrir le code, le plus tôt possible

Pour Claude Terosier, présidente et fondatrice de Magic Makers, une structure qui organise des ateliers de code pour enfants, le blocage vient avant tout des parents. “Nous avons beaucoup plus de garçons”, concède-t-elle avec un soupir. “Pourtant, quand les parents amènent leurs filles, elles adorent !”

Une des solutions ? Donner l’opportunité aux enfants de découvrir le code, le plus tôt possible, pour que les jeunes filles puissent se faire leur propre avis, sans être bloquée par des stéréotypes. Cette année, alors que des options existaient déjà au lycée, le code est devenu obligatoire au collège.

Liv Audigane

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