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La stevia au cœur d’un scandale de biopiraterie

Des multinationales sont accusées de ne pas partager leurs bénéfices avec les Indiens Guarani-Kaiowa du Brésil et Paî Tavyterâs du Paraguay.

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Publié le 28 novembre 2016 à 17h56, modifié le 28 novembre 2016 à 18h57

Temps de Lecture 4 min.

Des plants de stevia, à Caacupé, au Paraguay, en 2012.

Aux yeux des patrons de Coca-Cola ou de PepsiCo, la stevia est un ingrédient miracle. Cette plante qui pousse en Amazonie possède des propriétés édulcorantes permettant d’offrir aux consommateurs des boissons naturellement allégées en calories. Comme le Coca-Cola Life ou le Pepsi Next qui, sous leurs emballages verts, se targuent de contenir 30 % à 60 % de sucre en moins que les boissons originales des mêmes fabricants.

Les Indiens Guarani-Kaiowa du Brésil et Paî Tavyterâs du Paraguay, qui ont découvert la stevia il y a des siècles, adoucissent leur maté avec ses feuilles fraîches ou infusées, et l’utilisent à des fins médicinales, se réjouissent eux aussi des propriétés naturelles de cette plante et ne sont pas fâchés que celles-ci soient mondialement reconnues.

A un détail près. Ils considèrent que l’utilisation industrielle et la commercialisation de leur végétal fétiche par ces géants de l’agroalimentaire et les enseignes de grande distribution constituent un cas flagrant de « biopiraterie ». En clair, que ces entreprises se sont appropriées leurs ressources génétiques et leurs connaissances traditionnelles à des fins commerciales. Aussi les Guaranis refusent-ils désormais de laisser l’industrie se partager les bénéfices de l’utilisation de la stevia à leurs dépens.

Usurpation de savoir

Pour dénoncer « l’usurpation de [leur] savoir », ces peuples se basent sur un rapport rendu public en novembre 2015 par des ONG et des universitaires, intitulé Stevia, une douceur au goût amer. Forts de ce document, les Guaranis se sont réunis en juillet au Paraguay pour former une « assemblée permanente » et décider de la stratégie à adopter. Ils disposent pour cela de solides appuis à l’étranger. La Fondation France Libertés-Danielle Mitterrand s’est, en effet, alliée à la plate-forme de mobilisation internationale SumOfUs, et aux ONG suisses Public Eye et Pro Stevia Schweiz, pour lancer en cinq langues la campagne de sensibilisation Share Stevia (Partageons la stevia), mercredi 16 novembre. Cette coalition exige que les entreprises qui profitent du savoir des Guaranis reconnaissent ce qu’elles leur doivent.

Ces organisations sont également à l’initiative d’une pétition internationale qui a déjà recueilli plus de 200 000 signatures. Le texte somme des sociétés américaines comme Cargill, Coca-Cola ou PepsiCo, mais également des enseignes françaises de grande distribution comme Auchan, Carrefour, Casino ou Marque Repère, de respecter les droits fondamentaux des peuples Guaranis.

« Les Guaranis sont purement et simplement dépossédés, explique Marion Veber, chargée de la mission « Droit des peuples autochtones » pour France Libertés. L’utilisation par l’industrie agroalimentaire de la stevia lui rapporte des milliards de dollars alors qu’elle est le fruit d’un détournement du savoir ancestral de ces peuples qui ne reçoivent aucun des bénéfices liés à la valorisation de cette ressource. »

Autorisée aux Etats-Unis en 2008 et en Europe début 2010, la stevia représente un tiers du marché mondial des édulcorants. On la retrouve, sous forme de glycosides de stéviol, dans les céréales, le chocolat, les confiseries, le ketchup, les laits aromatisés, les sirops, les sodas, les thés ou les yaourts.

Partage des avantages

L’objectif de la campagne Share Stevia consiste à créer un rapport de force afin que les multinationales concernées négocient avec les Guaranis un protocole d’accord de partages des avantages, conformément au protocole de Nagoya. Signé en 2010 et entré en vigueur en octobre 2014, cet accord sur la biodiversité vise à combattre la biopiraterie par un « partage juste et équitable » des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques de « plantes, animaux, ou autres organismes, dans un but commercial, de recherche ou pour d’autres objectifs ».

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« Comme le prévoit le protocole de Nagoya, nous ne parlons pas à la place de ces communautés, précise Mme Veber. Il leur revient de poser elles-mêmes les bases de la négociation, de définir dans quel pays et dans quelle langue celle-ci sera menée, et comment elle se concrétisera. » Les contreparties peuvent prendre la forme d’un pourcentage sur le chiffre d’affaires, de redevances, de droits de licence, mais également celle d’appuis à ces communautés pour des projets de développement.

En avril, une première approche amiable avait été tentée par les ONG par l’envoi d’un courrier aux multinationales et entreprises concernées. Sans succès. Une relance, fin août, précisant que France Libertés comptait médiatiser l’affaire, a suscité quelques réactions. Comme celle de Coca-Cola, fin octobre, qui se dédouane en se prévalant d’avoir déjà « mis en place des principes directeurs pour une agriculture durable » et affirme demander à ses fournisseurs de « respecter et protéger les droits des communautés et des peuples ».

D’autres marques, comme Nestlé, ont adopté une démarche plus positive. « Sept entreprises – dont beaucoup sont suisses – ont donné leur accord sur le principe du partage des avantages, indique Mme Veber. Mais cela reste une déclaration pour l’heure, et notre objectif est de constituer un groupe d’entreprises pionnières qui pourra commencer à négocier avec les Guaranis. »

Le combat s’annonce long et compliqué. Selon le rapport de 2015, différentes multinationales se sont en effet mises à produire de la stevia de synthèse, risquant ainsi d’entraîner la disparition du marché des feuilles de stevia et de pénaliser encore les Guaranis.

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