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Syrie : « Les Etats-Unis ont laissé le champ libre à la Russie, devenue incontournable »

Alors qu’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU s’est achevée mercredi sans résultat, le politologue Bruno Tertrais revient sur l’impasse diplomatique dans laquelle se trouve le dossier syrien.

Propos recueillis par 

Publié le 30 novembre 2016 à 19h44, modifié le 01 décembre 2016 à 09h24

Temps de Lecture 4 min.

Des membres des forces gouvernementales à Alep, le 30 novembre.

La communauté internationale semble plus impuissante que jamais dans le conflit syrien, face à une Russie devenue le véritable maître du jeu. A la demande de la France, une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU sur la situation à Alep-Est s’est tenue mercredi 30 novembre à New York. Et s’est achevée sans résultat, nouvelle preuve de l’impuissance de la communauté internationale face au conflit syrien. Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, explique cette impasse par un « désaccord fondamental sur la Syrie » entre les grandes puissances. .

La France a convoqué une réunion en urgence du Conseil de sécurité face à la « catastrophe humanitaire » à Alep. Or le Conseil de sécurité est paralysé par le veto de la Russie. Quel est le sens de cette réunion ?

Les réunions de cet ordre ont un premier but : le « naming and shaming ». Il s’agit d’amener les membres du Conseil de sécurité à prendre leurs responsabilités sur la tragédie syrienne, en prenant position de façon précise au moment où la guerre atteint de nouveaux paliers dans l’horreur. Cela revient à soutenir, se distancer ou s’opposer à la Russie. Si cette réunion est inutile pour peser sur le plan militaire, elle ne l’est pas pour autant sur le plan politique.

Pour la France, c’est aussi le moyen, en forçant la Russie à affirmer son opposition, de montrer que le fonctionnement actuel du Conseil de sécurité n’est pas satisfaisant, ni crédible en de telles circonstances. La succession de vetos russes a marqué les esprits auprès de la communauté internationale.

La Russie a utilisé son droit de veto cinq fois depuis le début du conflit. L’action de l’ONU est-elle dans l’impasse ?

Ce n’est pas parce que le Conseil de sécurité est dans l’impasse que l’ONU ne fait rien. L’organisation est présente sur le terrain sur le volet humanitaire, à travers notamment le Haut-Commissariat pour les réfugiés et le Programme des Nations unies pour le développement.

De son côté, l’envoyé spécial du secrétaire général, Staffan de Mistura, essaye de trouver une plateforme politique pour une sortie de crise. Le problème, c’est que ses interlocuteurs dans l’opposition syrienne sont de moins en moins représentatifs avec l’affaiblissement de l’opposition non-djihadiste sur le terrain. Et surtout que, sur le fond, les positions sont radicalement différentes entre l’opposition syrienne et la Russie sur une sortie de crise, notamment à propos du rôle que pourrait tenir Bachar el-Assad.

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Quels effets les résolutions de l’ONU ont-elles eu en Syrie jusqu’ici ?

Les résolutions sont d’abord faites pour dire le droit. Leur application est conditionnée à la bonne volonté des acteurs sur le terrain. Mais ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’effets concrets qu’elles ne servent à rien, sauf à dire que le droit international ne sert à rien.

La résolution sur le plan de démantèlement des armes chimiques du régime syrien était un cas particulier : l’ONU avait béni ce démantèlement [mené par l’OIAC], mais son action n’était pas indispensable, car il était le fruit d’un accord russo-américain.

L’impasse de la diplomatie internationale est-elle le résultat de quatre ans d’indécision ?

Il faut distinguer le plan militaire du plan diplomatique. Si on avait donné un signal fort en 2013 sur les armes chimiques, la guerre ne se serait probablement pas intensifiée comme on l’a vu ensuite. La non-intervention des pays occidentaux a désespéré l’opposition et a été un facteur formidable de recrutement pour Daech. Le coût de cette non-intervention, c’est aussi la généralisation de la dégradation des conditions sécuritaires et humanitaires depuis 2013.

La responsabilité américaine est très forte. Les Etats-Unis n’ont pas voulu intervenir significativement en Syrie, car ils ne voulaient pas se heurter à l’Iran, allié du régime syrien, ni risquer une confrontation entre les forces américaines et russes. Ils ont laissé le champ libre à la Russie, devenue un acteur incontournable. C’est elle aujourd’hui qui décide de l’avenir de la Syrie. Or la Russie n’est toujours pas prête à laisser tomber Bachar el-Assad malgré les signaux qu’elle envoie dans ce sens depuis trois ans. Nous sommes dans une impasse : les grandes puissances ont un désaccord fondamental sur la Syrie.

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Au-delà des déclarations indignées, de quels leviers dispose la communauté internationale pour agir ?

La clé est à Washington. C’est le seul pays qui a la capacité à renverser la situation militaire sur le terrain. Même si, techniquement, les Européens pourraient peser en joignant leurs forces, il n’est pas réaliste d’imaginer un bouleversement de la situation militaire sans l’implication croissante des Etats-Unis. Or ils n’en prennent pas le chemin, que ce soit avec Barack Obama ou avec Donald Trump – dont personne ne peut prévoir ce que sera sa politique syrienne.

Conclusion : il ne se passera probablement rien. Du moins jusqu’à l’épuisement des combattants, un enlisement des Russes, ou une victoire totale de Bachar el-Assad.

Vous avez déclaré dans une tribune « qu’il est des moments où l’urgence doit prendre le pas sur les institutions, et l’humanité sur le droit ». Que préconisez-vous ?

En Syrie, la première urgence, c’est de forcer les secours dans les zones les plus touchées. Permettre l’urgence humanitaire, même sans mandat, même sans autorisation, au risque de s’opposer à la Russie.

Ensuite, il faudrait mener une action militaire ponctuelle contre les forces syriennes qui bombardent des quartiers entiers, comme à Alep, et intensifier les actions contre Daech en Syrie, car ni Damas ni Moscou n’en font une priorité.

Pas question d’une opération de changement de régime. On en connaît les risques – le cas de l’Irak vient à l’esprit. Et tout le monde sait qu’il faudra maintenir une partie du régime pour rebâtir un nouvel Etat syrien. Mais rien ne sera possible tant que Bachar el-Assad sera là.

Il ne faut pas opposer l’idéalisme de l’intervention humanitaire au réalisme de la négociation diplomatique. D’abord parce que ce ne sont pas des alternatives. Et surtout, parce qu’agir davantage serait dans notre intérêt : une guerre qui dure, c’est de plus en plus de migrants et de plus en plus de recrues pour Daech.

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