Pêche illégale : qui sont les braconniers de haute mer ?

ENVIRONNEMENT. Des associations ont publié mardi un guide pour reconnaître les produits de la pêche illégale. Pas facile tant les ruses des fraudeurs sont élaborées.

20 % des captures mondiales de poissons proviennent de la pêche illégale. Certains pays fraudeurs sont particulièrement pointés du doigt.
20 % des captures mondiales de poissons proviennent de la pêche illégale. Certains pays fraudeurs sont particulièrement pointés du doigt. LP/INFOGRAPHIE, C. TÊCHE.

    Ces pirates d'un nouveau genre sont nombreux à passer entre les mailles du filet. Résultat : 20 % des captures mondiales de poissons — entre 11 et 26 millions de tonnes — proviennent de la pêche illégale ! C'est-à-dire qui puise dans des espèces interdites, en dehors des quotas ou en utilisant des techniques prohibées, comme la dynamite. Ce braconnage en haute mer risque d'épuiser les stocks.

    Les associations Seaweb, WWF, Environmental Justice Foundation et Carrefour ont publié mardi un guide pour les professionnels. « Les distributeurs doivent vérifier d'où vient leur poisson, insiste Joséphine Labat, chargée de projet pêche durable au WWF France. Tous les pays n'ont pas les mêmes moyens pour surveiller leur flotte. » Les fraudeurs le savent et multiplient les tactiques pour éviter les contrôles.

    Un poisson pour un autre

    La fraude la plus simple consiste à changer les étiquettes. C'est ainsi que le « Kunlun », un des navires récemment condamnés à une amende record par l'Espagne, fraudait en déclarant des prises colossales de mérou alors qu'il s'agissait de légine antarctique, l'or blanc des contrebandiers, très rare et très contrôlée. Les fraudeurs peuvent aussi écouler de l'espadon européen capturé en période de pêche interdite (comme c'est le cas en cette saison pour préserver la reproduction) en indiquant seulement une fausse date de capture. Les douanes, la répression des fraudes et les acheteurs ont ainsi de plus en plus recours à des tests... ADN. « Pour les boîtes de thon, nous contrôlons de temps à autre que le produit contient bien ce qui est indiqué sur l'étiquette », indique Agathe Grossmith, de chez Carrefour. Les bandits des mers peuvent être tentés de faire passer du thon albacore, soumis à des règles très strictes, pour du thon blanc germon.

    Bateau ripoliné

    Dans le jeu de chat et de la souris qui les oppose aux pays côtiers ou à Interpol, les pirates n'hésitent pas à maquiller leurs navires. Ainsi, l'organisation policière internationale qui pistait le « Thunder », soupçonné de pêche pirate, l'a observé avec sept noms différents entre juillet 2012 et août 2013 sans parvenir à le pincer. Les tricheurs peuvent aussi profiter de la complaisance de pays peu pointilleux sur les contrôles pour changer de pavillon. Yvon Riva, président d'Orthongel, l'organisation des producteurs français de thon, le constate : « Nous adressons des lettres au pays d'origine des navires aux pratiques douteuses. Souvent, le temps que le courrier arrive, le bateau a déjà changé de pavillon. Il s'agit de véritables bandits de haute mer. »

    Échange de cargaison au large

    Dans le jargon maritime, on parle de transbordement, il s'agit de faire passer une cargaison d'un bateau à un autre. La pratique peut servir à blanchir le résultat de captures illégales. Ainsi, certains gros bateaux de pêche industriels transfèrent leurs prises sur des pirogues, notamment du poisson de qualité insuffisante pour l'exportation, et qui sera vendu sous le manteau en dehors des quotas sur les marchés locaux.

    « Pis, à cause de cette pratique des navires restent en mer pendant des mois et se transforment en prisons flottantes pour des travailleurs exploités ! » insiste Joséphine Labat.

    En Thaïlande, l'année dernière l'enquête d'Environmental Justice Foundation a permis un coup de filet pour esclavage sur des bateaux au large de Kantang. « A de rares exceptions près, chez Carrefour, nous interdisons à nos fournisseurs tous transbordements », assure Agathe Grossmith.

    Dans les usines aussi

    Au moment de la transformation, « il existe une escroquerie qui consiste à introduire du poisson illégal au milieu d'un lot légal », souligne Stéphanie Mathey de Seaweb. Ainsi des exportateurs frauduleux qui vendent du poisson transformé profitent de la perte de poids difficile à mesurer entre un maquereau entier et un maquereau en filet pour ajouter des spécimens de la même espèce capturés sans autorisation. Vu les volumes, les gains peuvent être conséquents.