Le photographe turc Emin Özmen a suivi les débuts de l’offensive pour reconquérir la ville irakienne, aux mains de l’État islamique. Il a accompagné tour à tour les différents groupes de la coalition.

Vous avez suivi différents belligérants dans la bataille de Mossoul : les peshmergas, l’armée irakienne, mais aussi les forces paramilitaires chiites du Hachd Al-Chaabi. Avez-vous travaillé différemment avec les uns et les autres ?
EMIN ÖZMEN : Je suis arrivé quelques jours avant le lancement de l’opération, en octobre. C’est une offensive gigantesque, avec de nombreux groupes militaires et paramilitaires qui sont déployés sur différentes lignes de front pour encercler la ville et libérer un à un les villages. Les groupes que j’ai suivis n’avaient aucun lien ni contact entre eux. Mais en règle générale les soldats que j’ai rencontrés étaient très motivés, pleins d’espoir. Ils n’avaient pas la moindre idée du temps que l’offensive allait prendre.
Au front, on passe beaucoup de temps tous ensemble, à boire du thé et à enchaîner cigarette sur cigarette (il faut accepter toutes celles qu’on vous offre, et on vous en offre beaucoup). Les soldats de l’armée irakienne et les peshmergas étaient très chaleureux et soucieux de protéger les journalistes. Avec les groupes du Hachd Al-Chaabi, c’était plus compliqué. Ils sont beaucoup plus politisés que je ne le pensais. Leurs préoccupations religieuses, en tant que chiites, sont bien présentes, et ils avaient aussi beaucoup de colère contre la volonté du président turc Erdogan de participer à l’offensive.

Sur vos photos, beaucoup de civils fuient les combats. Dans quel état d’esprit étaient-ils ? Avez-vous pu échanger avec eux ?
Ils étaient épuisés, plongés dans un silence impressionnant. On voyait chez eux un très grand calme, et une très grande peur. Ils ne savaient pas où les soldats irakiens les emmenaient. J’ai tenté de parler avec des enfants, mais à chaque fois ils semblaient au bord des larmes. Certains adultes m’ont raconté qu’ils étaient sur la route depuis des jours, qu’ils avaient marché longtemps, sur des routes difficiles, sans nourriture ni eau, pour rester à distance des positions de l’État islamique. De ce que j’en ai vu, les soldats irakiens prenaient ces gens en charge, mais c’est une tâche délicate pour eux aussi, car ils doivent identifier dans ces populations en fuite d’éventuels combattants de l’État islamique.

Vous êtes-vous senti en danger pendant votre travail ?
L’opération de reconquête de Mossoul est très chaotique. Certains journalistes se sont fait tuer, beaucoup ont été blessés pendant la première semaine. Aller au front, c’est ce que j’ai fait de plus risqué dans toute ma vie professionnelle. L’État islamique a d’excellents snipers, tandis que les Kurdes et l’armée irakienne ne sont pas vraiment des armées professionnelles. En dehors de la ligne de front, les routes, les champs, tout est truffé de bombes artisanales et de mines.

— Propos recueillis par Courrier international

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Le photographe
Emin Özmen sillonne le monde pour ses reportages. Il a notamment beaucoup travaillé sur la crise des réfugiés, au Moyen-Orient et en Europe, depuis 2011. Ce Turc de 31 ans couvre le conflit syrien et le développement de l’État islamique dans la région depuis 2012, et a reçu le prix Photo-AFD au festival de Bayeux en 2014 pour ses photos des décapitation perpétrées en Syrie par les soldats de l’État islamique. Après son reportage sur les débuts de la bataille de Mossoul, il est de retour en Turquie pour couvrir ce qu’il appelle “la guerre cachée” que mène le gouvernement face au PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, dans les provinces sud du pays.