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Politique

Manuel Valls, l’homme qui fait l’union de la gauche... contre lui?

Manuel Valls candidat à la Primaire de la gauche socialiste risque de devoir faire face aux mêmes handicaps que François Hollande: le bilan, et la perspective d'une défaite annoncée à la présidentielle qui pourrait conduire les électeurs de la Primaire à le sanctionner au nom du "Tout sauf Valls".

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Manuel Valls

Manuel Valls

(c) AFP

Mesurons ensemble le poids de l’histoire. En 1979, au congrès de Metz, Mitterrand, Rocard, Mauroy, Chevènement s’affrontaient rudement sur le contenu du Projet socialiste à proposer aux Français en vue de la présidentielle 1981. En 2016, dans un affrontement finalement porteur d’un enjeu d’importance historique comparable, "que faire du PS dans la France de l’époque?", la Primaire vaut bien un congrès de Metz, mais elle verra s’affronter Valls, Montebourg, Hamon et (qui sait?) Filoche, soient des personnages en quête d'une hauteur hors de portée au regard de la qualité supérieure de leurs prédécesseurs.

Se livrer à ce petit comparatif, d’une période à l’autre, c’est dire la crise de représentation politique qui frappe aujourd’hui le Parti socialiste, incapable de produire des figures politiques de dimension historique. La Primaire LR opposait un ancien Président et deux anciens Premiers ministres, la Primaire PS opposera un ancien Premier ministre et des ministres éphémères. Tout est dit, ou presque. Déjà.

Par vocation, Manuel Valls sera au cœur de l’enjeu. Premier ministre sortant, porté par cette légitimité, il devrait être le candidat naturel des socialistes. Mais Manuel Valls souffre d’un handicap qui se nomme Manuel Valls.

Manuel Valls est verticalité, autorité, crédibilité. Ministre de l’Intérieur, Premier ministre, il est le seul des candidats à la Primaire socialiste posant l’incarnation d’une certaine idée de la culture de gouvernement. Le seul. Ni Arnaud Montebourg, ni Benoît Hamon, et encore moins les autres figurants de cette Primaire, ne peuvent se prévaloir d’un tel avantage.

Dictionnaire amoureux de l’anti-Vallsisme

Mais Manuel Valls est aussi l’homme qui fait l’union de la gauche contre lui. Depuis dix ans, ainsi qu’on l’a déjà souvent écrit ici, il s’est ingénié, à force de provocations et transgressions, où l’esthétique du paria l’a souvent disputé à la nécessité politique, à se couper de toutes les familles de la gauche socialiste, et même au-delà du PS.

La recension des motifs de fâcherie mériterait presque la rédaction d’un Dictionnaire amoureux de l’anti-Vallsisme… Roms, 49-3, Loi El-Khomri, Etat d’urgence, Violences policières, Léonarda, Burkini, changement de nom du PS, 35 heures, migrants, TVA sociale, laïcité, musulmans, sécurité, refus de la PMA et GPA, retraite à 60 ans… La liste des cases de gauche que Manuel Valls ne coche pas à l’heure de se présenter devant les électeurs de la Primaire socialiste est impressionnante…

Sur l’ensemble des sujets qui fondent une appartenance à la famille héritée de Jaurès, Blum et Mitterrand, Manuel Valls est à côté de la plaque de gauche. Seule une poignée d’élus socialistes et quelques intellectuels organiques porteurs d’un national-laïcisme identitaire s’identifient aujourd’hui totalement au corpus idéologique Manuel Valls. Le vallsisme une fois hors de la légitimité que confère Matignon, c’est beaucoup de divisions, mais peu de troupes. En imposant à Manuel Valls cette sortie, François Hollande ne rend pas service au deuxième Premier ministre de son quinquennat.

A l’heure où il se présente, Manuel Valls, à côté de la gauche, se voit lesté encore de deux handicaps supplémentaires.

La gauche ne croit plus en la victoire

Le peuple de gauche socialiste ne croit plus en la victoire d’un représentant du PS. D’une certaine façon, en participant lui-même à l’empêchement de François Hollande, en créant les conditions ultimes de son renoncement, Manuel Valls a acté son propre empêchement. Si le bilan du président lui interdit de se présenter parce que dans l’impossibilité de pouvoir l’emporter, pour quelle raison son Premier ministre, comptable du même bilan, ferait-il mieux?

Les faits sont têtus. Aujourd’hui, en l’état, il n’est pas un candidat socialiste en situation d’être élu président de la République. Aucun. Absolument aucun. Tous, y compris Manuel Valls, sont frappés d’empêchement. Montebourg a été le ministre de l’Economie des moulins à vent. Hamon a été secrétaire d’Etat à la consommation avant d’occuper cinq mois le ministère de l’Education nationale, c’est dire sa place dans l’histoire… Quant aux autres figurants, députés ou sénateurs, que dire? Désigner Valls à la Primaire PS, c’est assurer au PS une défaite cinglante plutôt qu’une défaite accablante. La différence est bien faible, on en conviendra.

Cette défaite annoncée risque de jouer en défaveur de Manuel Valls. La Primaire est affaire de clientèle, répétons-le, et ce qui s’est joué lors de la Primaire Les Républicains l’a confirmé. Viendront donc voter à la "Primaire de la Belle alliance populaire" les électeurs du peuple de gauche qui croient encore aux valeurs de la gauche, ces valeurs de la gauche avec lesquelles Manuel Valls s’est placé souvent, très souvent, en rupture.

Une certaine idée de l'honneur

La tentation pourrait être grande, au sein du peuple de gauche, au regard d’une situation jugée perdue d’avance, d’infliger à Manuel Valls le même sort que celui qui était promis à François Hollande. Perdu pour perdu, conservons à la gauche une certaine idée de son honneur. La tentation peut être d’autant plus grande que bien des électeurs, parmi la clientèle socialiste qui se rendra aux urnes, ne sont jamais parvenus et ne parviennent toujours pas, malgré les années Mitterrand, à intégrer spirituellement le logiciel Ve République. Ils n’aiment pas cette constitution et le président Jupiter qu’elle emporte avec elle.

C’est dire si la perspective de sacrer Manuel Valls en capacité de devenir ce président Jupiter qu’Hollande n’a jamais voulu être, jusqu’à le réfuter pour son plus grand malheur, risque de heurter plus d’une conscience d’électeur de la gauche socialiste désireux de participer à la Primaire. Conclusion logique de ce qui précède: certains de ces électeurs (combien? bien malin qui peut le dire aujourd’hui) peuvent estimer que peu importe la présidentielle, il sera toujours bien temps de se rattraper en sauvant ce qui pourra être sauvé de députés socialistes lors des législatives suivantes… Dans bien des esprits, le "Tout sauf Valls" risque de devenir un mot d'ordre incontournable.

Enfin, de manière collatérale mais réelle, Manuel Valls souffre de la concurrence que lui imposent, dans des registres différents, Jean-Luc Mélenchon et surtout Emmanuel Macron.

La concurrence de Mélenchon et de Valls

Le premier capte pour le moment un certain nombre d’électeurs socialistes parmi les plus rétifs à l’incarnation Valls. Non seulement ceux-là ne viendront pas voter pour lui au premier tour de la Présidentielle, au cas où il serait désigné, mais il est possible, dans la grande tradition du vote révolutionnaire que certains d’entre eux participent à la Primaire de la BAP dans le but de faire tomber Valls et que soit désigné un candidat (Montebourg?) réduit à l’état de volaille socialiste à plumer tel que le prônait le Parti communiste des années Thorez, au tournant des années 30.

Le second attire à lui pour le moment les électeurs de la gauche socialiste réformiste et même, osons le mot employé par François Hollande jeudi soir, « progressistes », qui désespèrent d’un PS désormais perçu comme une machine à perdre désignant des candidats vains et déconnectés de la réalité et des attentes de l’époque. Combien de ceux-là iront à la Primaire? Et que voteront-ils s’ils y vont? Seront-ils saisis par la tentation du vote révolutionnaire contre Manuel Valls (Montebourg) afin que soit désigné un candidat PS qui finirait à moins de 5% afin de dégager la voie pour Macron?

Ici se mesure la difficulté de la candidature Manuel Valls. Les électeurs stratèges de la Primaire vont décider de son sort. De ce point de vue, on aimerait que les prolifiques instituts de sondage sondent ce qu’était l’électorat de François Hollande au premier tour de la Présidentielle 2012.

Quel candidat pour le Tout sauf Valls? 

Au fond, l’alternative politique proposée aux électeurs de la Primaire est simple. Ou bien ils entendront proposer au vote des Français au premier tour de l’élection présidentielle un candidat doté d’une capacité gouvernementale a minima crédible, et alors ils voteront Manuel Valls. Ou bien ils entendront imposer une candidature porteuse des fondamentaux de la gauche socialiste, passant la présidentielle par pertes et profits, et alors ils se prononceront pour un(e) autre candidat(e). Encore faut-il qu'ils puissent trouver candidature qui leur conviennent, étant entendu que Montebourg et Hamon paraissent peu équipés pour entraîner derrière eux un front uni anti-Valls, de Aubry à Taubira en passant par Hidalgo. Nous entrons dans la période où certains cherchent ce candidat qui pourrait porter une certaine forme de Tout sauf Valls. Et bien des regards et sollicitations semblent ce lundi se tourner vers l'ancien ministre de l'Education Vincent Peillon, dont la personnalité serait de nature à fédérer les forces hostiles à Manuel Valls. A suivre.

A travers l’équation Valls, se mesure aussi ce qu’est devenu le Parti socialiste. Ce qu’il porte, c’est-à-dire pas grand-chose. Ce qu’il incarne, c’est-à-dire peu de chose. La prise en étau entre Mélenchon et Macron ne doit rien au hasard de l’histoire. Elle est le fruit d’un lent processus de décomposition, politique et culturel, dont Manuel Valls est l’ultime avatar. Le Parti d'Epinay, synthèse des gauches réformiste et révolutionnaire est mort, et l'illisible Manuel Valls, muni de ses seuls autoritarismes et laïcisme en guise de bannières socialistes, est le symptôme de l'achèvement du processus de décomposition.

Hier, à Metz, Mitterrand, mais aussi Rocard, Mauroy, Chevènement, Defferre et Poperen. Aujourd’hui, pour la Primaire, Valls, mais aussi Montebourg, Hamon, Lienemann ou Filoche et pourquoi pas Peillon. Tout est dans le casting. Il semble qu’il se soit passé quelque chose dans l’histoire du PS qui soit de nature à le mener tout droit vers une possible sortie de l’histoire, phénomène dont Manuel Valls risque d’être aujourd’hui l’ultime catalyseur. "Mitterrand, Mauroy, Rocard, revenez, ils sont devenus nuls" ?

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