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Nucléaire

EXCLUSIF : la carte des réacteurs nucléaires à l’arrêt. Des coupures de courant se préparent en cas d’hiver rigoureux

Ce lundi 5 décembre, une dizaine de réacteurs nucléaires sont à l’arrêt et une partie d’entre eux ne devraient pas redémarrer de tout l’hiver. Cette situation n’a jamais été observée. Alors que le froid s’installe en France, les opérateurs se préparent à des coupures de courant.

Cet article est le premier d’une série de quatre que Reporterre consacre au nucléaire français. Nous publions également une carte du parc nucléaire, détaillant la situation centrale par centrale.

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    Encore cinq réacteurs totalement arrêtés

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Noël à la bougie ? Si le froid s’intensifie, on n’y échappera peut-être pas. « En hiver, un degré de température en moins entraîne une hausse instantanée de la consommation électrique fournie par 2.400 mégawatts (MW) », indique Réseau de transport d’électricité (RTE) à Reporterre. Soit environ la production de deux réacteurs nucléaires. Le courant ne pouvant pas être stocké, l’offre et la demande doivent impérativement être équilibrées à chaque instant. Sinon, c’est le fameux « black-out ». Or, cet hiver, l’approvisionnement se révèle particulièrement délicat à cause de « la baisse historique de disponibilité du parc nucléaire français », alerte RTE.

Pour rappel, le nucléaire représente plus des trois quarts du mix énergétique français (76,3 % en 2015, selon RTE). Cinquante-huit réacteurs nucléaires, répartis en dix-neuf centrales (Fessenheim, Saint-Laurent-des-Eaux, Bugey, etc.), sont censés assurer la production. Le 29 novembre à 15 h, quinze d’entre eux étaient à l’arrêt, du jamais-vu depuis des années. « Avec l’équivalent de neuf réacteurs indisponibles en moyenne sur l’hiver, c’est le niveau de disponibilité le plus faible depuis dix ans », explique RTE.

La découverte d’irrégularités, voire de falsifications

Pourquoi ? Premier problème, une concentration excessive de carbone dans l’acier des générateurs de vapeur de dix-huit réacteurs. Cette anomalie peut entraîner un risque accru de rupture du métal dans certaines situations — un refroidissement d’urgence, par exemple. EDF, qui exploite les centrales, a donc été contrainte par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) d’effectuer une série de contrôles sur les réacteurs concernés. La plupart des tests ont été réalisés lors d’arrêts programmés pour maintenance et rechargement en combustible. Six réacteurs ont obtenu l’autorisation de redémarrer dès cet été, mais d’autres ont vu leurs arrêts prolongés. Le 18 novembre, l’ASN a réclamé la suspension sous trois mois de cinq réacteurs supplémentaires (Tricastin 2 et 4, Fessenheim 1, Gravelines 4 et Civaux 5).

Autre imprévu, la découverte d’irrégularités, voire de falsifications, dans les dossiers de fabrication de pièces forgées à l’usine d’Areva au Creusot (Saône-et-Loire). 87 de ces irrégularités concernent des pièces équipant des réacteurs en fonctionnement, ce qui a entraîné de nouveaux tests à réaliser et de nouveaux arrêts prolongés, notamment sur le réacteur no 2 de Fessenheim. Reporterre reviendra plus longuement sur ces problèmes de concentration excessive de carbone et d’irrégularités dans les dossiers de fabrication à l’usine du Creusot dans les deux prochains articles de sa série sur le nucléaire.

Ces arrêts entraînent mécaniquement une baisse de la production. Le 3 novembre, EDF a révisé à la baisse pour la troisième fois sa production nucléaire prévue pour 2016. Elle est désormais comprise entre 378 et 385 térawatts-heure (TWh), contre 414 TWh initialement prévus. « Cet hiver, il faut composer avec 10.000 MW d’électricité d’origine nucléaire de moins que l’hiver précédent », résume-t-on à RTE.

Pour compenser, les centrales thermiques, les plus polluantes et émettrices de gaz à effet de serre, fonctionnent à plein régime. « Nous devrions presque atteindre 4.000 heures de production cette année, quand la centrale avait frôlé les 3.000 heures l’an dernier », a indiqué au quotidien Les Échos Fabien Choné, directeur général délégué de Direct énergie, propriétaire de la centrale à gaz de Bayet (Allier). Les quatorze unités de production au gaz carburent, de même que les centrales au fioul et au charbon. En octobre, la production de ces centrales à combustible fossile a crû de 37 % par rapport à 2015, selon RTE. Qui signale par ailleurs que « les importations ont augmenté d’environ 30 %, à 12.200 MW cette année contre 9.000 MW en 2015 ».

« Suspension momentanée, localisée et temporaire » pour « ultime solution »

Mais ces rééquilibrages pourraient se révéler insuffisants en cas de « vague de froid importante et durable », c’est-à-dire trois jours minimum de températures inférieures de 1 à 3 °C aux normales saisonnières, en moyenne nationale. RTE a identifié quatre périodes sensibles : « Mi-décembre, la deuxième semaine de janvier, fin janvier et début février. »

Le transporteur d’électricité envisage quatre mesures « exceptionnelles, jamais déployées en France » pour faire face à ce genre de situation. La première est d’inviter les consommateurs à limiter leur consommation électrique en période sensible, en éteignant la lumière dans les pièces vides, en décalant l’utilisation du matériel électroménager (lave-vaisselle, lave-linge) aux heures creuses, en débranchant les chargeurs quand ils ne sont pas utilisés, etc. Une application baptisée Eco2mix, disponible à partir du 5 décembre, alertera les consommateurs à 18 h la veille des jours de tension. « À l’échelle nationale, on pense pouvoir économiser 3.000 MW », calcule RTE.

Deuxième mesure envisagée, l’interruption du courant « pour une durée allant de quinze minutes à plusieurs heures » chez vingt-et-un sites industriels fortement consommateurs d’électricité, qui ont passé un contrat spécial avec RTE. Selon l’évaluation de RTE, « cela permettrait de gagner 1.500 MW ». Troisième possibilité, baisser la tension sur l’ensemble du réseau. « Concrètement, cela veut dire que les lampes éclairent moins fort, que le chauffage chauffe moins vite, etc. » précise-t-on à RTE, pour un gain espéré de 4.000 MW. La « solution ultime » est la « suspension momentanée, localisée et temporaire » de l’électricité. Autrement dit, des délestages qui tourneraient toutes les deux heures d’une région à l’autre, jusqu’à ce que l’offre d’électricité rejoigne la demande.

EDF assure mettre tout en œuvre pour éviter cette situation. « L’ASN doit se prononcer mi-décembre sur le redémarrage d’un certain nombre de réacteurs, a assuré l’électricien à Reporterre. Si elle nous donne le feu vert, nous comptons les redémarrer le plus vite possible. Notre objectif est d’avoir un maximum de réacteurs disponibles en janvier pour passer l’hiver. »

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