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Polémique

Autisme, des députés LR relancent la guerre contre les psys

93 députés des Républicains veulent interdire la psychanalyse dans la prise en charge de l'autisme.
par Eric Favereau
publié le 5 décembre 2016 à 13h16

Du bruit et beaucoup de tintamarre. La planète psy est de nouveau en pleine ébullition. Et c'est sûrement ce que souhaitait le député des Républicains, Daniel Fasquelle en déposant une proposition de loi qui interdirait toute pratique psychanalytique dans la prise en charge de l'autisme, projet qui sera débattu le 8 décembre à l'Assemblée. «Non à la science d'Etat», «halte à la dictature», «attaque inadmissible contre la liberté du médecin», ont aussitôt répondu les proches du milieu psy. «Cette colère est justifiée car ce serait la première fois que les pouvoirs publics s'immiscent dans l'intimité des choix cliniques des thérapeutes», analyse un professeur de santé publique.

De fait, en matière de prise en charge de l’autisme, on aurait pu rêver d’un peu de calme, tant les difficultés sont nombreuses, les douleurs fortes et les malentendus fréquents. Voilà une maladie (1) compliquée, mal définie, confuse, une maladie qui déstabilise profondément les uns et les autres. Hier les parents ont pu se sentir agressés, aujourd’hui certains psychiatres sont dénoncés. Or, on sait que toutes les prises en charge sont fragiles. Que cherche donc Daniel Fasquelle, en relançant le conflit ?

A lire aussi, la lettre ouverte de la mère d'un enfant autiste «Monsieur Fasquelle, pour vous, les autistes n'ont pas les mêmes droits que les autres?»

Pour ce faire il s'appuie, voire détourne les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) publiées en mars 2012 qui avaient noté que les pratiques psychothérapeutiques n'avaient pas montré «un niveau de preuve suffisant dans la prise en charge de l'autisme». La HAS recommandait plutôt les thérapies comportementales. A l'époque, ce fut un tollé, et une nouvelle guerre de tranchée entre pro et anti psychanalyse. Le temps passant, les choses se sont un peu tassées, et vu la complexité pour traiter ces enfants, la plupart des experts se sont montrés plus tolérants, insistant sur la nécessité de prises en charge multiples. Et au passage beaucoup se plaignaient de la pauvreté des plans gouvernementaux sur l'autisme.

Daniel Fasquelle a choisi de relancer la guerre. Il est vrai que, depuis des années, il a fait de la lutte contre la psychanalyse, son cheval de bataille. Dans ses explications, le député du Pas-de-Calais avance des données dont nul ne connaît les sources. Ainsi, dit-il, «à ce jour, on recense 600 000 autistes en France. En 2014, 44 % des personnes autistes étaient victimes de maltraitance, soit 250 000 personnes autistes sur les 600 000 que compte notre pays. En outre, 80 % des enfants atteints sont exclus de l'école en milieu ordinaire. Et seuls 20 % d'entre eux sont pris en charge conformément au cadre défini par le gouvernement».

Dans ces conditions, à ses yeux, le salut ne peut venir que de l'application ferme et définitive des recommandations de la HAS. Il «invite le gouvernement français à réallouer en totalité les financements des prises en charge n'étant pas explicitement recommandées aux approches validées scientifiquement et ayant fait preuve de leur efficacité». En clair, supprimer toute subvention à la psychothérapie. Il exige que «le gouvernement français fasse cesser immédiatement la violence institutionnelle que subissent les personnes autistes», et demande que le gouvernement «interdise, sur le plan légal, la pratique du packing (1) sur les personnes autistes et toute autre pratique assimilable à de la maltraitance». Et si cela ne suffit pas, il «invite le gouvernement français à faire systématiquement engager la responsabilité pénale des professionnels de santé qui s'opposent aux avancées scientifiques». En clair, obéir ou bien la prison. Au final, il exige «que le gouvernement fasse interdire les pratiques psychanalytiques sous toutes leurs formes, dans la prise en charge de l'autisme».

Des mots, diront certains, voire des effets de manche pour d'autres. Pour autant, cela ne serait pas sans conséquence: si cette recommandation est adoptée, les autistes ne pourront plus bénéficier de thérapies par la parole, ou de thérapies de groupe, comme les psychodrames, l'équithérapie, voir l'art-thérapie, pour n'en citer que quelques-unes. Plus grave, «les parents de patients ne pourront plus venir parler de leurs angoisses, de leurs difficultés psychiques et de la transmission transgénérationnelle ou de leur couple», note un sociologue.

Cette proposition laisse pantois le professeur Bernard Golse, qui dirige le plus important service de pédopsychiatrie de France à l'hôpital Necker. «Cette interférence du politique dans le contenu du soin est inconcevable vis-à-vis de la protection des libertés et ceci d'autant plus qu'il n'existe aucun consensus et aucune solution générale quant à la prise en charge de l'autisme, explique-t-il. Cette intrusion, sans précédent, dans la liberté de choix de prescription est un danger pour une médecine éthique et de qualité, toutes disciplines confondues.» Lui comme d'autres rappelle que la HAS ne préconise pas d'ailleurs l'interdiction de la psychothérapie: «La HAS considère l'approche psychanalytique comme non consensuelle en raison d'un nombre insuffisant de retours d'expériences et d'études, mais elle encourage à poursuivre les recherches pour avancer dans la connaissance de l'autisme.» Et il ajoute: «Nos approches ne sont pas infaillibles et le résultat reste incertain comme dans bien d'autres domaines. Il faut donc protéger et renforcer une recherche libre et variée pour sortir du mystère que demeure encore l'autisme.»

Ce projet de «science d'Etat» est aujourd'hui porté par 93 parlementaires, où l'on retrouve Bernard Accoyer, Laurent Wauquiez et Nathalie Kosciusko-Morizet. Déroutant, car ce sont ces mêmes personnalités qui d'ordinaire défendent une médecine… très libérale. Le gouvernement se tait devant cette nouvelle polémique. Seul, le député socialiste Denys Robilliard, s'est inquiété de «cette atteinte grave aux libertés».

(1)Certains préférent parler de handicap

(2) Le packing est une méthode de prise en charge où un enfant autiste est enroulé dans des draps humides pour tenter de reconstruire son corps. Cette pratique, qui ne concerne que des enfants gravement malades, est critiquée par certaines associations de parents qui la considèrent comme maltraitante.

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