La Commission ferraille contre des lobbys virulents sur les armes à feu

La révision de la directive armes à feu fait partie du projet d'Union de la sécurité [Jayel Aheram/Flickr]

Un an après le Bataclan, et après des centaines d’heures de réunion, l’UE bataille toujours pour trouver un terrain d’entente sur l’encadrement des armes à feu. Certains chasseurs et tireurs sportifs refusent tout net le débat.

Un débat surréaliste et violent fait rage dans les couloirs des institutions bruxelloises autour de la directive armes à feu. Adopté en 1991 puis revue en 2008, le texte a été remis sur la table en novembre dernier après les attentats du 13 novembre. Il doit faire l’objet, le 5 décembre, d’un quatrième « trilogue », une réunion de conciliation de l’exécutif, du Parlement européen et du Conseil. Or en un an, les dizaines de réunions complexes entre les parties ont peu fait bouger les lignes.

La gauche isolée pour un encadrement plus strict

« C’est un sujet à la fois très technique et très politique. Mais sur le fond, on a un problème de sécurité publique comme nous l’explique les services de police, et dans ce cas il faut trancher en faveur de la sécurité, pas des libertés », explique l’eurodéputé Pascal Durand, rapporteur pour le groupe des Verts sur le dossier, que l’on ne peut accuser de proximité avec les idées sécuritaires.

Au Parlement européen, l’aile gauche de l’institution a été assez isolée à défendre la proposition de la Commission européenne, face aux groupes ECR ou ALDE, ainsi que le parti Europe des Nations et des Libertés dont fait partie le Front national, ou encore le Parti populaire européen.

La France est parmi les pays les plus motivés pour faire avancer le texte, dont le contenu a déjà largement été édulcoré depuis la proposition de la Commission, il y a un an.

Mais dans l’Hexagone, comme ailleurs en Europe, les chasseurs et tireurs sportifs sont montés au créneau pour défendre leurs activités, se plaignant d’un amalgame que ferait la Commission entre tireurs amateurs et terroristes. « Il est vrai que notre communiqué est sorti très rapidement après les attentats du Bataclan, mais la question est bien sûr plus large que celle de ces attentats » reconnait-on à la Commission européenne.

Sur le fond, la directive était « mal fagotée et rédigée trop rapidement » au départ explique une source au Parlement européen, qui souligne que les erreurs de départ ont été corrigées.

En France, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, avait aussi insisté après les attentats de Bruxelles sur l’urgence de toiletter la directive armes à feu. Une tentative de récupération de l’actualité peu efficace : les positions des parties prenantes ont eu tendance à se radicaliser encore par la suite.

Insultes et spams

« On a eu des lobbys très très actifs, et parfois très violents, alors qu’en face, les défenseurs des victimes ou les associations sont assez inaudibles » reconnait une source européenne. A la Commission, les personnes en charge du dossier ont reçu des mails d’insulte ; les eurodéputés ayant pris position pour un durcissement de la législation ont eux été victimes de spams massifs, dont l’organisation Firearms United serait responsable selon l’un d’eux.

Regroupement d’associations de tireurs ou de chasseurs d’un peu partout en Europe mais aussi en Australie, Firearms United ne fait pas dans la dentelle. «Nous ne voulons pas de ce texte. Puisqu’il n’y a aucun lien entre les détenteurs d’armes légaux et le terrorisme, à quoi sert-il ? » avance Tomasz Stepien, le président de l’organisation. Une position totalement opposée à la négociation, qui est parvenue à mobiliser un nombre impressionnant d’élus de tous bords et de toutes nationalités, notamment lors de réunions au Parlement européen.

En revanche,  les liens entre plusieurs massacres et certaines armes légales sont bien réels selon l’exécutif européen, qui s’arque boute sur ses positions notamment sur la question des armes semi-automatiques, la neutralisation des armes ou encore la détention d’armes de collection.

Plusieurs armes théoriquement « désactivées » ( neutralisées ou démilitarisées) ont en effet été utilisées dans différents épisodes terroristes ces dernières années : ce fut le cas pour la tentative d’attentat du Thalys, mais aussi pour l’une des armes utilisées lors de l’attentat de l’Hyper Casher, à Paris en janvier 2015. La nouvelle directive veut durcir les normes pour la neutralisation, afin d’éviter que des morceaux d’armes ne puissent être vendus sur Internet puis réassemblés sans aucune forme de contrôle comme n’importe quel bout de métal.

L’exécutif établit aussi un lien assez direct entre les 80 millions d’armes légales en circulation en Europe. « Nombre d’armes à feu en circulation illégales sont le résultat de vols, d’importations illégales, ou de transformations d’armes légales. Environ 500.000 armes à feu sont reportées comme perdues dans le système d’information Schengen » indiquait la Commission lors d’une communication au Conseil ».*

Au sein de ces armes, celles dites « semi-automatiques » font particulièrement débat.

La directive révisée entendait initialement en restreindre très sérieusement l’utilisation ; or certaines sont utilisées dans une des 50 disciplines de tirs sportifs. Avec 200.000 licenciés en France et un million en Allemagne, le tir recrute de plus en plus d’amateurs, notamment dans les services de police.

« Les armes semi-automatiques peuvent être plus dangereuses que les armes automatiques classiques » a indiqué le représentant de la Commission européenne, Alain Alexis, mi-novembre, lors d’un débat organisé au Parlement européen.  L’exécutif estime en effet qu’une arme semi-automatique, qui « gâche » moins de munitions qu’une automatique, risque d’être plus dangereuse dans un massacre, comme le fusil d’assaut AR-15, utilisé dans la tuerie d’Orlando en juin dernier.

L’exécutif veut donc interdire partiellement cette catégorie d’armes pour les civils, qu’ils soient tireurs ou collectionneurs.  D’autres armes semi-automatiques seront néanmoins toujours légales, mais là encore l’exécutif veut limiter la taille des chargeurs autorisés. « C’est une bataille d’apothicaire, les pro-armes veulent mettre 50 balles, les anti seulement 7, on en est à 10  actuellement » assure une source proche des négociations.

Pour la partie la plus modérée des opposants, les négociations menées depuis un an ont permis d’aboutir à des positions plus équilibrées. C’est ce que pense Thierry Coste, président du comité Guillaume Tell qui regroupe associations de chasseurs et tireurs sportifs français. Le lobbyiste n’a néanmoins pas de mots assez durs pour vilipender le travail de la Commission. « Les fonctionnaires ont font part d’un biais idéologique hallucinant, ils ont été nuls sur ce dossier en s’accrochant à des symboles comme les armes semi-automatiques » assure le lobbyiste, tout en reconnaissant que les positions initiales ont été revues pour qu’un compromis soit désormais possible.

L’extrême-droite en première ligne

Le comité Guillaume Tell se félicité d’avoir « bien travaillé » avec les eurodéputés Philippe Juvin et avec le Front national, représenté par Mylène Troszczynski, tous les deux membres de la Commission IMCO, qui est la principale à avoir planché sur le sujet.

Et pour Mylène Troszczynski, le compromis en discussion n’est pas envisageable. « Je me suis opposée à cette révision depuis le début. D’ailleurs la Commission européenne se contredit : elle voulait interdire certaines armes, et veut maintenant les autoriser avec un chargeur réduit. Il faudrait savoir !» s’insurge-t-elle, tout en regrettant que l’élue britannique Vicky Ford, rapporteur du Parlement européen sur le dossier, ait adouci sa position au fil du temps. Notamment en ne votant pas la demande de rejet du texte de la Commission qu’elle avait pourtant déposé. La majorité des élus les plus actifs sur le sujet se situent à l’extrême-droite, et sont en faveur d’une large circulation des armes en général.  « Il y a un grand intérêt à ce qu’un grand nombre de foyers dispose de quelques armes » assure l’eurodéputé Bruno Gollnish.

Au-delà des positions idéologiques, certains pays font valoir des pratiques différentes notamment pour les réservistes : certains conservent leurs armes chez eux, comme en Finlande ou en Suisse, et ne veulent pas revenir sur le sujet.

La technicité du débat et la crispation des positions sont des obstacles sérieux à un accord, mais les plus pressés veulent se raccrocher à un espoir : celui de la présidence slovaque, qui a fait des pieds et des mains ces derniers jours pour faire avancer le dossier. Histoire de clôturer son semestre avec un accord sur un sujet important en Slovaquie. A l’heure de la mise en place d’une Union de la sécurité en Europe, un éventuel consensus permettrait de redorer le blason d’une présidence pour l’heure plutôt peu efficace.

*21/10/2013

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