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Analyse

La gauche sans voix

La social-démocratie perd son dernier représentant de poids en Europe avec la démission de Matteo Renzi. Si la poussée xénophobe sur le continent explique en partie la déroute de la gauche, celle-ci paye aussi le prix de ses compromissions libérales.
par Lilian Alemagna et Jonathan Bouchet-Petersen
publié le 5 décembre 2016 à 20h26

Il a joué, il a chuté. Avec la démission du président du Conseil italien, Matteo Renzi, après la nette victoire du non au référendum institutionnel qu'il avait mis sur la table, la social-démocratie européenne perd son poulain le plus frais - élu en février 2014. Et son dernier dirigeant de poids sur le continent alors que François Hollande a, lui, renoncé sous la contrainte sondagière à briguer un second mandat. Sans préjuger de l'avenir de Renzi, son revers est la nouvelle démonstration d'une social-démocratie à tendance libérale décidément à l'agonie sur le continent. «Après le renoncement de François Hollande, ce vote participe de ce chant du signe du social-libéralisme européen», confirme Fabien Escalona, docteur en sciences-politiques et enseignant à Sciences-Po Lyon.

Faiblesse patente

Le score à un chiffre que certains sondages promettent à un Manuel Valls candidat à la présidentielle française - à un niveau similaire à celui de Hollande - témoigne aussi de cette faiblesse patente. Une réalité qui fait planer sur le PS français un risque de «Pasokisation». La Grèce, en effet, après avoir été le berceau de la démocratie, apparaît depuis quelques années comme une forme d’avant-scène de la décomposition-recomposition des gauches européennes - en l’espèce au profit d’Aléxis Tsípras et de la gauche dite radicale même si elle aussi a dû apprendre le compromis lié à l’exercice du pouvoir.

A mesure que la vague xénophobe affirme ses positions électorales en Europe, c'est la social-démocratie qui recule en premier lieu. Avec en creux, la question du vote des classes populaires, le thème de la protection, de la souveraineté et donc du rapport à l'Europe. Le tout sur fond de discours anti-élites, anti-système, anti-«castes», quand il n'est pas plus grossièrement anti-musulmans. «C'est aussi cette soumission à la doxa de l'Europe de Maastricht que Renzi le techno a payé dans les urnes», souligne le politologue Gaël Brustier, qui voit en lui davantage un Macron exerçant le pouvoir qu'un Valls transalpin. Renzi a aussi payé, dans une société «rétive», son «soutien aveugle et excessif» au traité économique entre l'Europe et les Etats-Unis (Tafta). Car derrière la soumission au règne du libre-échange à la sauce anglo-saxonne et aux critères européens, c'est la question des politiques d'austérité plutôt que de relance, et de l'augmentation des inégalités à défaut d'une plus juste répartition des richesses créées, qui se pose crûment. «Les sociaux-démocrates font face à une contradiction majeure, souligne Escalona. Ils assument de jouer le jeu de la mondialisation néolibérale et prétendent en retirer des bénéfices pour mener des politiques de réparation sociale. Or cet ordre produit des inégalités.» Et donc de la déception, qui finit par se transformer en colère. Gaël Brustier brocarde, lui, «tous ces politiques de l'avant-crise qui ont refusé de voir le réel, telle Hillary Clinton».

Rupture tapageuse

Le travailliste Ed Miliband en Angleterre ou l'Espagnol Pedro Sánchez, présenté comme l'étoile montante du PSOE, ont aussi fait l'amère expérience électorale de cette déconnexion. Tout comme le conservateur David Cameron lors du référendum perdu sur le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne. «L'UE et la zone euro telles qu'elles fonctionnent aujourd'hui fragilisent les exécutifs en place, note Escalona. En Italie, Renzi est, en plus, victime de son image de réformateur, de celui qui avait promis de renverser la table européenne et qui n'a pas pu le faire.» Pour ne pas être allé au clash avec Berlin après son élection en mai 2012 alors qu'il l'avait laissé entendre durant sa campagne, François Hollande, lui aussi, a subi le procès en trahison et en inefficacité de sa social-démocratie «molle». Mais en refusant la rupture tapageuse sur le dos des corps intermédiaires, la social-démocratie prône la culture du compromis (si possible) exigeant et du dialogue social. C'est sa force mais aussi de plus en plus sa faiblesse dans une époque où la prime est aux discours cash et parfois simplistes.

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Quand la social-démocratie a échoué, les gauches en dynamique cherchent d’abord leur voie dans l’antilibéralisme. On pense à Tsípras en Grèce, à Corbyn en Grande-Bretagne, à Iglesias en Espagne ou à Mélenchon en France… Il n’y a bien qu’au Portugal qu’une sorte de Front de gauche s’est allié aux socialistes pour accéder au pouvoir. Quant à l’Autriche, où le candidat écolo-libéral à la présidentielle l’a emporté dimanche face à l’extrême droite, difficile d’en tirer des conclusions générales tant le contexte est spécifique.

Les sociaux-démocrates européens sont-ils condamnés à une mort politique lente ? Escalona parie plutôt sur leur future mutation vers la gauche ou le centre : «La phase de remous n'est pas terminée et chaque parti pourrait prendre des chemins différents en fonction des pressions externes - les concurrences de nouvelles formations de gauche - et des débats internes qui vont monter.» C'est ce qui attend les socialistes français dès la primaire.

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