«Les hommes ont bénéficié de quotas officieux pendant des siècles» selon Vestager

Margrethe Vestager [European Commission]

Elue « Femme de pouvoir » de l’année, Margrethe Vestager s’engage pour les quotas de genre dans les institutions publiques.

Le lobby européen des femmes estime que celles-ci sont encore « lamentablement représentées » dans la politique européenne. Lors d’une remise de prix le 1er décembre, l’organisation a notamment décerné une récompense posthume à Adela Ionela Dinu, militante du droit des femmes roumaine, nommée « Femme d’action ».

Margrethe Vestager, commissaire européenne à la Concurrence, a pour sa part remporté le prix de la « Femme de pouvoir ». Cette ancienne Vice-première ministre danoise a occupé plusieurs postes ministériels et dirigé le parti social-libéral.

Nombre de lobbyistes bruxellois vous considèrent comme la commissaire le plus influente. Certains ont même peur de vous. Vous sentez-vous plus puissante que vos collègues masculins à la Commission ?

Non, je pense qu’il serait étrange que je me promène en me sentant puissante. Le seul pouvoir que nous ayons est celui de nos actes. En tant que commissaires, nous agissons dans l’intérêt de nos citoyens dans les cas concrets que nous gérons.

Il n’y a pas beaucoup de femmes à des postes importants dans la politique européenne. Même au sein de la Commission, moins de la moitié des commissaires sont des femmes. Avez-vous des idées pour corriger cela ?

Je pense qu’il faut prendre une série de mesures en même temps. Avant tout, il faut vouloir et promouvoir l’accession de femmes aux niveaux les plus élevés. Il faut également s’assurer qu’à tous les niveaux, les chances – les disponibilités et les qualifications – sont les mêmes pour les hommes et les femmes, pour que celles-ci s’élèvent comme les hommes dans nos systèmes politiques, nos parlements, nos gouvernements. J’estime aussi important de travailler sur nos clichés concernant les personnes au pouvoir. Selon moi, pour beaucoup de gens, un dirigeant est encore un homme.

Pensez-vous que les femmes politiques doivent agir différemment ou ont la vie plus dure que leurs homologues masculins pour s’assurer que leur voix sera entendue ?

Peut-être jusqu’à un certain point, mais au lieu d’envisager cela comme un obstacle, je dirais que c’est une opportunité de voir que les femmes peuvent parfois aller plus loin parce que nous n’avons pas un modèle uniforme de personne au pouvoir. Les femmes peuvent donc être plus ouvertes, plus flexibles et concrètement plus originales. Dans une certaine mesure, je pense aussi qu’on est moins distantes des citoyens, parce que l’on personnifie le pouvoir d’une manière différente. Et je pense que [les femmes au pouvoir] offrent une mise à jour très nécessaire de la manière dont le pouvoir est personnifié.

Il y a-t-il des avantages à être une femme politique ?

Je pense qu’on peut le tourner comme ça, mais ça doit être dans votre état d’esprit dès le départ. En termes de représentations culturelles, la personne au pouvoir est représentée par un homme, donc en tant que femme, il faut essayer d’être un homme. Mais alors, bien sûr, on ne peut plus se servir des possibilités dont jouissent généralement les femmes ou de la multitude de rôles qu’elles incarnent traditionnellement.

La Vice-présidente Kristalina Georgieva quitte la Commission à la fin de l’année. Pensez-vous qu’il soit important qu’elle soit remplacée par une autre femme ?

Je ne sais pas. Tout dépend de la femme, bien sûr. Je suis très heureuse que la direction de la Banque mondiale soit européenne, mais aussi qu’elle soit menée par une femme. Le poste de directrice générale pour lequel Kristalina Georgieva a été nommée est très important, et je pense qu’il est admirable qu’il soit occupé par une femme. D’un point de vue plus personnel, je la connais très bien et elle va beaucoup me manquer, parce qu’elle a fait de gros efforts, notamment pour promouvoir l’accession des femmes à des postes intermédiaires et supérieurs de la hiérarchie de la Commission.

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Quand Kristalina Georgieva a été nommée commissaire au budget et aux ressources humaines, elle a voulu s’assurer que la moitié des postes de gestion intermédiaire et supérieure de la Commission soit occupée par des femmes. Devrait-il y avoir des quotas de genre à la Commission et dans d’autres institutions publiques ?

Je pense que ce qu’elle fait est très bien, parce qu’elle n’en fait pas une règle absolue. Jusqu’ici, ça fonctionne. Je pense qu’il y a deux ans, 13 % de ces fonctionnaires étaient des femmes. Aujourd’hui on n’est pas encore à 30 %, mais on a dépassé les 26 %, donc vraiment, ça fonctionne. Toute ma vie, j’ai été réticente aux quotas, mais j’ai réalisé que nous avions des quotas masculins officieux depuis des siècles. Et ça a très bien marché, donc pourquoi ne pas retourner le concept ?

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Pour approuver l’octroi du projet de la centrale nucléaire de Paks II, en Hongrie, à l’entreprise russe Rosatom, la Commission a appliqué l’exception d’« exclusivité technique ». Il a ensuite été révélé que le Commissaire Oettinger s’était rendu en Hongrie à bord de l’avion privé d’un lobbyiste proche du Kremlin et travaillant pour Viktor Orbán. Avez-vous des doutes quant à la gestion de l’enquête de la Commission ?

Non, parce que cela n’a rien à voir avec le portefeuille de Günther Oettinger. Cette affaire concerne Elzbieta Bienkowska [commissaire au marché intérieur et à l’industrie] et moi-même [commissaire à la concurrence]. Donc si le but était d’influencer la Commission, ils ont embarqué le mauvais commissaire.

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Certaines industries traditionnelles, comme les constructeurs automobiles, se numérisent et commencent à considérer les données des consommateurs comme une partie de plus en plus essentielle de leurs modèles d’entreprise. Les mégadonnées sont-elles le prochain point d’ancrage des enquêtes concurrentielles ?

En réalité, nous nous penchons sur ces questions sous des angles divers depuis un certain temps. Quand on creuse un peu, on se rend compte que parfois les mégadonnées ne posent aucun problème, parce qu’elles auront perdu leur valeur d’ici une semaine, au mois, ou même six mois, ou parce qu’il s’agit de données qui sont facilement copiées, multipliées et vendues. Dans ces cas-là, elles ne peuvent constituer un obstacle ou un avantage essentiel face aux concurrents. D’un autre côté, nous sommes bien conscients qu’il existe un type de mégadonnées qui a une durée de vie très, très longue. Et qu’il est difficile de reproduire. C’est là que la question de la concurrence peut se poser, mais nous n’avons pas encore rencontré ce cas de figure. Aux États-Unis, si je me souviens bien la commission au commerce (FTC) a demandé à une entreprise de rendre sa base de données accessible afin que d’autres entreprises puissent cibler certains consommateurs. Je pense qu’il y a un autre exemple récent en France, une base de données du fournisseur d’électricité qui doit être mise à disposition si d’autres entreprises veulent s’adresser à un groupe très spécifique de consommateurs. [Note de l’éditeur : il s’agit de la décision de 2014 des autorités françaises de la concurrence qui oblige GDF Suez, devenu Engie, à rendre accessibles certaines données des consommateurs.]  Nous n’avons pas encore rencontré ce genre d’exemple dans notre surveillance des fusions, ou antitrust, mais nous sommes concentrés sur la question.

Le risque croît-il à mesure que l’Internet des objets se développe et que de plus en plus d’appareils sont connectés ?

Je pense que l’Internet des objets est déjà une réalité dans une partie de l’industrie, puisque des capteurs sont placés sur des tas d’objets pour améliorer la récolte de données, leur analyse et les conclusions que l’on en tire. Pour certains secteurs, il est très important de pouvoir coopérer en ce qui concerne l’Internet des objets et les données qu’il crée. Nous essayons donc de conseiller les entreprises, afin qu’elles s’organisent à la manière d’une corporation, et pas d’un cartel. Nous avons ouvert une consultation publique pour demander comment identifier les fusions qui pourraient poser problème. Ce qui est compliqué, c’est de trouver des règles objectives pour que les entreprises sachent quand faire appel à nous.

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Quels sont vos objectifs pour l’année à venir ?

L’un de mes objectifs est de conclure des dossiers, d’une manière générale. C’est une chose d’ouvrir des enquêtes, mais il faut aussi savoir les clôturer, sinon il devient très difficile de tirer des conclusions et de guider le reste du secteur. Ça n’est toutefois pas spécifique à 2017, parce qu’il est très difficile de faire des prévisions sur la progression des dossiers.

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