-

Quand le RSI applique une taxation d'office, les montants atteignent vite des sommes colossales. "Le but est de faire réagir la personne", commente un conseiller. (photo d'illustration)

Getty Images/Tetra images RF

55 000 indépendants affiliés au régime social des indépendants (RSI) franchissent chaque année les portes du RSI Ile-de-France Centre, au 141 rue Saussure, dans le XVIIe arrondissement de Paris. Nulle part dans l'Hexagone aucune caisse ne reçoit autant de monde. "Nous couvrons les départements 75 et 93, où les chefs d'entreprise d'origine étrangère sont légion, détaille Mireille Tonner, directrice adjointe. Beaucoup d'entre eux préfèrent venir s'entretenir avec un conseiller plutôt que de téléphoner ou de se renseigner sur internet. Ils sont plus à l'aise en face-à-face."

Publicité

LIRE AUSSI >> RSI: "Les gens n'en peuvent plus"

En ce début d'automne, le flux est constant mais gérable. En période d'appel à cotisations, il s'accélère. "Nous avons très peu d'incidents à l'accueil, car dès que le temps moyen d'attente de vingt minutes risque de se dégrader, je fais intervenir le back-office en renfort", signale Mireille Tonner. Les box d'entretien sont situés dans deux salles séparées du hall par des portes à badge. Chaque conseiller les franchit pour venir inviter son prochain "rendez-vous" à le suivre, en l'appelant par son nom. "C'est important, pour que les gens ne se sentent pas comme des numéros", souligne la directrice adjointe.

"Et pour mes pénalités?"

Les affiliés sont classés par motif de visite: retraite, radiation/affiliation, contentieux etc. Danièle, conseillère, prend en charge un ticket "appel à cotisations". La voilà qui va chercher en salle d'attente José*, qui prend place en face d'elle. Artisan auto-entrepreneur depuis 2013 - son immatriculation Siren dit qu'il fabrique des structures métalliques - , il se plaint de ne pas avoir reçu "sa feuille pour faire sa déclaration". Pourtant, dit-il, il est déjà passé ici il y a deux mois pour faire modifier son adresse. "Nous avons changé celle du domicile et celle de la correspondance, lui répond la conseillère. Par contre, pour faire modifier l'adresse professionnelle, il faut faire la démarche auprès de la chambre des métiers. L'avez-vous fait ?" Non, José ne l'a pas fait. Visiblement décontenancé que sa démarche auprès du RSI n'ait pas suffit.

"Et les impôts? Je dois déclarer comment?", s'enquiert-il. "Je vois dans votre dossier que vous n'avez pas opté pour le prélèvement fiscal libératoire", lance Danièle. Froncement de sourcils du principal concerné. "Le pré-lè-ve-ment fis-cal li-bé-ra-toire, répète-t-elle. Ca veut dire payer ses impôts en même temps que vos cotisations sociales." Elle propose d'activer cette option pour l'année prochaine, mais pour cela, elle a besoin d'un courrier de José, qu'elle enverra à l'Urssaf. José a du mal à l'écrit. Elle lui tend un stylo et lui dicte le courrier. La tâche est laborieuse. Il tend la feuille, penaud. "Ca ira très bien, monsieur, je rajouterai de toute façon une petite note."

LIRE AUSSI >> Un conseiller au RSI témoigne : "J'ai vu des gens défaits, détruits"

José voudrait aussi "faire un stage". "Ce serait bien, dans ce cas, que vous puissiez présenter à la chambre de métiers l'attestation prouvant que vous êtes à jour de vos cotisations formation. Vous pouvez la télécharger sur Internet. Avec vous ouvert votre compte?" José ne veut pas en entendre parler, il n'est pas à l'aise avec le web. Avant de repartir, il s'inquiète des pénalités de retard dont il fait l'objet, faute d'avoir déclaré ses revenus à temps. "Voici un formulaire de demande de remise, lui tend la conseillère. Quand les retards ne sont pas fréquents, elle est généralement accordée." José a un bon dossier. Il n'a jamais connu d'incident avant ce jour.

"Ah... Il y a un problème informatique"

Un box plus loin, Thierry reçoit Stéphane*, 63 ans, pour parler retraite. Passé par mille et un métiers" au cours de sa vie, il voudrait "un relevé de carrière". Aujourd'hui auto-entrepreneur VTC, il vient de s'acquitter d'une dette qui correspondait à plusieurs années d'impayés, datant de l'époque où il était agent commercial dans l'immobilier. Il souhaiterait savoir combien de trimestres cela va lui rapporter. "Ah, il y a un problème informatique, je n'arrive pas à visualiser les trimestres", se désole le conseiller, qui tapote sans succès sur son ordinateur. "Donc je ne pourrai pas avoir mon relevé?", demande Stéphane, flegmatique. "Non, je suis désolé, essayez de repasser en janvier. De toute façon, vous venez à peine de régler l'huissier le mois dernier, donc ce n'est pas sûr que cette somme soit déjà dans la base informatique." Thierry imprime quand même une estimation globale du nombre de trimestres acquis. Stéphane la donnera à la société qu'il a mandatée pour faire le point sur sa situation. Elle doit notamment lui dire si cela vaudrait la peine qu'il paie aussi des arriérés prescris de longue date. Il y en a pour 3800 euros.

LIRE AUSSI >> Calcul de cotisations RSI, mode d'emploi

En repartant, il lâche: "Vous savez, la retraite des indépendants, c'est pas comme les celle des salariés. On cotise, on cotise, mais au final, on a des retraites toutes petites!" Thierry s'insurge : "Ah non! Vous ne pouvez pas dire cela! Les régimes des salariés et des indépendants sont totalement alignés. Pour une même cotisation, la prestation est identique. La différence, c'est que dans le cas du salarié, c'est le patron qui paie les cotisations. Si ce n'était pas le cas, les salaires seraient plus élevés!" Il aurait aussi pu ajouter que les indépendants font des carrières moins longues que les salariés, qu'elles sont souvent en dent de scie, et que, malheureusement, tout ceci joue sur le montant final à la liquidation, donnant l'impression d'une prestation au rabais.

"Je n'arrive plus à dormir"

La retraite, Sélestin*, 57 ans, en rêverait. Chauffeur de taxi, il est dans la mouise jusqu'au cou. Il a été arrêté l'année dernière. Un mal de dos coriace, qui l'a conduit à louer sa licence, le temps d'aller mieux. Celui qu'il appelle à tort son "salarié" a eu un accident avec le taxi. La voiture a été hors service tout l'été. Aujourd'hui Sélestin a repris le volant, mais il ne peut conduire plus de deux ou trois jours d'affilée, il souffre trop. A la peine physique s'ajoute les courriers des huissiers. "Je n'arrive même plus à dormir, lâche-t-il devant Annie, qui le reçoit ce jour. Que l'Urssaf et le RSI me prennent tout. J'ai envie d'être libéré".

LIRE AUSSI >> Maladie, indemnités journalières... Ce qu'il faut savoir quand on est au RSI

Même si plus tard, la conseillère nous confiera que ce genre de dossier lui "crève le coeur", devant lui, elle évite le pathos et reste pragmatique: "Vous savez, monsieur, on peut se retrouver dans une situation comme la vôtre sans que cela soit volontaire. Etes-vous en mesure de proposer un échéancier à l'huissier?". Ils tombent d'accord sur "100 euros à partir de janvier". Elle lui fait écrire une lettre, pour fixer ce plan de versement. "Si un jour vous n'êtes pas en mesure de tenir votre échéancier, prévenez tout de suite l'huissier, conseille vivement Annie. Si vous ne lui dites pas, cela va de nouveau engendrer des frais."

Elle lui propose aussi de lancer une demande d'action sociale, pour alléger le débit de cotisations qui n'est pas encore chez l'huissier. Comme il est trop tard pour passer devant la commission d'action sociale qui se tient dans quelques jours, le taximan devra attendre quelques semaines. Dans le dossier, il devra lister ses charges professionnelles, personnelles, et expliquer précisément sa situation. La grâce totale n'existe pas, mais le RSI l'aidera éventuellement à payer son dû, via un abondement: en 2015, 35 millions d'euros de cotisations ont été ainsi pris en charge par le fonds d'action sociale de l'opérateur.

"On devrait pouvoir ramener votre dette à 12 000 euros"

Arrive depuis l'accueil un ticket "contentieux". Benjamin*, 39 ans, producteur dans l'audiovisuel, est tout sourire. On s'attend à entendre parler d'une dette de quelques centaines, voire quelques milliers d'euros. "Vous devez au RSI 136 000 euros", lui apprend la conseillère, Monique. "Ah ouais quand même! Je croyais que c'était plutôt 60 000, s'exclame-t-il, pas le moins du monde effondré. Si son passif est si lourd, c'est que Benjamin a subi ce que le RSI appelle dans son jargon une "taxation d'office". Elle est appliquée quand les affiliés omettent de déclarer leurs revenus. En l'occurrence, "l'oubli" concerne cinq années.

LIRE AUSSI >> Le calendrier des appels à cotisations du RSI a évolué en 2015

Devant la conseillère, qui ne lui demande rien, il tente de se justifier: "J'ai eu des difficultés personnelles, et puis aussi, comme j'ai fait un prêt personnel à ma société, ma société m'a remboursé donc elle n'a rien gagné." L'huissier a procédé à une saisie-attribution, c'est-à-dire qu'après enquête, il a trouvé le numéro de compte de l'affilié et a procédé à une saisie. En vain, le compte était vide. Aujourd'hui, Benjamin attend une rentrée d'argent et veut mettre au clair sa situation. Il est venu avec ses avis d'impôts, pour prouver ses revenus. Mais en fait d'avis, il s'agit surtout de déclarations. La conseillère les accepte sur l'honneur. "Avec ce que vous me fournissez aujourd'hui comme informations, on devrait pouvoir ramener la dette à 12 000 euros, mais je vous préviens, on vous demandera peut-être d'autres justificatifs." L'affilié dit qu'il devrait pouvoir payer les 12 000 euros en deux fois, voire en une fois car il attend "un règlement d'ici la fin du mois". Il repart, sans que l'on sache très bien s'il tiendra son engagement. Après-midi de routine, au RSI.

Publicité