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François Fillon : droite retrouvée, peuple introuvable ?

JEAN-FRANCOIS MONIER/AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE - L'ancien Premier ministre a recréé la synthèse historique des droites orléaniste, bonapartiste et légitimiste, estiment Alexandre Avril et Vincent Perrot. Mais le député de Paris doit réunir autour de lui la France populaire largement absente des primaires.


Alexandre Avril et Vincent Perrot, élèves de l'Ecole normale supérieure (Ulm) et diplômés de HEC Paris, sont respectivement chercheurs en philosophie politique et en histoire des idées.


L'élection annoncée d'Alain Juppé et l'avènement attendu d'Emmanuel Macron devaient reléguer le clivage droite-gauche au rang des concepts politiques dépassés. Les résultats de la primaire de la droite semblent au contraire restaurer ce clivage.

En se détournant de son ancien champion, Nicolas Sarkozy, et du vainqueur désigné des sondages, Alain Juppé, la droite française ne s'est pas montrée volage: elle est rentrée à la maison. Même cette droite qui s'était située «hors les murs» et rêvait d'unifier les droites conservatrices et souverainistes, semble désormais se placer sous l'autorité de François Fillon.

François Fillon retrouve l'ADN du Parti de l'Ordre de 1848, celui de Guizot, Thiers et Tocqueville mais aussi du comte de Falloux.

Cela s'explique par le fait que ce dernier a su incarner l'ethos traditionnel de la droite, avec lequel Nicolas Sarkozy, par son style, avait consciemment rompu. Notable de province, propriétaire d'un manoir (comme Charles de Gaulle, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Chirac en leur temps), gestionnaire au discours rigoureux sur la dépense de l'Etat, prêt à effectuer des coupes massives dans la fonction publique, François Fillon se conforme à tous les marqueurs de la droite classique. Il relégitime la tripartition établie par René Rémond en 1954 en opérant une synthèse asymétrique entre une forte dose de droite orléaniste (attachement à la liberté d'entreprise, maîtrise de la dépense publique, réduction des impôts), une légère dose de bonapartisme (indépendance diplomatique, retour du thème de la souveraineté, autorité de l'État) et une légère dose de traditionalisme (défense de la famille, racines chrétiennes de la France). François Fillon retrouve l'ADN du Parti de l'Ordre de 1848, celui de Guizot, Thiers et Tocqueville mais aussi du comte de Falloux.

François Fillon a compris le camp d'une droite qui cherche à conserver ce qu'elle a reçu en héritage moral et à transmettre librement ce qu'elle a gagné par son travail.

François Fillon a gagné parce qu'il a été le premier à comprendre le principe de la primaire et de son électorat, plus âgé et plus favorisé que l'électorat de la présidentielle. Il a répondu aux attentes du camp de la droite. Le camp d'une droite qui cherche à conserver ce qu'elle a reçu en héritage moral (ce qui fonde son attachement à la continuité et à l'identité françaises) et à transmettre librement ce qu'elle a gagné par son travail (ce qui explique sa méfiance des dépenses somptuaires et de ce qu'elle perçoit comme de l'«assistanat»). Il s'agit d'une droite patrimoniale: soucieuse de conserver son patrimoine moral et matériel, elle est composée d'électeurs dont l'appartenance à la droite fait partie de l'identité culturelle et politique. Une droite profondément réaliste, pragmatique, enracinée. C'est elle que François Fillon a su mobiliser.

François Fillon a su trouver le point d'équilibre de la droite.

A l'inverse, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé se sont trompés d'électorat. Le premier n'a pas su s'adresser à cette droite conservatrice composée, pour moitié, de retraités. Il a voulu s'adresser à la droite des déshérités en articulant sa campagne autour du thème du déclassement, en s'auto-proclamant porte-parole de la majorité silencieuse, stratégie qui lui avait si bien réussi en 2007, avait failli réussir en 2012, mais ne pouvait qu'échouer à la primaire de la droite et du centre. Il s'est trompé d'électorat en ciblant «le petit peuple de droite», très peu mobilisé lors de ces primaires, et en négligeant la sensibilité chrétienne de la Manif pour Tous, qui en réunissant près d'un million de personnes lors des manifestations de 2013 a potentiellement représenté un quart des électeurs de la primaire. Alain Juppé, lui, n'a pas su voir que le jeu partisan de la primaire, loin d'effacer le clivage gauche-droite, ravivait les identités partisanes. Il s'est placé hors-jeu en se cramponnant au thème de «l'identité heureuse», voué à être inopérant auprès d'une droite qui a depuis bien longtemps renoncé au rêve multiculturel. Les deux rivaux ont activé trop vite leur stratégie de campagne présidentielle.

L'élection de François Fillon n'a pas été le résultat d'une « droitisation » de l'électorat, ni d'une recomposition de la droite, mais de la volonté de la droite de camper ferme sur ses principes.

Au contraire, François Fillon a su trouver le point d'équilibre de la droite à la faveur d'un mode de scrutin qui tend à éliminer les figures clivantes du camp (Laurent Fabius en 2006, Martine Aubry en 2011, Nicolas Sarkozy en 2016) pour privilégier les figures d'équilibre restées un temps en retrait (Ségolène Royal, François Hollande). L'élection de François Fillon n'a pas été le résultat d'une «droitisation» de l'électorat, ni d'une recomposition de la droite, mais de la volonté de la droite de camper ferme sur ses principes.

L'enjeu est maintenant pour François Fillon de réussir à mobiliser les quinze millions d'électeurs qui lui manquent pour gagner l'élection présidentielle. Cet électorat flottant n'appartient pas par nature à la droite. Il s'agira de le mobiliser comme De Gaulle en 1965, Chirac en 1995 ou Sarkozy en 2007. Cet électorat périphérique et majoritaire souffre de la mondialisation et de ses effets: l'insécurité sociale et l'insécurité culturelle. Face au risque d'être pris en tenailles entre une gauche remobilisée autour de la défense du modèle social et le discours anti-mondialiste du Front National, François Fillon devra convaincre qu'il est capable de répondre au besoin de protection des classes populaires, en proie à un sentiment de dépossession matérielle et identitaire. Sans forcément infléchir son programme économique, il lui faudra trouver le ton juste pour rassurer cette France qui ne s'est pas sentie conviée aux primaires, élection privée et payante symboliquement réservée à la droite notable et patrimoniale.

François Fillon a su mobiliser la droite des primaires, saura-t-il désormais mobiliser la droite populaire?

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