Les Rolling Stones en Amérique : pèlerinage aux studios Chess

Publicité

Les Stones n'ont jamais caché leur fascination initiale pour le blues américain. Auquel ils reviennent avec leur nouvel album.

Ma théorie, on en a eu un aperçu hier, c'est que les Beatles sont des Anglais qui ont redécouvert une musique américaine déjà démodée à leur époque, le rock and roll. Tandis que les Rolling Stones, un cran plus snobs, ont pioché dans une autre musique américaine – le blues.

Oui, mais pas seulement…. Les Beatles, d’abord. Quiconque a vécu quelque peu en Angleterre ne peut manquer d’associer immédiatement Penny Lane à ces petites ruelles plaisantes, avec leurs façades de maisons en briques peintes, leurs échoppes en bow-window, leurs pubs victoriens aux enseignes en lettres dorées « Kings Arms », « The Lamb and Flag », « The Trout Inn »…. Malgré leur ancrage dans une modernité assumée, les Beatles ont popularisé dans le monde entier une notion tellement britannique que le mot qui la désigne est intraduisible – le quaint. Le meilleur équivalent est charme suranné ; mais cela induit aussi les idées de pittoresque, touchant et désuet.

Publicité

D’ailleurs, l’inspiration des Beatles plonge dans des traditions culturelles spécifiquement britanniques, comme les fanfares (Sergent Pepper’s), les nursery rhymes (All you need is love), et le nonsense (Nowhere man). Les Beatles sont anglais jusqu’au bout des boots. Tout un côté tasse de thé de porcelaine et humour en demi-teinte, doucement loufoque ; avec cette dose d’excentricité – pratiquement incommunicable en dehors des îles britanniques. A fortiori de l’autre côté de l’Atlantique.

Les Rolling Stones, eux, se vivent à l’origine comme des garçons nés au mauvais moment au mauvais endroit – avec, en outre, la mauvaise couleur de peau. Selon la légende, les fondateurs du groupe, Mick Jagger et Keith Richards, qui s’étaient connus adolescents dans la banlieue londonienne de Dartford, se seraient se reconnus sur un quai de gare, chacun portant sous le bras des disques de Chuck Berry, Little Walter et Muddy Waters. Ce goût partagé des musiques noires américaines leur aurait donné l’idée de monter un groupe.

Or, ce genre de disque était difficile à dénicher, à l’époque en Grande Bretagne. Il fallait être un peu snob et se les procurer auprès des marins américains en goguette. Les deux compères ont ensuite repéré Brian Jones au fait qu’il copiait à la perfection le style du guitariste de blues Elmore James ; à l’époque, Brian se faisait appeler Elmo Lewis. A ses débuts, le groupe semblait mener une croisade, une croisade pour le blues – ou plus exactement pour le rythm’n blues. Car leur référence était le blues électrifié qui était joué à Chicago dans les années 50 par des musiciens noirs, généralement venus des états du Sud.

Au blues sudiste, rural, généralement joué à la guitare acoustique et à l’harmonica, les bluesmen de Chicago avaient ajouté en effet une basse électrique, une batterie, et souvent aussi un piano. Ils en avaient fait une musique urbaine. Bright Lights, big city, comme chantait Jimmy Reed. La maison de disques qui a diffusé la plupart de ces musiciens à Chicago, – Howlin’ Wolf, Muddy Waters, John Lee Hooker, c’était Chess Records. Elle avait été créée par deux frères, Leonard et Phil Chess, des Juifs originaires de Pologne, dont le dernier est mort en octobre dernier. Ils n’enregistraient que des musiciens noirs à destination d’un public presque uniquement noir. Rares sont, à l’époque, les blancs qui écoutent du blues. Cette musique passe encore pour un folklore.

Lorsque les Stones se lancent à l’assaut des Etats-Unis, dès 1964, ils demandent évidemment à visiter les studios Chess de Chicago. Un véritable pèlerinage pour ces enfants du blues. Et sur place, ils vont enregistrer 4 morceaux, qui figurent sur un album pirate, Rough Stuff. Chuck Berry assiste à cet enregistrement. Sa réaction, un brin ironique, se passe de commentaires. « Swing on, gentlemen, you are sounding most well, if I may so »…. Poursuivez, messieurs, vous sonnez magnifiquement bien, si je peux me permettre. On écoute l’un de ces morceaux enregistrés aux studios Chess de Chicago en 1964, Hi Heel Sneakers.

L'équipe