UNICEF: 2016 a été une des pires années de l’histoire pour les enfants »

En Syrie, Abdulaziz (en rouge) s'amuse dans deux caves reliées converties en salle de jeux pour les enfants. [UNICEF]

D’Alep au Sud-Soudan et au Yémen, l’accès des enfants à l’éducation en temps de crise demeure insuffisant, selon l’UNICEF. Les donateurs internationaux doivent augmenter les financements afin d’éviter une nouvelle « génération perdue ».

Justin Forsyth est actuellement vice-directeur d’UNICEF, après avoir été directeur de Save the Children et conseiller du Premier ministre britannique Tony Blair.

L’UNICEF a organisé un événement au Parlement européen sur l’éductation en temps de cirse. Quel était le but de cette réunion ?

C’était de mettre en lumière l’éducation dans l’urgence. Nous avons fait beaucoup de progrès en termes de scolarisation en général, partout dans le monde, mais dans les situations de crise, un grand nombre d’enfants arrêtent l’école, alors que c’est évitable.

Ils arrêtent d’apprendre, et une partie très modeste de l’aide humanitaire est dédiée à ce problème. C’est pourquoi le commissaire Christos Stylianides [aide humanitaire et gestion des crises] était au Parlement aujourd’hui : pour tirer la sonnette d’alarme sur l’éducation en temps de crise.

Que ce soit à Alep, au Sud Soudan ou au Yémen, la question est de savoir comment les enfants peuvent continuer à apprendre dans les situations d’urgence. Nous avons entendu des  solutions inspirantes à ce sujet.

Selon les chiffres de l’UNICEF, 462 millions d’enfants sont dans des « situations d’urgence », et 75 millions d’entre eux ne peuvent pas aller à l’école. Que voulez-vous concrètement pour régler cette situation ?

L’Union européenne, l’un des plus importants donateurs d’aide humanitaire au monde, ne dépense que quelques pour cents de son budget humanitaire aux situations d’urgence. Le Commissaire Stylianides assure que récemment ce chiffe a atteint 4% et qu’il augmentera pour atteindre 6%, ou plus. La première chose à faire est donc de mobiliser de larges sommes d’argent.

Et il ne s’agit pas seulement de l’UE, mais aussi de la Banque mondiale, du gouvernement britannique, de la Norvège, des Américains, etc. L’argent qui est dédié à cela mène à des résultats concrets.

Pour l’instant à Alep, même au milieu du conflit qui fait rage, il existe des écoles clandestines, où les enfants apprennent, grâce à l’argent de l’UE. Dans les camps de réfugiés en Jordanie et en Turquie, il y avait un très grand nombre d’enfants non scolarisés, qui sont maintenant presque tous à l’école. En Turquie, il y a encore des progrès à faire, mais en Jordanie les résultats sont là, nous n’aurons pas une « génération perdue » d’enfants qui n’ont pas eu accès à l’éducation.

Non seulement la non scolarisation a des conséquences dangereuses sur les enfants, mais cela déstabilise également les communautés et sociétés auxquelles ils appartiennent. Dans des endroits comme le Moyen Orient, ils sont donc encore plus vulnérables face aux discours de recrutement des extrémistes.

Vous avez mentionné la Syrie et Alep, qui sont dans tous les esprits en ce moment, mais selon nombre d’ONG le conflit syrien a fait passer au second plan d’autres crises, comme au Yémen, autour du lac Tchad,…

Absolument. Cet été, je me suis rendu au Sud Soudan, où la moitié des enfants ne vont pas à l’école. C’est une tragédie. Nous commençons à faire des progrès, mais la réouverture du conflit en juillet a entrainé des déplacements massifs. Un grand nombre d’enfants sont sous-alimentés, et ne vont pas non plus à l’école. En plus des autres violations des droits de l’Homme, les groupes armés recrutent aussi des enfants soldats.

Je me suis rendu à Bentu, un endroit très isolé, où des milliers de personnes se sont réfugiées. Dans le camp, ils ont commencé à mettre en place des écoles, les enfants se remettent à apprendre, et ils sont enthousiastes et motivés. Pour eux, cela crée une certaine normalité malgré la situation.

Il y a aussi le Nigéria, où il me semble que Boko Haram a détruit 3 000 écoles. Quand l’organisation terroriste a ont repoussée, les enfants ont pu retourner sur les bancs de l’école.

Donc non, le problème n’existe pas uniquement en Syrie.

Aussi horrible que soit leur situation actuelle, l’importance de l’éducation est que les enfants soient équipés pour leur avenir, alors que sans scolarisation dès l’enfance, il est difficile d’obtenir une seconde chance.  Est-ce votre argument ?

En effet. Il est possible de rattraper plus tard, et nous organisons des programmes à cet effet avec des enfants plus âgés, mais c’est beaucoup mieux de ne pas rater le coche. Il y a aussi le fait que ces enfants sont vulnérables  et peuvent par exemple se retrouver à travailler dans des usines, comme c’est le cas à certains endroits en Turquie pour les réfugiés. Les écoles sont donc des havres de sûreté, en plus d’être des lieux d’apprentissage.

>> Lire : Face à l’exploitation des enfants réfugiés syriens, changeons d’approche

Il ne s’agit pas toujours d’écoles comme on les imagine en Europe. Au Sud Soudan, il y a par exemple des écoles sous tentes dans un des camps de réfugiés, alors qu’à Alep, elles sont en sous-sol. Il faut faire avec les circonstances, l’important c’est de créer un espace de sûreté pour les enfants.

Quel bilan tirez-vous de 2016 en termes d’aide humanitaire et au développement ? Malgré les efforts déployés, le conflit syrien n’est pas prêt de toucher à sa fin et les pays voisins accueillent des millions de réfugiés. Voyez-vous une lueur d’espoir pour 2017 ?

2016 a sans doute été une des pires années de l’Histoire pour les enfants. Ajoutez la Syrie au Yémen, au Sud Soudan, au nord du Nigéria, des enfants sont partout forcés de quitter leur foyer. C’est le cas aussi de ceux qui fuient les violences des gangs en Amérique centrale ou entament la traversée de la Méditerranée depuis  la Libye. Il ne doit pas y avoir tellement d’année où les enfants ont subi autant de violences, sans même parler de leur scolarisation.

>> Lire : 20 000 enfants ont déjà traversé la Méditerranée seuls en 2016

En Syrie, la situation  me semble très sombre. Dans nombre des zones assiégées où nous travaillons et auxquelles nous essayons d’avoir accès, de l’aide arrive, certainement plus que dans l’est d’Alep. Mais cela reste très insuffisant, et beaucoup moins que les années précédentes. Le conflit a éclaté il y a bientôt six ans, et les souffrances qu’il a engendrées sont terribles.

Un membre de notre personnel m’expliquait que dans l’est d’Alep, les médecins que nous soutenons sont presque à cours de médicaments. Ils doivent donc décider qui meurt et qui survit. Il y a aussi des centaines d’enfants blessés que nous ne sommes pas parvenus à évacuer.

On n’imagine pas de situation plus horrible. Les gens commencent à perdre espoir. Une mère qui avait perdu son mari et ses deux fils a récemment tenté de se tuer avec son bébé.

Au début du conflit, les réfugiés espéraient revenir, mais je pense qu’ils ont perdu espoir.

>> Lire: Un rapport dénonce l’échec de l’UE sur la protection des enfants réfugiés

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