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Etats-Unis

Roi de la malbouffe et des bas salaires, voici Andy Puzder, ministre du Travail de Donald Trump

Le magnat du fast-food suscite la polémique avant même ses débuts en politique. Il aime : les clips coquins et dégradants. Il déteste : rémunérer correctement son personnel.
par Pierre Carrey
publié le 10 décembre 2016 à 12h28

Le roi du burger Andy Puzder provoque déjà la nausée chez les syndicats américains. Le nouveau secrétaire d'Etat au Travail, désigné ce vendredi par Donald Trump, est connu pour son «extrémisme anti-travailleurs», dénonce Mary Kay Henry, de l'Union internationale des emplois de service (représentant plus de 2 millions d'adhérents aux Etats-Unis, au Canada et à Puerto Rico). Puzder, 66 ans, rejoint la liste des «ministres» très contestés de la prochaine administration Trump qui entrera en fonction le 20 janvier 2017. Tels l'ex-banquier de Goldman Sachs, Steven Mnuchin (Trésor), l'anti-avortement Tom Price (Santé), le «roi des faillites» Wilbur Ross (Commerce)… Mais ce riche industriel n'a pas attendu sa nomination pour susciter la controverse. Puzner, à la tête du groupe CKE Inc depuis quinze ans, emploie 75 000 personnes aux Etats-Unis et possède plus de 3 600 restos et franchises dans 38 pays (Carl's Jr ou Hardee pour le burger, Green Burrito pour les plats tex-mex) : une affaire florissante qu'il mène avec une certaine inélégance.

Gras avec les femmes

«J'aime nos publicités. J'aime les belles femmes qui mangent des burgers en bikini. Je pense que c'est très américain. J'ai entendu que les marques reflètent la personnalité de leurs patrons. Et j'ai rarement pensé que c'était vrai, mais je pense que dans le cas qui nous occupe, [mes pubs] reflètent ma personnalité». Soit : un gros beauf, qui veut attirer dans ses restaurants des «jeunes hommes qui ont faim», explique-t-il. Et ce père de deux enfants, divorcé (son ancienne femme l'accuse d'avoir commis sur elle des abus sexuels), par ailleurs ancien avocat au service des militants anti-avortement, se voit comme tel. Le décalage vaut aussi pour l'image familiale de ses entreprises, qui arborent un logo enfantin : une étoile rouge avec un joli sourire. En réalité, chez Puzder, la propagande se joue à coups de femmes dénudées. L'une des premières égéries à poser pour Carl's en 2006 : Paris Hilton.

Certaines campagnes ont tout particulièrement défrayé la chronique, comme celle diffusée pendant la finale du Superbowl en 2015. On y voit Charlotte McKinney, autre starlette, déambuler nue à travers les étals d'un marché, où on confond ses seins (énormes) avec une paire de melons. Le clip, très subtil, est censé promouvoir le «All-natural burger», dépourvu de viande aux hormones. Cette année, Carl's verse dans l'érotisme lesbien avec le sandwich «Fantasme 3 façons» (en anglais, «3-Way Fantasy») : trois nymphes pas très habillées suçotent des bâtonnets de «coulis de jambon» et finissent par se lécher les doigts entre elles…

La beaufitude était déjà en vigueur dans la promotion de l'entreprise avant qu'Andy Puzder accède à la présidence en 2000. Carl Karcher, son prédécesseur et ami, qui l'a recruté d'abord comme avocat et lui a permis de gravir les échelons en interne, était plus gêné par cette hypersexualisation de la marque. Personnage anti-avortement, homophobe assumé dès la fin des années 70, le fondateur de Carl's jugeait comme «un déchirement du cœur qu'une société fondée sur des principes chrétiens ait pu commettre des actes immoraux». Puzder, lui, est loin de se repentir.

Gras avec les burgers

Mieux vaut entretenir les secrets de fabrication. Voilà deux ans, Puzder s'opposait à un projet de la Food and drug administration (FDA), qui visait à imposer l'affichage du nombre de calories pour chaque plat servi dans les fast-foods et pizzerias aux Etats-Unis. «Etiqueter les calories d'un menu ne change pas les habitudes» du consommateur, soulignait-il, ce qui est effectivement corroboré par quelques études. Cette mesure, «coûteuse pour les restaurants et les clients», selon lui, ne servait à rien.

Puzder craignait-il qu'on épingle certains de ses produits ? Carl's propose en effet un «Thickburger El Diablo» qui renferme 1 300 calories, l'un des pires sandwiches commercialisés par une chaîne aux USA. Cette création, qui mélange steak haché, sauce épaisse, ventrèche croustillante et fromage fondu a l'air plus innocente que d'autres burgers encore plus hyperboliques, tel le Chili's Big Mouth Bites (neuf steaks empilés, pour un total de 1 560 calories) ou l'indépassable Carousel Foods Oreo Burger (3 047 calories). «El Diablo» s'avère donc redoutable. Son taux de graisse et de sel équivaut à trois Big Macs, a calculé le site Yahoo Health en 2015.

Pour donner le change, Carl's et Hardee peuvent aussi régaler avec des burgers basses calories, contenant notamment de la viande de dinde. Mais leur patron préfère quand c'est malsain, comme il le confiait, toute honte bue, au Los Angeles Times, en 2013 : «[Notre entreprise] ne fait pas vraiment la publicité des produits sains […] Ce n'est pas notre personnalité et ça ne le deviendra pas. […] Tous nos produits sont jouissifs, décadents». Au moins, c'est clair.

Maigre avec les salaires

Le nouveau secrétaire d'Etat au Travail refuse d'augmenter le salaire minimum dans la restauration, actuellement fixé à 6,50 € de l'heure. Le passage symbolique à 15 dollars (14,4 euros) est hors d'entendement pour lui. Même la hausse à 12 dollars (10,90 euros), approuvée par Hillary Clinton qui en avait fait une promesse de campagne. Sur le point de devenir ministre, Andy Puzder n'a pas changé d'avis : les emplois faiblement qualifiés comme ceux de l'industrie fast-food ne génèreraient pas assez d'argent pour supporter une hausse des salaires.

Notons cependant que ces petites mains lui permettent de gagner entre 4 et 10 millions de dollars annuels, et de posséder 25 millions de dollars en actions de sa société. Mais Puzder n'en démord pas et menace d'automatiser son personnel : au mois de mars, il s'était rendu à San Francisco pour visiter Eatsa, un resto qui sert du guacamole et du quinoa… mais fonctionne avec zéro salarié. «J'ai envie d'essayer ça», disait-il.

L’avantage avec les robots, c’est qu’ils ne réclament pas leurs heures sup. Or les restos du groupe CKE ont été attaqués à au moins deux reprises sur ce point, en 2004 et 2013. Les salariés ont obtenu gain de cause la première fois, la seconde plainte devrait déboucher sur une audience judiciaire le 14 décembre. Le roi du burger ne devrait pas en rester là : il conteste la tarification des heures supplémentaires étendue à toutes les entreprises américaines.

Compte tenu de son parcours professionnel et de ses valeurs, Andy Puzder inquiète les syndicats américains et des millions de travailleurs (dont une large partie a pourtant voté pour le candidat républicain). Vendredi, le discours de Donald Trump tentait péniblement de ménager la chèvre patronale et le chou ouvrier : «Andy va se battre pour mettre les travailleurs américains plus en sécurité et les rendre plus prospères […] et il va sauver les petites entreprises de la charge écrasante des réglementations superflues qui freinent la création d'emplois.» Porte-parole du mouvement Fight for 15 («La bataille pour 15» dollars), Kendall Fells résume le sentiment de nombreux salariés américains : «Puzder secrétaire d'Etat au Travail, c'est comme nommer Bernard Madoff à la tête du Budget.»

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