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TRIBUNE

L’après-Trump : bonnes nouvelles des grandes villes

Depuis l’élection de Trump, les métropoles américaines bruissent d’une vitalité démocratique et militante inédite. C’est l’un des thèmes abordés par les rencontres transatlantiques City-Cité sur la démocratie urbaine dès vendredi au CentQuatre à Paris.
par Jeff Chang, Directeur de l'Institut pour la diversité dans les arts à l'université de Stanford.
publié le 6 décembre 2016 à 21h06

Et voilà que Barack Obama tire sa révérence - un président tempéré, réfléchi, plein de classe, de retenue et de charme, l'incarnation métissée de la diversité des Etats-Unis - pour céder la place à Donald Trump - un milliardaire à la réussite douteuse, qui traîne dans son sillage chaos, vanité et misogynie, pour le plus grand bonheur des nationalistes blancs. Sa victoire électorale - il est réconfortant de se rappeler qu'il n'a pas remporté la majorité des suffrages - ouvre un nouveau chapitre des guerres culturelles américaines, une histoire faite de virages brusques. Dans la culture populaire américaine, l'imminence d'une apocalypse raciale blanche est un récit toujours prêt à resurgir. En 1915, le célèbre film de D. W. Griffith, Naissance d'une nation, présentait le Ku Klux Klan comme le sauveur d'une nation déchue en raison de l'incivilité et de la dégradation induites par la Reconstruction noire. Un demi-siècle plus tard, lorsqu'il invoquait l'apocalypse contre les mouvements en faveur des droits civiques et contre la guerre, Richard Nixon semait, déjà, en promettant criminalité et désordre, les graines de la victoire de Donald Trump. Ce dernier, dont les premières affiches électorales proclamaient «Trump aux côtés de la majorité silencieuse», n'a pas pu refaire le coup de Nixon en s'appuyant sur des données factuelles : la délinquance est tombée à des niveaux historiquement bas et la migration nette depuis le Mexique est en chute libre depuis plusieurs années. Sa victoire repose sur des affects, pas sur des faits.

En 2008, Obama a notamment été élu parce qu'il incarnait la «réconciliation raciale». Mais à peine était-il entré en fonction que le récit apocalyptique réapparut. En 2012, Trump a testé ses chances de remporter la présidentielle en menant une étrange campagne qui visait à démontrer qu'Obama n'était pas né aux Etats-Unis. Cette stratégie a porté ses fruits, avivant les passions de la frange droitière pour laquelle Obama symbolisait tout ce qui est autre. Elle voyait en lui, non pas uniquement un Noir, non pas le produit du métissage, mais un musulman, un socialiste, un «immigré clandestin».

Au cours des cinquante dernières années, avec la transformation démographique qui s’est opérée aux Etats-Unis, la culture populaire américaine s’est désagrégée. Durant la présidence d’Obama, LeBron (1) était roi, Beyoncé était reine, et Prince restait Prince. Mais l’image triomphale de la diversité masque un creusement des inégalités entre les Américains depuis un demi-siècle, en particulier sur la base de leur origine ethnique et ce dans tous les domaines : incarcération, scolarisation, logement, santé, richesse, revenu, décès prématuré ou espérance de vie.

Et pourtant, l’image de la diversité est dominante de nos jours, et elle produit deux réactions paradoxales et opposées. D’une part, Trump s’en est servi pour rallier une majorité blanche en déclin. Qui est affectif : un miasme émotionnel dans lequel des maux économiques se conjuguent à une douleur existentielle, qui transparaît dans la hausse tragique des taux de suicide et de la dépendance aux opiacés, sans compter la logique à somme nulle de la méritocratie américaine, pour laquelle un gain pour les communautés de couleur serait le signe d’une perte pour les Blancs. Mais le déclin est aussi démographique.

D’autre part, l’image de la diversité a mobilisé une nouvelle génération de jeunes activistes de couleur, qui voient en elle la représentation erronée d’une amélioration de leur condition. Ces jeunes, à l’aise avec les réseaux sociaux, sont au cœur du Movement for Black Lives («mouvement pour les vies noires»), qui oppose les images d’une joyeuse nation arc-en-ciel à celles des Noirs que l’Etat tue sans pitié. L’an dernier, ils se sont mobilisés dans plus d’une centaine d’universités pour protester contre l’écart qu’ils observent entre la diversité que leur vendent les plaquettes publicitaires des universités et la réalité faite d’inégalités et de haine qui subsiste sur les campus. Cette période diffère des précédentes qui ont suivi une présidentielle, en ce que les mouvements pour la justice sont activés et en état d’alerte maximale. L’élection de Trump pourrait mobiliser une opposition prête pour l’intégration, de la même manière que ce que symbolisait Obama a renforcé la frange droitière du pays.

Entre en scène une coalition de militants en colère : féministes qui se battent pour la justice en matière de procréation, peuples autochtones qui veulent protéger leurs ressources hydriques, défenseurs de l’environnement qui ne lâchent rien sur les accords environnementaux, musulmans qui luttent pour les droits civiques, Afro-Américains qui s’opposent aux contrôles de police et à l’incarcération de masse, Latinos et Américains d’origine asiatique qui réclament une réforme de la politique d’immigration, et tous ensemble, ils s’insurgent contre les crises économiques, la jurisprudence réactionnaire et la gouvernance clientéliste. Si ce mouvement parvient à attirer les Blancs de la classe ouvrière et de la classe moyenne, alors peut-être qu’un vrai changement culturel et une réorientation politique sont envisageables.

Lorsque Obama a été élu en 2008, les gens sont descendus dans la rue pour faire la fête. On entendait de la musique partout. De parfaits inconnus se mettaient à danser ensemble. Trump élu, les gens sont descendus dans la rue pour manifester leur colère et leur mécontentement.

En traversant le centre-ville de Portland (Oregon) pour rentrer à l’hôtel après avoir donné une conférence sur le racisme et la reségrégation dans une université, j’ai vu des centaines de manifestants jouer au chat et à la souris avec la police. Ils brandissaient des pancartes où l’on pouvait lire «Not My President» («pas mon président») et scandaient «Peaceful Protest !» («manifestation pacifique !»), alors même que des casseurs saccageaient à coups de marteau les vitres des voitures neuves et les devantures des magasins de meubles. Une fois dans ma chambre, succombant à la fatigue, je me suis endormi au son des grenades assourdissantes et des lacrymos lancées par la police.

J’ai rêvé d’un mur. Non pas du mur frontière de Trump, mais de celui que les étudiants avaient fait ce jour-là dans un amphi. Ils y avaient inscrit des questions du type : «que ressentez-vous aujourd’hui ?» ou «que comptez-vous faire ensuite ?». Et des centaines de personnes scotchaient des réponses sur des papiers aux couleurs pastel. Je rêvais que le mur serpentait à travers le pays, se couvrant de Post-it, enveloppant les gens au lieu de les chasser. Lorsque je me suis réveillé le lendemain, j’ai réalisé que mon rêve était devenu réalité : les gens couvraient de notes colorées les murs des stations de métro, des centres communautaires et des cités universitaires. Ils laissaient libre cours à leur colère, à leur tristesse, à leurs craintes et à leurs espoirs. Ils s’encourageaient les uns aux autres à tenir bon, afin d’être tous ensemble pour négocier le prochain virage.

(1) Joueur de basket évoluant en NBA.

Traduit de l’anglais par Architexte (Marie-Paule Bonnafous, Martine Delibie et Aurélien Monnet).

City-Cité : un échange transatlantique, au CentQuatre Paris et à la Maison de la poésie. Vendredi et samedi.

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