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Politique

Comment les ex-conseillers de l'Elysée se recasent

Jeunes loups recherchent emplois publics ou privés, mais bien payés : à cinq mois de la présidentielle, c’est le sauve-qui-peut dans les coulisses du pouvoir.

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Les conseillers du président Hollande, à l’Elysée, en janvier 2015.Sur ce cabinet, trois des membres sont déjà ailleurs : Boris Vallaud (à g.), Nathalie Iannetta (à dr.), et Jean-Jacques Barbéris (à dr.).

Les conseillers du président Hollande, à l’Elysée, en janvier 2015.Sur ce cabinet, trois des membres sont déjà ailleurs : Boris Vallaud (à g.), Nathalie Iannetta (à dr.), et Jean-Jacques Barbéris (à dr.). (photo : Frederic Stucin/Pasco)

(c) Ingedata

« La jeune garde du président. » Il y a près de deux ans, la photo s’étalait dans L’Obs. Six jeunes conseillers de François Hollande prenaient la pose devant l’objectif dans un salon de l’Elysée. De gauche à droite, Audrey Azoulay, Boris Vallaud, Constance Rivière, Gaspard Gantzer, Nathalie Iannetta et Jean-Jacques Barbéris. Depuis, trois voguent sous d’autres cieux et un est en campagne : Boris Vallaud, secrétaire général adjoint de l’Elysée et mari de la ministre de l’Education nationale, est investi par le PS aux prochaines élections législatives dans la 3e circonscription des Landes. Une terre acquise à la gauche depuis... 1978.

Promotion à la clé

A cinq mois de la présidentielle, c’est le sauve-qui-peut dans les coulisses du pouvoir. Même les plus proches conseillers du président cherchent un point de chute. Et si possible avec une jolie promotion à la clé. Nathalie Iannetta, l’ex-présentatrice de Canal+ et ex-conseillère sports de François Hollande, a décroché en octobre un job de chief advisor à l’UEFA. Un transfert qui a fait jaser dès lors que l’UEFA a bénéficié d’exonérations fiscales pour l’organisation de l’Euro… « On lui fait un faux procès, le contrat était bouclé bien avant son arrivée à la présidence », évacue un connaisseur du dossier. Le secrétaire général de l’Elysée Jean-Pierre Jouyet a signé de sa blanche main une attestation sur l’honneur que Nathalie Iannetta n’avait rien à se reprocher. Histoire de faciliter son passage devant la commission de déontologie, l’organisme chargé de surveiller les passages dans le privé des ex-conseillers et fonctionnaires.

En avril, l’atterrissage de Jean- Jacques Barbéris, 36 ans, au comité exécutif du géant européen de la gestion d’actifs Amundi a aussi fait couler beaucoup d’encre. L’ancien conseiller économique du président y est chargé des relations avec les banques centrales et les fonds souverains. « C’est typiquement le genre de postes très rémunérateurs où les ex-conseillers font fructifier leur carnet d’adresses », décrypte un ancien de Matignon. En juillet 2015, Sandrine Duchêne, autre ancienne de l’Elysée, avait déjà été nommée directrice des affaires publiques chez le géant de l’assurance Axa, avant d’être promue secrétaire générale en mars dernier.

Valls, le meilleur des DRH

Entreprises privées, administrations, établissements publics… Les débouchés ne manquent pas pour les anciens conseillers du pouvoir. « Lorsque vous êtes en cabinet, vous êtes régulièrement approché par des chasseurs de têtes ou des dirigeants d’administration et de boîtes, témoigne une ancienne conseillère. C’est un véritable accélérateur de carrière ! » D’autant que certains ministres mettent un point d’honneur à soigner la sortie de leurs ex-collaborateurs, histoire de montrer leur influence et de disposer de relais haut placés à l’avenir…

Au jeu du meilleur DRH, Manuel Valls sort largement gagnant. Son ancien directeur adjoint de cabinet, Gilles Gateau, a intégré le top-management d’Air France ; son ancien conseiller sports, Hakim Khellaf, a été propulsé à la Cour des comptes, et sa conseillère budgétaire, Florence Philbert, est désormais à la tête du fonds de garantie de toute l’industrie du cinéma hexagonal. Moins glorieux, en 2015, le Premier ministre a bombardé « préfet horscadre » (sans affectation territoriale) deux de ses plus anciens lieutenants, son jeune chef de cabinet Sébastien Gros et son ancien bras droit à la mairie d’Evry Christian Gravel, passé entre-temps par le service de presse de l’Elysée. « En cas d’alternance en mai, le ministère de l’Intérieur va se retrouver avec deux préfets sans aucune expérience et ils resteront cinq ans dans leur placard doré aux frais du contribuable », déplore un ancien préfet de région.

Fidèle au poste depuis quatre ans et demi, la ministre des Affaires sociales Marisol Touraine est aussi un bon coach. En janvier, son conseiller médicaments, Maurice-Pierre Planel, a pris les commandes du puissant comité économique des produits de santé, et son conseiller retraites, Renaud Villard, dirige depuis mars la Caisse nationale de l’assurance-vieillesse. De son côté, le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll a imposé en juillet Philippe Mauguin, son bras droit depuis 2012, à la direction de l’Institut national de la recherche agronomique, malgré la bronca des chercheurs qui dénonçaient un parachutage.

Blacklist et places réservées

A l’inverse, certaines écuries peinent à se recaser. Après l’arrivée de Manuel Valls à Matignon en mars 2014, plusieurs membres de l’équipe de Jean-Marc Ayrault sont restés de longs mois sur le carreau. L’ancien dircab du Premier ministre, Christophe Chantepy, a rongé son frein pendant un an au Conseil d’Etat, avant d’être nommé à l’ambassade de France en Grèce. L’ex-conseiller budgétaire, Rodolphe Gintz, a affiché durant des mois « Looking for a job opportunity » sur LinkedIn, avant d’être repêché à l’Elysée… « Jean-Pierre Jouyet reçoit quatre ou cinq candidatures à chaque poste, et les anciens des équipes Ayrault ou Macron sont blacklistés par le cabinet de Valls, confie un exconseiller de Jean-Marc Ayrault. Donc, je crois que j’aurais davantage de chance sous la droite ! » Et les places en or ouvertes cet été à l’inspection des Finances ont été réservées à deux piliers des équipes gouvernementales : Claire Waysand, ex-directrice de cabinet du ministre des Finances Michel Sapin qui s’est vu souffler la prestigieuse direction du Trésor, et Pierre-André Imbert, ancien bras droit de la ministre Myriam el-Khomri, qui a tenu la barre sous la tempête de la loi travail.

Face à l’embouteillage des candidatures dans l’administration, les départs dans les entreprises redoublent. Après avoir suivi François Hollande à tous ses rendez-vous avec le PDG de Total Patrick Pouyanné, son conseiller industrie Julien Pouget a été recruté par le pétrolier en juin. L’expert de la fiscalité Hervé Naerhuysen a pris fin 2015 les rênes de la mutuelle Pro BTP. « Hollande laisse faire, mais il n’aide pas à trouver un job dans le privé », assure-t-on à l’Elysée. Quant à Alexis Kohler, l’ex-dircab d’Emmanuel Macron, il a rejoint mi-novembre le géant danois du transport maritime Maersk.

Moins en vue, nombre de conseillers techniques de ministres savent aussi bien se valoriser. Ainsi Tristan Barrès, ancien conseiller logement de la ministre Emmanuelle Cosse, parti à l’immobilière 3F, ou Radia Ouarti, ex-conseillère transport d’Alain Vidalies, débauchée par l’opérateur de fret ferroviaire Euro Cargo Rail. A cinq mois de la fin du quinquennat, c’est la haute saison du pantouflage.

Une commission de déontologie laxiste

Il est très rare que la commission de déontologie mette son veto au départ d’un conseiller de l’Elysée ou du gouvernement vers le privé. « Même s’ils sont au coeur du pouvoir, ils ne sont “que” les conseillers du président, du Premier ministre ou des ministres, justifie Roland Peylet, président de la commission de déontologie. Formellement, ils ne prennent aucune décision et nous n’avons pas accès aux avis, par nature confidentiels, qu’ils transmettent aux décideurs politiques.

Donc, nous n’avons aucune raison de les bloquer, en l’absence de certitudes. » Un filet à grosses mailles qui devaient être resserrées avec l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2 de lutte contre la corruption et le transfert du contrôle des départs des conseillers vers la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, réputée plus sévère que la commission de déontologie. Las, la mesure a été censurée par le Conseil constitutionnel. Petits et gros poissons continueront de passer.

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