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Interview

Jean-Pierre Mignard : «Macron a montré qu’il savait mordre»

Proche de François Hollande, l’avocat, qui présidait la haute autorité de la primaire socialiste de 2011, compte aujourd’hui sur le candidat d’En marche pour «faire naître une grande force de gauche».
par Jonathan Bouchet-Petersen
publié le 12 décembre 2016 à 19h36

Il nous reçoit samedi matin à son cabinet parisien. Quelques heures plus tard, l’avocat Jean-Pierre Mignard, ami intime du chef de l’Etat, va aller assister à la démonstration de force du candidat Macron porte de Versailles. Figure iconoclaste de la famille socialiste, tendance «coalition des progressistes», ce chrétien de gauche n’a rien de commun, si ce n’est la foi, avec les cathos de droite qui ont fortement contribué à la victoire de Fillon.

Auteur d’une récente biographie de Robert Kennedy (étonnement préfacée par Manuel Valls), Jean-Pierre Mignard dit faire le pari, avec Emmanuel Macron, de contribuer à l’émergence d’un parti démocrate à l’américaine, mais made in France et viscéralement européen.

Vous aviez appelé François Hollande à renoncer à se représenter afin qu’il s’épargne une humiliation…

Ou sinon de passer par-dessus la primaire, absurde pour un sortant en Ve République. Il est grave, quand même, qu'un camp ait en quelque sorte démis son chef, le contraignant à renoncer. Après, comment ce camp peut-il encore gagner ? Le grand manque de François Hollande aura été théorique et même philosophique : il y a eu un déficit conceptuel pour dire ce vers quoi nous allions et pour le nommer. Il a été très conscient de cela, très vite, je le sais, mais il a avant tout cherché - sans y parvenir - à avancer entre les récifs en ne braquant ni son aile droite ni son aile gauche. Faute de clarification, cela a créé de l'ambiguïté, de l'insécurité et donc de la faiblesse. Il est resté bloqué dans le mantra de l'union des gauches alors qu'au fond de lui il savait très bien que c'était fini. Il aurait mieux fait de mettre des mots sur le socialisme post-industriel.

Au-delà de son seul cas, la social-démocratie semble dans l’impasse, en France mais aussi en Europe.

Dans le nouveau cycle qui s’ouvre, l’avenir de la social-démocratie, c’est d’être un parti progressiste démocrate comme c’est le cas aux Etats-Unis. C’est-à-dire un parti vaste, de Sanders à Clinton, et qui s’accepte comme tel. L’histoire du socialisme français est une histoire récurrente de procès en pureté, de mises à l’index, il faut en finir avec cette culture.

Le quinquennat a presque d’emblée été marqué par un procès en trahison dans une partie de la gauche…

Les «frondeurs», puisque c’est d’eux qu’il s’agit, ont porté des combats au nom de leurs idées. L’enjeu, c’est donc bien de faire naître une grande force de gauche capable de les faire cohabiter avec un Macron et où chacun contribue sans renier ce qu’il est. Au sein de la famille du Parti démocrate américain, on trouve des groupes sociaux très divers qui vont des militants d’Occupy Wall Street à des milliardaires philanthropes ou mécènes en passant par le regroupement syndical AFL-CIO et des minorités. A l’inverse, une forme de réflexe idéologique du PS empêche, fige, gèle les personnes ou les sensibilités dans des positions rigides qui jouent un rôle dévastateur sur le plan du fonctionnement d’un parti politique, le faisant en permanence se tourner sur lui-même, se dévorer et oublier les autres. C’est grave. Je rappelle que Mitterrand, lui, avait réussi, dans le PS, à reprendre une partie de la tradition de la SFIO et celle de Mai 68, mais aussi à la fois des chrétiens et le syndicat national des instituteurs.

Ce dépassement, c’est Macron qui l’incarne aujourd’hui ?

Il franchit les lignes et il rassemble. Il y un mouvement Macron, c’est incontestable. Des gens très divers le soutiennent. L’enjeu, c’est que chacun apporte son bien car c’est ainsi qu’on gagne une présidentielle. Il a une carte à jouer face à un Fillon tenu par son aile conservatrice. Macron, lui, sort de la guerre de tranchées entre la droite et la gauche. Il le fait de manière claire et transparente, sous les projecteurs d’une campagne présidentielle et en affirmant que, oui, le centre, la gauche et même la droite pro-européenne ont vocation à travailler ensemble comme c’est déjà largement le cas à l’échelle locale.

C’est une faute politique de François Hollande de n’avoir pas su inclure et les «frondeurs» et un Bayrou dans sa majorité alors qu’il savait qu’il n’y aurait aucun accord possible avec Mélenchon. De même, Bayrou a eu tort de ne pas oser saisir la main tendue de Royal durant l’entre-deux tours en 2007. C’était peut-être maladroit mais elle avait raison.

La logique de coalition semble assez mal adaptée à l’esprit de la Ve République et donc de nos institutions…

C'est la Ve République qui est de moins en moins adaptée à l'époque. Elle a été pensée après la guerre, à une époque où il y avait encore des putschs militaires, avec un mode de scrutin qui avait l'objectif avoué de détruire les centres dans un contexte où le régime parlementaire était accablé de tous les maux. L'absence de proportionnelle pour les législatives exclut par exemple la moitié des électeurs de l'Assemblée, qu'il s'agisse de l'extrême gauche ou de l'extrême droite. Il est insensé de laisser perdurer une telle situation explosive. Si on ajoute à cela cinq millions de chômeurs, on a grandement résumé le mal français.

Vous qui présidiez la haute autorité lors de la primaire de 2011, comment jugez-vous le cru qui s’annonce ?

On sent bien qu’il va y avoir une difficulté pour mobiliser, qu’il n’y a pas vraiment de dynamique. Et ça va d’autant plus être le cas quand les électeurs vont sentir que nombre des candidats sont d’abord là pour se disputer, déjà, le contrôle du parti après une défaite de la gauche en 2017. Cette primaire de congrès ne fait pas envie. Pour un parti qui peut se vanter de l’avoir inventée, c’est malheureux.

Dans un style moins souriant que Macron, Manuel Valls a, lui aussi, acté la fin d’un cycle en parlant de deux gauches «irréconciliables»…

La vraie différence entre eux, c’est que Valls a une culture essentiellement régalienne de l’Etat et de la République, quelquefois non dénuée d’autoritarisme. Il manifeste également une prégnance sur les questions de laïcité, parfois fermée, mais aussi d’identité (la déchéance de nationalité c’était cela) et de sécurité. Toutes ces questions sont évidemment importantes, mais on a le sentiment qu’elles sont souvent agitées afin de marquer des différences, de cliver, sans mieux les résoudre. Cela pose un vrai problème.

Emmanuel Macron est un des rares à parler positivement de l’Europe, n’est-ce pas risqué dans la période actuelle ?

C’est surtout nécessaire alors que les désordres du monde ne manquent pas : d’une Russie agressive aux Etats-Unis de Trump, en passant par une Chine attentiste. Il n’est plus question d’évoquer un fédéralisme européen comme un mantra, mais la question militaire, celle d’une défense collective renforcée, peut être par exemple un levier important pour redonner du sens à l’Europe. Macron, qui est au centre et à gauche, doit reprendre ce que portait quelqu’un comme Robert Schuman (qu’il cite) avec la Communauté européenne de défense : l’ambition d’une grande Europe pacifique, ce qui ne veut pas dire pacifiste. Cela nécessite un budget public commun conséquent, l’Allemagne devant y prendre toute sa part, un commandement propre apte à nouer un partenariat solide avec le Royaume-Uni, qui est un grand allié et un pays essentiel pour nous, Européens. Le fait que, contrairement à ses prédécesseurs, Trump ne semble pas placer l’Otan et l’Europe au centre de sa feuille de route est une chance pour nous.

Dans ce domaine, en quoi Emmanuel Macron, qui manque d’expérience, vous semble-t-il le mieux placé pour agir ?

Pour aborder ces questions comme beaucoup d’autres, il faut être libre, affranchi de toutes les vieilles histoires du passé. Macron peut certes être difficile à situer dans la vie politique française au regard de ses archétypes, mais sur beaucoup de sujets c’est précisément sa force. Je crois que la crise politique tient tout le reste, autrement dit c’est parce qu’on ne dénoue pas la crise politique que nous ne sommes pas en situation de dénouer le reste. Prenez la loi travail, avec ses manifestations à longueur de temps et même le débat hallucinant pour savoir s’il fallait interdire les cortèges syndicaux à cause de violences… et finalement le recours au 49.3. Inouï quand même ! De l’impuissance à tous les niveaux.

Macron cherche d’abord à redéfinir à son profit l’espace politique entre Fillon et Mélenchon, en s’imposant au détriment du candidat issu de la primaire du PS…

Mélenchon, s’il est crédité de bons sondages, dans une logique d’opposition frontale, c’est beaucoup - et lui le contesterait - parce que certains n’ont pas trouvé autre chose. Au moins la moitié des Français n’est pas dans une logique de radicalisme, Macron en attire de plus en plus, positivement. Ce n’est pas si habituel dans un pays aussi divisé.

Macron, c’est un tour de piste sans lendemain s’il ne l’emporte pas en 2017 ou bien une entreprise qui s’inscrira quoi qu’il arrive dans la durée ?

Je lui souhaite longue vie et j’ai le sentiment que sa détermination va grandissante. C’est en apparence un gentil jeune homme, mais il a aussi montré qu’il savait mordre. Gare aux gentils ! Sa campagne présidentielle aura déjà valeur d’exemple, puis les législatives qui suivront seront aussi un enjeu important. L’appétit vient en mangeant. Ce qui est sûr, c’est que si la gauche reste telle qu’elle est, elle est vouée à un déclin inexorable, qui a d’ailleurs déjà commencé.

François Hollande a beaucoup dit qu’il agissait avec l’idée de laisser une trace dans l’histoire. Quelle sera-t-elle ?

Politiquement, il restera comme le président de l’union de la gauche impossible. Ce n’est plus possible, ce n’est plus la réalité. Les gens, eux, le savent très bien. Il faut en tirer les conséquences. Remettre la France en mouvement en prenant chez Chaban-Delmas, chez Delors, chez Rocard et chez tous ceux qui veulent sortir de leur ligne. Jusqu’ici ils n’étaient pas assez nombreux et ils se faisaient fusiller. Aujourd’hui, Macron leur offre une occasion qui est probablement historique. A la gauche d’en prendre toute sa part, j’en prends la mienne et je suis ravi d’y croiser aussi des gens qui ne sont pas de gauche, du centre ou de droite, mais avec lesquels je partage des valeurs progressistes et humanistes. Sortons de la consanguinité et privilégions la compatibilité. J’aime aussi le fait que Macron inscrive sa démarche politique dans une lecture du monde nouveau, même si je trouve qu’il fait parfois preuve de beaucoup d’optimisme. Mais il est vrai que je suis un inquiet… Il y a des candidats qui serrent les poings et d’autres qui ouvrent les bras. On a le sentiment que Macron appartient, comme Juppé, à la seconde catégorie… Oui, c’est étrange, en cela ils se ressemblent, et c’est ce dont nous avons besoin dans la période actuelle, qui reste très dure à vivre.

Les premières fois du prochain président

La première décision ?

La tenue d’états généraux sur le climat, la pollution et la santé, réunissant industrie automobile, professionnels de la santé, ONG et Etats.

Le premier voyage officiel ?

L’Allemagne et l’Algérie, deux pays si tragiques, si essentiels et si intimes dans notre histoire.

La première personne reçue à l’Elysée ?

Le maire d’Alep.

Le premier déplacement dans le pays ?

Une commune rurale qui résiste à la désertification.

Le premier grand discours ?

Annoncer les premières mesures pour l’activité et le travail.

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