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Pour le transfert des cendres du groupe Manouchian au Panthéon

Aussi, après soixante-dix ans, est-il temps de répondre au vœu exprimé par Missak Manouchian dans la lettre rédigé avant son exécution, « Honorer notre mémoire dignement».

Publié le 20 février 2014 à 11h48, modifié le 20 février 2014 à 14h16 Temps de Lecture 3 min.

Le 21 février 1944, 22 membres du groupe Manouchian étaient fusillés au Mont-Valérien par les Nazis. Une femme, condamnée avec eux, Olga Bancic, sera décapitée le 10 mai 44, à Stuttgart. Trois autres étaient déjà tombés au combat : Haïk Tébirian, Ernst Blaukopf et J. Cliscitch. Seuls deux combattants de ce groupe ont survécu : Henry Karayan, décédé en 2012 et Arsène Tchakarian, qui fut promu Chevalier de la Légion d'Honneur la même année. On sait maintenant que Micha et Knar Aznavourian, parents de l'artiste emblématique de la chanson française, Charles Aznavour, faisait partie de ceux que l'on nommait les «Terroristes de l'Affiche Rouge».

La veille de son exécution, Missak Manouchian, leur chef, écrivait à sa femme Méliné : « Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. » Le 21 février 2014, le président de la République répondra à cette attente, qui a, hélas, duré trop longtemps, en rendant hommage à ces défenseurs de notre liberté sur les lieux mêmes de leur exécution.

Mais ce geste, pour être mémorial, ne répond qu'en partie au symbole et au sens que ce groupe porte en lui. Rappelons l'essentiel : hormis trois d'entre eux, aucun n'était français. Tous des apatrides, Espagnols traqués par le franquisme, Polonais, Roumains, Hongrois fuyant l'oppression nazi, Italiens pourchassés par le fascisme mussolinien et Arméniens rescapés du génocide de 1915. Pour eux, la France n'était pas seulement une terre d'asile, mais le dernier refuge de la liberté. En défendant la liberté de la France, ils ne se battaient ni pour leur famille, car la plupart l'avait perdue, ni pour leurs biens, car ils avaient dû les abandonner, ni pour la gloire, car ils œuvraient dans l'ombre, ni pour une idéologie partisane, car, bien que communistes, ils n'avaient qu'un seul adversaire, la servitude. Ils se sont battus simplement pour la France, avec tout ce qu'elle porte en elle, sans demander, comme dit le poème d'Aragon, « ni gloire ni les larmes, ni l'orgue ni la prière aux agonisants. » Ils font partie de ce cortège d'ombres défigurés dont parlait Malraux, et en cela, ils ont rejoint Jean Moulin. Combattants de la paix, ils ont rejoint Jean Jaurès. Révoltés contre l'esclavage, ils ont rejoint Victor Schoelcher. Etrangers et apatrides venus des quatre coins de notre continent, ils ont préfiguré par leur fraternité de cœur et d'armes ce qui deviendra l'Europe d'aujourd'hui, et en cela ils ont rejoint Jean Monnet.

Ils les ont rejoints par l'esprit, mais pas par le corps, ni dansle symbole, ni dans l'hommage. Car si ces « Grands Hommes » ont reçu pour signe de gratitude de la Républiqued'être inhumés au Panthéon, les membres de l'Affiche Rouge exécutés au Mont-Valérien attendent toujours, dans leur cimetière d'Ivry, la reconnaissance officielle de la Patrie. Leur place est auprès de ceux qui les ont précédés car ils incarnent ceux qui, dans l'ombre, dans l'oubli de soi-même et parfois au prix du mépris, se battent pour que la France reste fidèle àelle-même.

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En cette période d'incertitude où se pose la question lancinante de l'identité française, est venu le moment de proclamer par un hommage-symbole que cette identité ne tient pas aux origines ethniques des citoyens que nous sommes, car la plupart des membres de l'Affiche Rouge, on l'a dit, étaient étrangers et apatrides. Elle ne tient pas non plus à la religion, car ils étaient par tradition apostoliques, catholiques, juifs ou athées. Elle ne tient pas non plus, enfin, à un repli sur soi-même, parce qu'ils nous ont appris, par le don de leur vie, que la France qu'ils défendaient était la terre de la générosité.L'identité française tient dans ce que l'on apporte à la Franceautant que dans ce que la France apporte.

Aussi, après soixante-dix ans, est-il temps de répondre au vœu exprimé par Missak Manouchian dans la lettre rédigé avant son exécution, « Honorer notre mémoire dignement». En transférant leurs cendres et leur message sous la coupole de ce temple laïc qu'est le Panthéon, les générations présentes et futures apprendront qu'avant d'avoir le visage de la solidarité et de la liberté, la France et l'Europe, dans lesquelles elles vivent, avaient celui de ces hommes et de cette femme, placardé sur le ban infamant de l'Affiche Rouge.

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