Pendant près de dix minutes, elle avait dit son calvaire d’esclave sexuelle de Daech sans verser une larme, et sa voix douce avait fini par résonner dans la salle feutrée du conseil de sécurité de l’ONU. « Ce ne sont pas mes souffrances, ce sont des souffrances collectives », avait-elle conclu sous les applaudissements.

C’était en décembre 2015. Les mains jointes sur sa feuille, Nadia Murad, 23 ans aujourd’hui, cherchait alors à sensibiliser le monde au sort de sa communauté : les Yézidis, dont la religion, proche du zoroastrisme et vieille de plus 6 500 ans, fait de ces derniers des infidèles du point de vue de Daech, qui leur a infligé d’inimaginables cruautés dans la région des monts Sinjar, au nord-ouest de l’Irak.

Deux Yézidies, un journaliste turc et le chef des Tatars de Crimée

Un an après son passage à New York, c’est dans l’hémicycle du parlement européen à Strasbourg, en séance plénière, que Nadia Murad fera entendre la voix des siens, mardi 13 décembre, accompagnée de Lamia Haj Bachar, 18 ans, elle aussi une Yézidie rescapée de Daech. Les deux jeunes femmes originaires de Kocho, un village irakien situé à une quinzaine de kilomètres de Sinjar, recevront le prix Sakharov 2016 pour la liberté d’esprit, qui leur avait été décerné le 27 octobre.

Cette distinction honore depuis 1988 les défenseurs des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle sera remise cette année en présence des autres finalistes, le journaliste Turc Can Dündar, emprisonné fin 2015 pour avoir révélé que les services secrets turcs livraient des armes à des groupes islamistes rebelles en Syrie, et le chef de file des Tatars de Crimée Moustafa Djemilev.

Les femmes yézidies « parlent peu »

« Ce prix va mettre la lumière sur le sort des femmes yézidies, se félicite Nina Walch, d’Amnesty International. Tout le monde s’est emparé de l’histoire des femmes yézidies mais jusqu’à présent, cela n’a pas entraîné de conséquences positives pour elles, d’autant plus que, éprouvant souvent de la honte, elles parlent peu. »

Nadia Murad, elle, ose parler, depuis qu’elle a réussi à prendre la fuite, en novembre 2014. Elle avait été faite prisonnière par Daech une fois les djihadistes arrivés à Kocho, en août 2014. Après avoir séparé les habitants dans la cour de l’école, ces derniers ont « pris les hommes et les ont tués », a raconté la jeune femme, qui a alors perdu six de ses frères.

Conduite dans la foulée à Mossoul, elle y a vécu un cauchemar partagé par de nombreuses femmes yézidies : tortures, viols collectifs, vente, esclavage sexuel. Avec l’aide de voisins, elle s’est ensuite miraculeusement enfuie vers un camp du Kurdistan irakien d’où, grâce à une ONG, elle a rejoint sa sœur en Allemagne.

3 200 Yézidis toujours aux mains de Daech

Le même degré de cruauté marque l’histoire de Lamia Haji Bachar, le visage défiguré par l’explosion d’une mine antipersonnel pendant sa fuite. Enlevée par Daech à l’âge de 16 ans, la jeune femme a passé près de deux ans en captivité. Arrivée en Allemagne en 2016, où elle reçoit depuis l’aide d’une ONG germano-irakienne, Air Bridge Iraq, elle y vit avec sa sœur dans le sud du pays. Elle souhaite y demeurer et devenir institutrice.

Nadia Mourad est devenue ambassadrice de bonne volonté de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime depuis septembre dernier. Elle plaide pour que la communauté internationale reconnaisse le génocide des Yézidis. Près de 3 200 d’entre eux sont encore aux mains de Daech, surtout en Syrie, d’après l’ONU.