Ces émissions qui ont révolutionné la télé : "Droit de réponse"

Ces émissions qui ont révolutionné la télé : "Droit de réponse"
Derniere soiree de "Droit de Reponse" avec Sine, Michel Polac et Cabu. Paris, FRANCE - 21/06/1986 (WITT/SIPA)

Six ans de corridas en prime time, d’empoignades féroces, de polémiques où tous les coups étaient permis ou presque Sur TF1, avec son talk-show mythique, Michel Polac a imposé un modèle musclé et novateur.

Par Olivier Toscer
· Publié le · Mis à jour le
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C'était la première fois que le dessinateur Wiaz acceptait de participer à "Droit de réponse", le programme star du samedi soir, animé par le très abrasif Michel Polac. "Dessiner en direct, cela me faisait un peu peur jusque-là, se souvient le caricaturiste. Mais l'équipe avait réussi à me convaincre de venir pour une émission sur le pont de l'île de Ré, où j'ai l'habitude de passer mes vacances." Wiaz, le dessinateur emblématique du "Nouvel Observateur", ne sait pas encore que ce sera sa première et dernière apparition sur le plateau de Michel Polac...

Ce 19 septembre 1987, lors de la mise en place, juste avant la prise d'antenne, Wiaz fait circuler un de ses croquis. Il a détourné le slogan du groupe Bouygues, géant du BTP et nouveau propriétaire de TF1 : on y voit le profil de Francis Bouygues, accompagné d'une légende grinçante :

Une maison de maçon, un pont de maçon, une télé de m..."

Tout le monde s'esclaffe : "Polac lui aussi trouvait le dessin très bien, raconte Wiaz. Il m'avait encouragé à le diffuser à l'antenne, même si pour des raisons tactiques, il prétendra plus tard n'avoir jamais été prévenu de sa teneur."

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Tout le monde sait aujourd'hui que cette ultime provocation a servi de prétexte à la direction du groupe Bouygues pour supprimer, dès le lendemain, le programme le plus irrévérencieux du paf. Une censure brutale qui a contribué à faire de "Droit de réponse", une émission définitivement culte, souvent copiée, jamais égalée.

Une soirée foutraque à l'intitulé baroque

L'odyssée commence six ans plus tôt, un soir de décembre 1981, à la veille de l'instauration de l'état d'urgence en Pologne. Alors que le bruit des bottes va retentir dans Varsovie, les premières invectives fusent sur TF1. Michel Polac a préparé une soirée foutraque à l'intitulé baroque :

La littérature populaire, la violence et les feuilletons américains."

Au milieu d'une cohorte d'invités, Gérard Depardieu et Coluche, assis dans un décor mi-club anglais, mi-bar-tabac du coin.

L'émission dérive vite en procès instruit contre l'écrivain de roman de gare Gérard de Villiers. "Un fasciste tendance nazie", ose Michel Polac face à lui. Le ton de foire d'empoigne est donné. Et si, dans la presse du lendemain, les critiques sont mauvaises, l'audience est bonne. Parmi les téléspectateurs les plus captivés, certains deviendront, une décennie plus tard, des incontournables de la télévision française.

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Tout d'un coup, on pouvait tout dire à la télé

Christophe Dechavanne se souvient :

J'ai grandi devant 'Droit de réponse'. Ma mère regardait Pivot, moi Polac. J'avais l'impression que, tout d'un coup, on pouvait tout dire à la télé !"

"Il faut se souvenir d'où on venait, note Catherine Sinet, la rédactrice en chef de l'émission. D'entrée, on tranchait avec le ton compassé très ORTF qui caractérisait alors la télévision."

Pour le téléspectateur français de l'époque, l'extrême irrévérence, le summum du chahut, c'est "Apostrophes", de Bernard Pivot. Certes, trois ans plus tôt, l'écrivain Charles Bukowski s'y était donné en spectacle, ivre mort sur le plateau. Mais ce jour-là, même Cavanna, l'un des piliers de "Charlie Hebdo" – pas exactement le profil sage du bon élève donc – y avait joué un rôle modérateur. Chez Polac, c'est un peu l'inverse. La tendance est plutôt à jeter de l'huile sur le feu. Catherine Sinet tempère néanmoins :

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On se souvient beaucoup trop des esclandres. On oublie la profondeur des enquêtes."

"Droit de réponse" n'est pas la première émission basée sur un plateau d'invités en désaccord les uns avec les autres. Mais celle de Michel Polac va bien au-delà. "Nous étions six ou sept à travailler nos dossiers, récupérer des documents et rencontrer des témoins, se souvient Georges Bonopéra, l'un des enquêteurs de l'équipe, reconverti aujourd'hui comme producteur de télé (Bô Travail). On pouvait décider de mettre trois personnes sur un sujet pendant deux ou trois mois pour trouver les infos les plus percutantes."

Le système Polac prend son essor dès 1982

"Et quand Michel Polac prenait l'antenne, il disposait de dossiers tellement béton que l'on n'a jamais perdu un seul procès, à l'exception des quelques-uns que nous a intenté Jean-Marie Le Pen. Après, nous faisions évidemment attention à cultiver l'effet du direct et donc la polémique. Résultat, personne ne se rendait vraiment compte du travail d'enquête que nous avions mené", ajoute Catherine Sinet.

Le système Polac prend son essor dès 1982. Cette année-là, l'émission crève l'écran avec deux esclandres restés dans les mémoires. Le premier est une carte blanche à l'équipe de "Charlie Hebdo" qui vient de cesser de paraître, faute de moyens. Polac a invité un journaliste de l'hebdo d'extrême droite "Minute", rapidement pris à partie par un Professeur Choron passablement éméché. Pour calmer l'ambiance, Polac doit passer un dessin animé.

Mais dès le retour à l'antenne, Gainsbourg rallume le feu en s'en prenant à un article défavorable du journal contre lui. Rien n'y fait. L'émission tourne au pugilat quand des lycéens qualifient "Charlie" de "journal de vieux". C'en est trop pour le Professeur Choron qui se met à les insulter de plus belle. L'émission fait les gros titres dès le lendemain : doit-on laisser une telle grossièreté s'exprimer à la télévision ? Le débat enflamme la France bien-pensante.

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Cris d'orfraie, vociférations, cendrier qui vole

Deux mois plus tard, une autre émission sur le show-biz fait ce que l'on n'appelle pas encore le "buzz". Sur le plateau, le chanteur Daniel Guichard est tombé sur le conducteur de l'émission, le pense-bête de Michel Polac, qui présente maladroitement une invitée comme une "réac". Cris d'orfraie, vociférations et cendrier qui vole sur le plateau. "Droit de réponse" est lancée. Elle réunit entre 10 et 12 millions de téléspectateurs chaque samedi soir. Michel Polac dira plus tard :

Il fallait du spectacle car mon seul bouclier était l'audience. Sans elle, l'émission aurait été supprimée."


L'Audimat comme bouclier ? Une leçon de survie qu'ont retenue depuis nombre d'émissions poil à gratter. "Cash Investigation", après avoir passablement irrité la direction de France Télévisions lors de sa première saison en 2012, a pu rester à l'antenne, protégée par ses bonnes audiences, dopées par une habile promo sur les réseaux sociaux.

La technique du fait accompli

Michel Polac, lui, était de surcroît un virtuose du jeu de cache-cache avec sa direction. Une fois par mois, il allait présenter les sommaires à venir au patron de l'unité des variétés auquel il était rattaché. Quand les sujets le faisaient tousser, Polac ne s'énervait jamais. Il avait déjà envoyé le programme aux journaux télé et disait alors à la chaîne :

Si vous annulez cette émission, je vous laisse l'annoncer et le justifier."

"En général, ça suffisait à nous laisser le champ libre", témoigne la rédactrice en chef Catherine Sinet.

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Dans la télévision d'aujourd'hui, beaucoup mieux contrôlée par les hommes en costume gris, cette technique du fait accompli et du slalom entre la censure est beaucoup moins aisée à pratiquer.

"Hyène puante" contre "putois borgne"

Mais Polac, à l'époque, pouvait se permettre beaucoup de choses. Comme par exemple se lancer en 1987, dans une guerre personnelle contre Jean-Marie Le Pen. Le leader frontiste l'appelle "la hyène puante" ? Le samedi suivant, Polac réplique au "putois borgne". Quand Le Pen fait sa sortie sur le "détail", Polac diffuse le samedi suivant, en lieu et place du débat prévu, "Nuit et brouillard", d'Alain Resnais, un film sur la Shoah interdit à l'époque à la télévision. "Michel était très affecté, se souvient Bonopéra. Son père était mort en déportation."

En 1987, au moment où TF1 est en passe d'être privatisée, l'émission, même déplacée en deuxième partie de soirée, est à son apogée. Un must-see que "l'Express" croît inébranlable : "Outre qu'elle ne coûte pas cher – 400.000 francs tout compris [environ 60.000 euros] –, elle est l'émission la plus regardée du samedi en fin de soirée et 82 % des Français souhaitent son maintien", écrit l'hebdo.

Une délinquance audiovisuelle inadmissible

Pourtant, les nuages s'amoncellent au-dessus de la tête de Michel Polac. Une partie de la droite revenue aux affaires est vent debout contre le programme. "L'émission de Polac est la plus horrible qui puisse exister, déclare publiquement le député RPR Gabriel Kaspereit. Ce bonhomme est un être ignoble." Pour lui, "Droit de réponse" ressort d'une sorte de délinquance audiovisuelle inadmissible. Et il ne faudra que quelques mois à TF1 fraîchement privatisée pour l'éjecter de l'antenne. Mais la liberté de ton popularisée par l'émission n'a, elle, pas disparu.

En 1988, "Ciel, mon mardi !", le talkshow de Christophe Dechavanne réussit à s'installer le mardi soir en deuxième partie de soirée sur la même chaîne. Christophe Dechavanne explique aujourd'hui :

J'avais voulu mon émission moins militante, plus sociétale, en donnant la parole à Monsieur Tout-le-Monde alors que Polac s'entourait de 'sachants'."

Il ajoute : "Mais j'avais repris certaines techniques comme sortir des lapins du chapeau, c'est-à-dire faire intervenir des invités qui n'avaient pas été annoncés aux autres. L'idée était d'avoir une confrontation vraie et pas un débat aseptisé, lisse comme on en a repris l'habitude aujourd'hui."

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La France du petit écran habituée au chahut

Chez Dechavanne, comme chez Polac un an plus tôt, on s'étripe, on s'insulte et on est souvent à deux doigts d'en venir aux mains. Mais les dérapages du mardi soir ne donnent plus lieu à des sujets au JT le lendemain. La France du petit écran s'est habituée au chahut. Le pouvoir, qui n'est pas mis en cause directement, laisse faire. Catherine Sinet observe :

L'émission de Dechavanne ne traitait pas de dossier qui dérangeait l'ordre établi. Il y avait une liberté de ton mais pas le ton de la liberté."

Encore aujourd'hui, une poignée de talk-shows peuvent se revendiquer d'une certaine paternité avec Michel Polac. "Ce soir (ou jamais !)" de Fredéric Taddeï a, par exemple, repris les cadrages en contre-plongée chers à Maurice Dugowson, le réalisateur attitré de Polac. Le "28 Minutes" d'Arte confie, lui, une palette graphique à des caricaturistes dessinant en direct. Autant de petits emprunts en forme d'hommage à une émission définitivement mythique.

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Olivier Toscer

"Droit de réponse - Vol. 1", disponible en DVD (Ed. L.M.L.R. (elle aime l'air)). Le volume 2 sortira le 15 novembre 2016.

Olivier Toscer
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