Blusukan (javanais)

Ce mot javanais (une langue parlée par plus de 100 millions de locuteurs sur l’île de Java, en Indonésie) signifie littéralement “entrer dans un lieu inconnu de façon impromptue pour y chercher quelque chose”.

Il a été popularisé par l’actuel président indonésien, Joko Widodo, dit Jokowi, comme une nouvelle forme de gouvernance alors qu’il était encore maire de Surakarta (Java Centre), puis de Jakarta (la capitale).

Jokowi s’est en effet illustré comme un dirigeant démocratique en multipliant les “descentes” dans divers lieux publics pour voir les vrais problèmes, établir un contact direct avec les citoyens de la rue et évaluer les effets de ses nouveaux règlements.

Blusukan est aujourd’hui entré dans la langue nationale indonésienne et a été internationalisé par Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook. Lors de sa visite en Indonésie en octobre 2014, il avait été invité à un blusukan sur le grand marché des vêtements de Tanah Abang, à Jakarta, par le président Jokowi. Enthousiaste, il a ensuite écrit sur son compte Facebook, comme le rapporte le quotidien Kompas :

 
Il (Jokowi) vient même de lancer le e-blusukan, il peut donc entrer en contact en ligne avec les citoyens indonésiens à travers tout l’archipel.”


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Element inconnu

Dietrologia (italien)

Chaque fois c’est la même chose, se désole Il Tempo. Qu’un attentat survienne et tout de suite déboule sur Internet une armée de “dietrologi” – c’est-à-dire des individus passés maîtres dans l’art de débusquer les (prétendues) intrigues qui se cachent “dietro” – derrière – la moindre nouvelle.

“Les terroristes islamistes attaquent Bruxelles ? On se demande qui peut bien être derrière tout ça. Des djihadistes commettent un massacre dans la rédaction de Charlie Hebdo ? Peut-être, mais on ne sait pas si c’étaient réellement eux. Idem à Boston en avril 2013. Sans parler des avions qui se sont écrasés le 11 septembre 2001 sur le Pentagone et sur les tours jumelles, lesquelles n’auraient jamais, au grand jamais, pu s’effondrer si des bombes n’avaient pas été installées à l’intérieur – par la CIA et les services secrets israéliens, évidemment.”

Et le journal romain de poursuivre :

 
Chaque massacre a ses dietrologi, chaque carnage trouve, dans l’immense Toile, une conspiration secrète qui en explique les véritables causes. Désormais, le complotiste est constamment en service.”

Il décrypte les vidéos, analyse les photos des lieux du drame et relève des détails médicaux qui ne peuvent pas coller.

Cette plaie s’est aussi abattue sur la campagne qui a précédé le référendum constitutionnel du 4 décembre, que le Premier ministre Matteo Renzi a perdu. Sur le Huffington Post Italia, un partisan du oui critique l’impressionnant déploiement de théories complotistes de la part du camp adverse. “La dietrologia a carrément été la ligne directrice de la campagne du non, assène-t-il. Les réseaux sociaux, la messagerie WhatsApp, les blogs, regorgeaient de textes qui se targuaient d’expliquer ‘la vérité sur la réforme’ ou qui affirmaient que le texte de la réforme avait été ‘dicté par JP Morgan’[banque américaine].”

Même la date choisie pour le scrutin a fait l’objet de toutes les conjectures, ajoute La Stampa. “Le choix du 4 décembre ne peut pas être dû au hasard”, lisait-on sur Internet, il cache forcément quelque chose. Poussant la logique de la dietrologia jusqu’au bout, le journal de Turin a donc entrepris de lister tous les événements historiques survenus un 4 décembre, de la prise de Sidon par les croisés en 1110 – “une métaphore limpide” – à l’adoption par la république populaire de Chine de sa Constitution en 1982 : coïncidence ? “Et, si tout cela ne suffit pas à vous convaincre, conclut La Stampa, sachez que c’est le 4 décembre 1892 que naquit le dictateur espagnol Francisco Franco.”

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Kényszerbetelepités (hongrois)

Le mot Kényszerbetelepités s’est invité il y a environ un an dans le débat public hongrois, au moment où la Turquie rentrait souriante de Bruxelles avec un plan pour endiguer la vague migratoire. Le Premier ministre conservateur Viktor Orbán, soutien du président turc, Recep Erdogan, a salué cet accord qui vise à mettre un terme à la “colonisation forcée” (kényszerbetelepités) qu’incarne selon lui l’arrivée de réfugiés de l’été 2015. Malgré l’échec du référendum antiquotas, le Premier ministre hongrois utilise encore très régulièrement ce terme virulent, presque martial, dans les médias magyars.

Ces douze derniers mois, Viktor Orbán s’est en effet distingué par son intransigeance sur le dossier des migrants. Cet été, il a érigé une clôture de 175 kilomètres à la frontière serbe, bloquant ainsi la route des Balkans. Puis il a pris la tête du front antimigrants des pays d’Europe centrale. S’il a perdu son scrutin antiquotas du 2 octobre et échoué à constitutionnaliser le rejet des étrangers, Viktor Orbán continue d’élargir sa sphère d’influence par son discours inflexible.


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Haban (hébreu)

En Israël, parmi les nombreux néologismes hébreux, il en est un qui a l’insigne honneur de ne concerner quasiment qu’une seule et même personne. Ce substantif, haban (prononcer “khaban”), a été forgé de toutes pièces par l’ancien Premier ministre travailliste Yitzhak Rabin (assassiné en novembre 1995) pour évoquer, dans ses mémoires publiées en 1979, son plus fidèle ennemi politique, le travailliste Shimon Peres (décédé en septembre dernier).

Haban est en fait l’acronyme de hatran bilti nil’a (magouilleur indécrottable) et renvoie à une époque où, loin d’être révéré comme un des derniers pères fondateurs d’Israël, Shimon Peres était surtout réputé pour ses retournements de veste et sa conception florentine de la politique, ce qui en faisait l’une des personnalités les plus détestées de l’opinion israélienne.


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Si vous aussi, vous souhaitez participer à ce singulier voyage linguistique, envoyez-nous à votre tour, et ce avant le 10 janvier, des mots d’ailleurs qui racontent des histoires à la manière des courts articles de notre supplément, des mots que l’on ne peut traduire en français, en 800 signes maximum…
À l’issue de vos envois, un jury de la rédaction de Courrier international se réunira pour désigner les mots les plus étonnants. Ils seront publiés sur notre site. Un abonnement numérique sera offert au vainqueur.