Annette Messager : “En exhibant leurs seins nus, les Femen ont bousculé la société”

L'artiste plasticienne expose une quarantaine de dessins inspirés de photos de presse des Femen. L'occasion de revenir sur l'engagement féministe qui parcourt l'œuvre d'Annette Messager.

Par Sabrina Silamo

Publié le 13 décembre 2016 à 15h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 03h24

Première Française à avoir bénéficié d’une rétrospective au MoMA de New York en 1995, première femme à avoir représenté la France à la Biennale de Venise en 2005… Annette Messager est aujourd’hui l’une des artistes les plus célèbres dans le milieu de l’art contemporain, qu’elle qualifie volontiers de « macho ».

Née en 1943 à Berck (Pas-de-Calais), elle se souvient encore de cette époque pré-soixante-huitarde quand les professeurs des Arts déco qualifiaient les œuvres des étudiantes les plus douées d’un « travail viril ». « Dans les années 1970, j’étais la seule à être exposée dans les musées, dit-elle. Même Louise Bourgeois, si cotée aujourd’hui, n’était pas connue. D’ailleurs, je ne connaissais pas son travail. Je n’avais entendu parler que d’Eva Hesse. »

La broderie, le tricot,  les peluches

Depuis ces débuts, Annette Messager joue avec les poncifs habituellement rattachés à l’identité féminine pour en renverser le sens. Elle utilise la broderie, le tricot,  les peluches, les romans-photos...  « Cette image féministe, je l’ai revendiquée. Je me suis inventé des identités : Annette Messager collectionneuse, bricoleuse, truqueuse, colporteuse... Mais je ne délivre aucun message. Je suis une conteuse de formes, je dessine des histoires... »

Sa nouvelle histoire, elle la raconte avec une quarantaine de dessins inspirés de photos de presse des Femen, qu’elle expose dans l’espace de la future librairie de Marian Goodman, à Paris.

343 salopes et les Femen

« En exhibant leurs seins nus, ces femmes ont réussi à bousculer la société, déclare Annette Messager. Ce qui prouve qu’en 2016 montrer son corps peut encore être une action qui dérange. » Une action dans la lignée de ces 343 femmes qui signèrent en avril 1971 la pétition pour la dépénalisation de l'interruption volontaire de grossesse, surnommée le « manifeste des 343 salopes ».

En 2016, un dessin d'Annette Messager fait le lien entre le militantisme du MLF et celui des Femen : il représente le torse nu d’une manifestante barré du chiffre 344 :  « Peut-être qu’inconsciemment, je me suis inclus dans leur combat, reconnaît Annette Messager. Dans ce monde qui devient de plus en plus chaotique, les droits des femmes sont de nouveau bafoués, il est nécessaire de résister. ».

“Il ne faut pas oublier que l’hystérie vient du mot utérus”

Les slogans des Femen (“Fuck Your Morals” / “Mes désirs, ma force” / “Mes seins mon arme” / “No God in my vagina” / “Je suis mon propre prophète”…) illustrent les dessins d’Annette Messager, des fragments de l’anatomie féminine qui ainsi isolés peuvent revêtir un caractère effrayant :  « J’ai dessiné des utérus comme on dessinerait des vases de fleurs ; mais certaines, comme les orchidées, peuvent paraître menaçantes. Du temps de la série des Chimères (NDLR : photomontages réalisés entre 1982 et 1984 autour de l’imaginaire de l’enfance), on me traitait de sorcière. La femme est toujours quelqu’un qui fait peur. Il ne faut pas oublier que l’hystérie vient du mot utérus. »

Noir Désir

Le titre de cette dernière exposition, A mon seul désir, fait référence à la sixième tapisserie de La Dame à la Licorne (chef-d’œuvre du XVe siècle conservé au musée de Cluny) qui symbolise un énigmatique sixième sens. « Désir est mon mot préféré », précise Annette Messager.

Annette Messager, féministe jusqu'au bout des ongles... 

Annette Messager, féministe jusqu'au bout des ongles...  © Annette Messager Courtesy Marian Goodman Gallery

Deux syllabes qu’elle a souvent déclinées à l’aide de fil de fer et de filets noirs. « Le noir est bien sûr évocateur de deuil, mais il est ici associé à un mot qui est le synonyme du plaisir. Noir désir renvoie à cette opposition que j’adore entre le côté dramatique et le côté plus drôle... » Une dualité qui caractérise toute l’œuvre d’Annette Messager. L'installation d’« A mon seul désir » met en scène  des dessins au lavis mais aussi des objets peints en noir, comme calcinés dans lesquels on reconnaît Le Nez de Giacometti, et Rodin chevauchant Pinocchio. « C’est une allusion au Baiser de Rodin, qu’il faut démystifier, explique l’artiste. Pinocchio, c’est un héros universel, une métaphore de l’être humain. Nous nous débattons tous, comme des pantins manipulés. »  

Librairie Marian Goodman, 66 rue du Temple 75003 Paris. 

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