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Syrie

Pourquoi la guerre en Syrie ne s'arrête pas avec la reprise d'Alep

L'armée de Bachar Al-Assad est sur le point de reprendre totalement la ville d'Alep. Pourtant le conflit en Syrie, très complexe, est loin d'être fini et la reconquête de Palmyre par l'État islamique en est la preuve.

L'armée de Bachar Al-Assad est sur le point de reprendre totalement la ville d'Alep. Pourtant le conflit en Syrie, très complexe, est loin d'être fini et la reconquête de Palmyre par l'État islamique en est la preuve.

L'assaut surprise du groupe terroriste sur la cité antique ce week-end démontre que, contrairement à ce que l'on pourrait penser, les djihadistes ne sont pas totalement sur la défensive en Syrie et en Irak. Cette reconquête montre aussi que le groupe arrive encore à lancer des attaques surprises loin des lignes de front.

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La guerre en Syrie ne se résume pas à la bataille d'Alep et cette nouvelle offensive de l'EI le prouve. Elle souligne la fragilité permanente du pouvoir militaire d'Assad, surtout s'il dépourvu de ses soutiens russes et iraniens.

Qu'est-ce que cette nouvelle victoire de l'EI signifie pour la guerre civile syrienne, et qu'est-ce que cela nous dit sur le groupe terroriste ?

La reconquête de Palmyre n'est pas significative d'un point de vue stratégique

Classée patrimoine de l'humanité par l'UNESCO et datée de l'ère néolithique, Palmyre était dotée d'un très grand nombre de trésors antiques. Mais à part la présence d'un aéroport militaire à l'ouest, la ville n'a que très peu de valeur stratégique dans la guerre civile en cours depuis cinq ans. C'est ce que dit Michael Stephens, chargé de recherche sur le Moyen-Orient au Royal United Services Institute, un think tank britannique sur la défense et la sécurité.

« C'est une très petite victoire pour l'EI à un moment où ils sont encore largement sur la défensive », a dit Stephens.

Toujours est-il, a-t-il rajouté, « une victoire est une victoire » — surtout si celle-ci qui peut servir à la propagande du groupe terroriste.

L'État islamique a un penchant pour les coups de théâtre et Palmyre a été l'une de ses bases favorites pendant ses 10 mois d'occupation. Parmi les atrocités commises, le groupe a décapité l'expert en antiquités de la ville, âgé de 82 ans, après avoir refusé de révéler la localisation de certains joyaux cachés. Le groupe a également publié des vidéos de ses membres qui détruisaient joyeusement des monuments antiques. L'EI a aussi perpétré des exécutions de masse dans l'amphithéâtre antique de la ville.

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Peu après l'éviction de l'EI en mars dernier, la Russie a affiché sa vision de la valeur symbolique de la ville lorsque le Kremlin a dépêché sur place l'orchestre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, pour jouer un concert dans ce même amphithéâtre. Un symbole de la victoire de la civilisation sur la barbarie, selon les Russes.

« Il y a beaucoup de sentiments liés à Palmyre, a dit Stephens. C'est un petit coup porté sur le prestige du régime d'Assad — mais cela ne signifie pas que la Syrie va à nouveau être balayée par l'État islamique. »

Les forces d'Assad ne sont pas si puissantes

La reprise de Palmyre par l'État islamique dit moins des forces du groupe terroriste que de « la faiblesse générale du régime », selon Stephens.

« Cela démontre surtout qu'Assad est débordé. Il peut uniquement lutter sur un front à la fois, mais pas sur plusieurs fronts. »

Les forces gouvernementales, aidées par le soutien aérien russe et les milices iraniennes, ont repris la dernière enclave des rebelles à Alep-est. Assad s'est certes concentré sur la reconquête de cette ville depuis des mois. Mais c'est loin d'être le seul front ouvert dans ce pays déchiré par la guerre.

Les frontières de la Syrie sont d'ores et déjà contrôlées par de nombreux groupes d'opposition, certains soutenus par d'autres pays, comme les milices kurdes, les rebelles modérés et des groupes djihadistes, certains liés à Al Qaïda.

L'assaut de l'EI sur Palmyre a été fait au bon moment, selon Stephens. Et correspond au modus operandi du groupe.

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En octobre dernier, la coalition irakienne s'est rapprochée de Mossoul, la plus grande ville détenue par les terroristes. Au même moment, celui-ci a mené un assaut surprise sur la ville de Kirkouk, au sud-est de Mossoul. Le tout pour diluer les efforts de la coalition.

« Tout le monde, dont le régime, était distrait par Alep ce week-end, et l'EI ne l'était clairement pas, a dit Stephen. Ils ont compris que cette concentration sur Alep leur donnait un peu d'espace pour opérer. »

Pour essayer de repousser les djihadistes, la Russie a rapidement effectué des raids aériens ce samedi soir. Environ 300 combattants de l'EI ont été tués et ces attaques ont fait reculer les assaillants, brièvement, selon le ministère de la Défense russe. Mais même la puissante force aérienne russe n'a pas été suffisante pour protéger la ville. Surtout après que l'armée syrienne, affaiblie par des années de conflit, ait abandonné la ville ce dimanche.

« L'EI est adepte des contre-attaques, a dit Stephens. Ils attaquent là où les maillons sont faibles. »

Assad s'inquiète plus des rebelles que de l'EI

Si l'EI a réussi à pénétrer dans la ville de Palmyre, les commandants militaires syriens et russes « sont coupables d'avoir quitté des yeux leur butin » a dit Stephens.

« Ils pensaient probablement que s'ils gagnaient à Alep, alors cette guerre serait finie au milieu de l'année prochaine. »

La principale préoccupation de Bachar Al-Assad a toujours été de rester au pouvoir. Et selon ses calculs, il est beaucoup plus important d'en finir avec les rebelles soutenus par l'Occident, comme ceux au nord de la Syrie, que de s'occuper de l'EI. Alors que Damas s'affairait à lutter contre les rebelles, le groupe terroriste en a profité pour conforter ses positions dans la campagne rurale syrienne.

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Ces groupes de rebelles modérés sont « la seule menace réelle au pouvoir politique d'Assad, parce qu'ils représentent une alternative, selon Stephens. L'EI, bien sûr, ne présente pas une alternative. »

Reprendre Alep des rebelles était un objectif crucial pour Bachar Al-Assad. Avec Alep, il aura repris le contrôle des cinq plus grandes villes du pays, avec Damas, Homs, Hama et Lattaquié. Cela nuit aux espoirs des rebelles d'offrir une alternative crédible au pouvoir de Damas.

Après la fin de la guerre, cela va renforcer la légitimité d'Assad sur le pays. Et à ce moment-là, il pourrait même se trouver d'autres partenaires internationaux pour s'occuper du groupe terroriste. Parmi ces partenaires, on pourrait retrouver le président élu Donald Trump, qui a promis de « bombarder à fond l'EI », pendant la campagne.

« C'est la stratégie militaire d'Assad depuis longtemps, de détruire l'entre-deux, de présenter une alternative en noir et blanc dans laquelle c'est soit Assad soit l'EI. Et dans ce cas, le monde entier choisira Assad », a dit Stephens.

L'EI est loin de disparaître de la Syrie

Selon les experts du IHS Conflict Monitor, en octobre, l'EI avait perdu environ un quart du territoire qu'il contrôlait en janvier 2015. Cela a été possible grâce aux campagnes de la coalition internationale menée par les États-Unis en Syrie et en Irak, mais également grâce à celle de Damas soutenue par les Russes et Iraniens.

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Mais comme les assauts du week-end l'ont prouvé, le groupe terroriste est loin d'être une force marginale. Selon des estimations, l'EI contrôle une zone de 65 500 kilomètres carrés à travers la Syrie et l'Irak. En plus, ses soldats restent capables de repousser les troupes syriennes, même sous la pression des frappes russes.

Une bonne partie de ce territoire est constituée de « lieux dont Assad estime ne pas avoir besoin pour contrôler le pays », a dit Stephens. Dans le lot, il y a également des villes de taille importante : Rakka et Deir ez-Zor en Syrie, et Mossoul en Irak.

La coalition internationale cible les sources de revenus de l'État islamique dans ses frappes, une stratégie qui marche, selon Stephens. Le groupe manque d'air financièrement et se voit forcé de tailler dans les salaires de ses combattants. Mais le groupe arrive encore à récupérer des taxes des gens qui vivent dans ses zones de contrôle et ses combattants détiennent le barrage de Tabqa, qui est la plus grande centrale hydroélectrique de Syrie.

Les forces loyalistes, avec le soutien de l'armée de l'air russe, se sont lancées dans une lutte brutale pour reprendre la cité antique de Palmyre des mains de l'EI. Certains groupes de surveillance se sont faits l'écho d'une possible utilisation d'armes chimiques dans une zone contrôlée par le groupe, au nord-ouest de Palmyre. Suite à cette annonce, l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques a exprimé sa « vive préoccupation ».

Malgré tout, libérer Palmyre de l'EI pour la deuxième fois serait un objectif relativement simple à atteindre, sous une condition, selon Stephens : « Si les Russes décident que Palmyre est une priorité ».


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