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Evolution

Os pénien : pourquoi les humains ont perdu cet outil de compétition sexuelle

Un os dans le pénis ? Pour les primates mâles, cet os flottant est un atout compétitif, suggère une étude britannique. Il serait devenu superflu chez les humains dont les femelles pratiquent la monogamie. Explications.

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De toutes les tailles et formes! Os péniens d'ours, collection Armand de Montlezun, Museum de Toulouse.

Des os péniens d'ours, de la collection du Muséum de Toulouse.

Didier Descouens

Sur un plan évolutif et sexuel, l’os pénien, est-il un plus ou un moins ? Et pourquoi les hommes en sont-ils dépourvus contrairement à la majorité des autres primates ?  Matilda Brindle et Christopher Opie, du département d’anthropologie de l’University College de Londres (Royaume-Uni), sont partis à la recherche de l’os pénien (lire l’encadré) “manquant” des humains… dans un article des Proceedings of the Royal Society B. Ils ont essayé de comprendre comment le baculum — son nom scientifique (lire l’encadré) — s’est développé chez les mammifères en étudiant sa distribution chez les différentes espèces et leurs descendances. Selon leur analyse et selon l’arbre phylogénétique, l’os pénien est apparu après la séparation des mammifères placentaires et non placentaires et avant celle des primates et des carnivores, soit entre -145 millions d’années et -95 millions d’années. Et si l’ancêtre commun aux primates et aux carnivores en était doté, cela signifie que toutes les espèces de ces groupes dépourvues d’os pénien — comme les humains — l’ont bel et bien perdu au cours de l'évolution. Mais au fait, à quoi ça sert un os flottant (lire encadré) dans le pénis ? C’est la deuxième question à laquelle ont tenté de répondre les chercheurs britanniques. Trois théories étaient en compétition : selon la première, il sert à stimuler les femelles et à déclencher l’ovulation chez les — comme les chats domestiques — où elle n’est provoquée que par l’accouplement. Une autre hypothèse veut que le baculum serve à faciliter l’introduction du pénis dans le vagin.

Os péniens d'ours. Collection Armand de Montbazon, Museum de Toulouse. Crédit : Didier Descouens.

 

Troisième et dernière hypothèse, il aiderait à prolonger l'intromission, c'est-à-dire la pénétration vaginale. “Loin d'être une  façon simple de passer un bon après-midi, prolonger l'intromission est un moyen pour un mâle d'empêcher une femme de se défiler et de s'accoupler avec quelqu'un d'autre avant que son sperme ait eu la possibilité d'atteindre son but ”, explique Matilda Brindle. Un avantage dans les sociétés polygynes, où quelques mâles s’accouplent avec de multiples femelles mais où ces dernières peuvent être sollicitées par plusieurs de ces cadors. Résultat ? “Nous avons constaté que, tout au cours de l'évolution des primates, avoir un baculum était lié à des durées d'intromission plus longues, c’est-à-dire supérieures à trois minutes. De plus, les mâles d'espèces de primates ayant des durées d'intromission plus longues ont tendance à avoir des os péniens plus longs que ceux d'espèces où l'intromission est courte.” (Voir chiffres ci-dessous).

Longueur d'os pénien et durée de pénétration
Homme, grand singe de 68 kg en moyenne, pas d'os pénien, durée de la pénétration : < 2minutes.
Chimpanzé, grand singe de 58 kg, os pénien de 7mm, durée de la pénétration : 7 secondes.
Bonobos, grand singe de 56 kg, os pénien de 8 mm, durée de la pénétration : 15 secondes.
Aye-aye, lémurien de 3 kg, os pénien de 28 mm, durée de la pénétration : 62 minutes.
Macaque à face rouge, singe à queue de 10,5 kg, os pénien de 53,1 mm, durée de la pénétration > 3 minutes.

Accouplement de babouins. Crédit : Michel & Christine Denis-Huot / Biosphoto

“Une autre découverte intéressante est que les mâles d’espèces confrontées à des niveaux élevés de concurrence sexuelle pour les femelles ont des baculums plus longs que ceux qui sont moins soumis à cette rivalité”, explique Christopher Opie. C'est le cas des espèces dont la période de reproduction est limitée à une saison dans l’année, comme chez la majorité des singes. Lors de ces périodes d’intense activité, le baculum jouerait une rôle protecteur de l’urêtre chez les mâles tout en permettant des accouplements de plus longue durée, augmentant les chances de féconder la partenaire..

Os pénien : et l'homme dans tout ça ?

Et les hommes dans tout cela ? Si l’os du pénis est si important dans la compétition pour un partenaire et la prolongation de la copulation, alors pourquoi les mâles humains en sont-ils dépourvus ? “La réponse courte à cela est que les humains ne font pas tout à fait dans la catégorie “intromission prolongée”,  expliquent les chercheurs : selon eux, la durée moyenne entre la pénétration et l'éjaculation chez l’homme serait inférieure à deux minutes (hors préliminaires). De surcroît, “les mâles humains (en général) ont une compétition sexuelle minimale car les femmes ont tendance à n’avoir qu’un seul partenaire sexuel à la fois. Les humains auraient donc perdu leur os pénien lorsque la monogamie s’est imposée. "Peut-être que c’est l’adoption de ce modèle d’accouplement, en plus de la courte durée d’intromission, qui a conduit à la perte de l’os pénien", explique Matilda Brindle. Les chercheurs n’ont pu dire en revanche quand cette disparition avait eu lieu dans l’histoire de nos ancêtres. “Nous savons que les chimpanzés et les bonobos, nos parents les plus proches, ont de petits baculums et il est probable que l'ancêtre le plus récent que nous partageons avec eux, qui vivait il y a 6 à 8 millions d’années, en avait un aussi.” Aucun baculum d’ancien hominidé n’a été retrouvé, mais cela pourrait être dû à la petite taille de l’os flottant. En revanche, une étude à paraître suggère que les australopithèques, entre -5 et -3 millions d’années vivaient également en société polygames. La perte de l’os pénien serait donc intervenue plus tardivement.

L'os pénien, un produit étrange et merveilleux de l’évolution.
"L’un des produits les plus étranges et merveilleux de l’évolution", selon Matilda Brindle. L’os du pénis ou baculum (son nom scientifique (du latin baculum, bâton) est un os extra-squelettique, ce qui signifie qu'il n'est pas attaché au reste du squelette "mais flotte plutôt délicatement à l'extrémité du pénis", explique l'anthropologue dans The Conversation. Selon l'animal, il peut mesurer un millimètre à près d'un mètre de long, être taillé comme une aiguille ou comme la dent d’une fourche. L’os pénien des morses atteint 60 cm, un sixième de leur longueur corporelle, alors que celui du maki catta, un lémurien à la queue annelée, atteint 1 cm, soit 1/40 de la longueur de son corps.

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