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Art

Au-dessus du plus grand camp de réfugiés du monde

Le photographe Brendan Bannon a survolé Dabaab, au Kenya, et expose ses images au MoMA, à New York.
October, 2011. Brendan Bannon/IOM/UNHCR

À Dabaab, à l’est du Kenya, s’étend ce qu’on appelle tristement le plus grand camp de réfugiés du monde. Accueillant entre 300 000 et 500 000 déplacés — essentiellement des Somaliens et des Sud-Soudanais —, il fonctionne comme une immense ville. Alors que sa fermeture annoncée par le gouvernement kenyan en mai dernier — qui avait pris de court l’ONU et les ONG — a finalement été repoussée, le MoMA de New York expose les images prises par le photojournaliste américain Brendan Bannon dans le cadre de l’exposition « Insecurities: Tracing Displacement and Shelter ».

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Ayant grandi avec les récits de sa mère fuyant les purges de Staline en Ukraine, Bannon est personnellement sensible à la cause des réfugiés. Il se rend en Afrique pour la première fois en 2006, dans le cadre d’une mission auprès d’enfants infectés par le VIH et/ou atteints du sida en Ouganda. Il est alors engagé par l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) pour photographier une inondation qui avait ravagé le camp.

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Dabaab, Kenya, octobre 2011 © Brendan Bannon / IOM / UNHCR

« C’était censé être une mission d’une journée », raconte le photographe à The Creators Project, « un aller-retour depuis Nairobi mais la situation s’est aggravée et j’ai décidé de rester et de couvrir l’événement. » Bannon retourne au camp en 2011, suite à de nouveaux flux de réfugiés. Il collabore alors avec l’UNHCR, Médecins Sans Frontières (MSF) et l’Organisation internationale pour les migrations (IOM) pour « raconter l’histoire de ces gens qui arrivaient par milliers. »

Pendant sa mission, il se retrouve un jour dans un petit avion qui survole la plaine aride de Dabaab. « Le camp est si vaste que c’est difficile d’en saisir l’échelle », explique-t-il. « Même dans les photos que j’ai faites on peine à réaliser à quel point c’est immense. » À ce moment-là, il y a cinq campements principaux et quelque 500 000 réfugiés. Si Bannon n’a pu capturer qu’une ou deux de ces sections, ses images offrent néanmoins un point de vue unique.

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Dabaab, Kenya, octobre 2011 © Brendan Bannon / IOM / UNHCR

« On a une idée de l’échelle de l’endroit : c’est tentaculaire, une série de villes interconnectées, mises en place et habitées par des milliers de réfugiés depuis au moins 25 ans », continue Bannon. « J’aime voir les chemins résultants des déplacements des gens quand je survole le camp. C’est incroyable de voir comment l’espace est habité et organisé. Ces marques dans le sable laissées au fur et à mesure des générations est une empreinte de l’histoire. »

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« Une chose que montre ces images aériennes c’est l’organisation et la longévité des lieux. Être au sol avec les gens permet de comprendre les histoires individuelles et il y a des centaines de milliers d’histoires individuelles dans un endroit comme Dabaab. » C’est un travail que Bannon a d’ailleurs essayé d’accomplir dans une autre série de photos, prises à la même période : les portraits serrés et scènes de vie contrastent avec le spectacle détaché du camp vu de haut.

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Dabaab, Kenya, octobre 2011 © Brendan Bannon / IOM / UNHCR

Même ces dernières images donnent aperçu infime d’une réalité infiniment complexe. « Le plus gros défi dans le récit de l’histoire de ces gens c’est que vous les rencontrez au pire moment de leur vie », dit encore Bannon. « Vous avez très peu de temps pour vous plonger dans l’histoire de qui il était avant la crise et encore moins pour prendre toute la mesure de ce qu’ils sont en train de vivre. Les gens peuvent donc le vivre comme une trahison, de demander la confiance de quelqu’un puis être capable de seulement raconter une infime partie de ce qu’ils ont partagé. »

L’incapacité à changer les choses est aussi frustrante et décevante », ajoute Bannon. « J’essaie toujours de me dire que le plus important dans le reportage c’est d’écouter, vraiment écouter ce qu’on vous dit. Si vous n’êtes pas vraiment présent, vous n’avez rien à faire là. » Malgré ses limites, le travail de Bannon et de ses confrères exposés au MoMA permettent de mieux appréhender l’ampleur de ces situations et font partie des rares sources d’information.

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Dabaab, Kenya, octobre 2011 © Brendan Bannon / IOM / UNHCR

« Toute exposition, image, poème, filme, interview, article qui traite de la crise des réfugiés en tant que situation humaine et pluri-dimensionnelle est important. Nous vivons à une époque où les propos sérieux et même la compassion sont banalisés. Une exposition comme celle du MoMA permet d’élever le débat et d’apporter des connaissances et des réflexions pour que l’on comprenne et réagisse en toute connaissance de fait et avec intelligence. »

Et que pense le photographe des conséquences de la banalisation de la crise des réfugiés ? « En ce moment, il semble y avoir peu de compréhension envers les réfugiés aux États-Unis », répond-il. « C’est précisément en raison d’une ignorance écrasante de la réalité des réfugiés qu’ils sont traités comme des pions, des boucs émissaires ou épouvantails par les politiques et pendant les élections. Réfugiés, migrants, demandeurs d’asile : tous sont mis dans le même sac par les politiciens et la presse. Quand il y a une absence de compréhension élémentaire, c’est incroyablement facile de manipuler l’émotion des gens. »

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Dabaab, Kenya, octobre 2011 © Brendan Bannon / IOM / UNHCR

« Quand les gens entendent des histoires individuelles, ils font souvent preuve d’empathie », conclut-il. « Avant les élections, j’ai souvent observé des réactions d’empathie aux tragédies des réfugiés. Maintenant, c’est plus tendu. C’est terrible qu’il y ait autant de craintes autour de gens qui ont déjà tant perdu. Ces réfugiés sont des victimes, pas des coupables. »

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Dabaab, Kenya, octobre 2011 © Brendan Bannon / IOM / UNHCR

Vous pouvez retrouver les images de Brendan Bannon dans l’exposition « Insecurities: Tracing Displacement and Shelter » au MoMA, à New York, jusqu’au 22 janvier 2017, ou sur son site.