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Jane Mayer : «Notre démocratie se transforme en oligarchie»

Pour Jane Mayer, journaliste au «New Yorker», Trump ne pourra pas faire grand-chose sans l’aval des super-riches, tout-puissants au Congrès.
par Guillaume Gendron
publié le 21 décembre 2016 à 19h56

Journaliste au New Yorker, Jane Mayer enquête depuis la fin des années 2000 sur le «Koch Network», malgré les pressions et filatures des détectives privés. Dans Dark Money, publié en janvier et sous-titré «l'histoire cachée des milliardaires derrière la montée de la droite radicale», elle décrit ce qu'elle appelle «le détournement de la démocratie américaine par les ploutocrates».

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Selon Trump, sa richesse lui permet de s’affranchir de Wall Street. Mais, pour gouverner, il s’entoure d’anciens de Goldman Sachs et d’hommes liés aux Koch…

Pendant la campagne, Trump a fait de son inexpérience une vertu. Mais une fois élu, il a été pris au dépourvu pour former un gouvernement. Il s’est donc fié à son entourage, en particulier à Mike Pence, son vice-président au pedigree bien plus conventionnel et conservateur. Et il n’y a pas de politicien plus proche des Koch que Pence. Charles Koch voulait qu’il se présente en 2012, mais Pence a refusé. Logiquement, Pence a servi de pont entre Trump et les Koch et, de manière générale, avec l’establishment de droite. Par ailleurs, l’une des qualités que Trump respecte le plus est l’opulence. Il s’est logiquement tourné vers des républicains fortunés, dont plusieurs font partie du cercle de donateurs secrets des Koch. A l’instar de Betsy DeVos, la future secrétaire à l’Education, qui fait partie d’une famille de milliardaires de droite, alliée de longue date aux Koch…

A quel point l’appui de la famille Mercer a-t-il été décisif ?

Trump leur doit énormément, et pas seulement pour leur soutien financier. Ils ont grandement contribué au développement de Breitbart, le site qui a le plus poussé sa candidature. Ils font aussi partie des propriétaires de Cambridge Analytica, la compagnie informatique dont le data mining a propulsé sa campagne. Enfin, il semblerait que Rebekah Mercer soit responsable de l'embauche de Stephen Bannon et Kellyanne Conway, le duo de conseillers au rôle crucial dans sa victoire.

Qu’attendent-ils en retour ?

Les Mercer sont muets sur leurs intentions, ils ne donnent pas d'interview [à la différence des Koch, ndlr]. Ceux qui les connaissent disent qu'ils sont des partisans idéologiques du libre-échange et rêvent de réduire drastiquement la place du gouvernement. Ils sont climatosceptiques et vont probablement pousser Trump à sortir de l'accord de Paris. Ils s'opposent aux restrictions sur les institutions financières, notamment sur les hedge funds - lesquels ont fait leur fortune.

Les Koch ont-ils perdu de leur influence en refusant de soutenir Trump ?

Même s’ils ne sont pas rangés derrière Trump, les Koch ont énormément de leviers, tant leur influence sur les républicains élus au Congrès est grande. Trump ne pourra pas faire grand-chose sans leur aval, et la plupart des conservateurs qui siègent à Washington doivent leur poste à leur cash.

Quel a été l’impact de la décision de la Cour suprême en réponse à une plainte de Citizens United, financé par les Koch et les Mercer ?

Cette décision, en 2010, et les décrets qui en ont découlé, a grosso modo autorisé les Américains les plus fortunés à dépenser autant qu’ils le souhaitent durant les élections. Il reste quelques restrictions mineures, comme une feuille de vigne sur une vérité déplaisante : le fait que notre démocratie se transforme en oligarchie.

Le résultat de l’élection semble néanmoins indiquer un rejet des superdonateurs…

La bonne nouvelle est que les candidats des ploutocrates des deux bords ont perdu cette élection. Bernie Sanders à gauche et Trump à droite ont réussi à aller très loin en dépeignant les autres candidats en «pantins» des ultra-riches et en qualifiant le système de «truqué». Il y a donc une prise de conscience de la majorité, qui ne supporte plus qu'une minorité achète les élections. La mauvaise nouvelle est qu'au final, un milliardaire autoproclamé a été élu après avoir investi 66 millions de dollars de sa poche. Difficile d'y voir la fin de la corruption ou un triomphe des classes défavorisées…

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