Billet

Aux Etats-Unis comme en France, le populisme contre le peuple

par Laurent Joffrin, Directeur de la rédaction
publié le 22 décembre 2016 à 18h16

On savait depuis longtemps que ce qu'on appelle indûment «le populisme» (et qu'il faudrait nommer «nationalisme» ou «démagogie») ressortissait de l'escroquerie intellectuelle. L'actualité récente, aux Etats-Unis, mais aussi en France, en apporte une nouvelle preuve éclatante. Les nominations gouvernementales décidées par Donald Trump et les orientations qu'elles traduisent en offrent l'exemple le plus spectaculaire. La droite intellectuelle française, et aussi un journal en principe progressiste comme Marianne, ont présenté sa victoire comme une revanche «du peuple contre les élites». L'analyse du scrutin montre en réalité tout autre chose. Outre que «le peuple» a voté en majorité pour Hillary Clinton (plus de 2,8 millions de voix d'avance pour la candidate démocrate), la composition sociologique de l'électorat Trump n'est guère plus populaire que celui de Clinton. A moins de considérer, évidemment, que les Afro-Américains ou les Latino-Américains ne font pas partie du peuple…

Mais c’est surtout l’équipe mise en place par le futur président qui révèle l’imposture. Jamais un gouvernement américain n’a compté autant de milliardaires, ni autant de ministres et de conseillers liés aux milieux financiers. A l’inverse de sa rhétorique de campagne, Trump symbolise désormais la revanche de Wall Street sur Main Street, avec un programme de dérégulation sociale et financière qui consacrera la victoire du capitalisme le plus arrogant sur la masse des salariés américains.

La rhétorique anti-élites apparaît ainsi pour ce qu'elle est : une ruse grossière qui capte une partie du suffrage populaire grâce à un discours xénophobe, pour mener ensuite une politique inégalitaire conforme aux intérêts des vraies élites du pays, qui ne sont pas «les libéraux new-yorkais» ou «l'establishment démocrate», mais les détenteurs du capital qui soutiennent depuis toujours le Parti républicain. Moderato cantabile, la même mécanique s'est déployée pendant la primaire de la droite française. En dénonçant la «droite bobo» prétendument incarnée par Alain Juppé, les sarkozystes et la droite intellectuelle dure, telle qu'on la retrouve au journal Causeur ou à Valeurs Actuelles, ont ouvert la voie, non à Nicolas Sarkozy, qui comptait gagner en allant «au peuple», mais à François Fillon, candidat de la bourgeoisie traditionnelle, dont le programme reproduit à peu de chose près celui du Medef. Ainsi l'obsession «anti-bobos», qu'on lit malheureusement sous des plumes aussi distinguées que celle de Jacques Julliard, éditorialiste à Marianne, ou chez certains sociologues venus de la gauche, comme Christophe Guilluy ou Jean-Pierre Le Goff, repose sur un mensonge sociologique.

Les  «bobos» (catégorie journalistique qui n'a rien de scientifique), à qui on prête un rôle dominant dans la société, sont en fait pour la plupart des membres des classes moyennes diplômées. Le vrai pouvoir social et économique reste là où il a toujours été : dans la bourgeoisie de patrimoine et d'entreprise. Dans les XVIe et le VIIIe arrondissements de Paris, et non dans le Xe. Ce qu'on attaque en fait chez les «bobos», ce n'est pas leur opulence supposée ou leur pouvoir tout relatif, mais leurs idées progressistes. Ce faisant, ces intellectuels ou ces publicistes se font les idiots utiles - ou les intelligents très conscients - de la droite la plus réactionnaire. Au nom «du peuple», on prépare la voie au capitalisme le plus traditionnel, ou bien à un clan d'extrême droite au patrimoine confortable, qui a hérité de son parti comme les notables héritent d'une gentilhommière. Ce qui confirme l'hypothèse initiale. Le populisme a surtout pour fonction de tromper le peuple.

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