Comment Pornhub veut utiliser la musique pour conquérir le grand public

A l'instar du rappeur queer Mykki Blanco récemment, le site de vidéos porno tente d'attirer des musiciens sur sa plateforme, en produisant leurs clips. Objectif : gagner en audience et en respectabilité, pour s'attirer de nombreux abonnés.

Par Jean-Baptiste Roch

Publié le 23 décembre 2016 à 14h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 03h28

A Noël, quoi de mieux qu’un clip de musique entre deux plats, pour faire descendre la dinde aux marrons et détendre l'atmosphère ? Et peu importe si cette vidéo provient de Pornhub. Vous ne le soupçonniez peut-être pas, mais entre les tags fleuris du site de streaming vidéo pornographique se nichent deux rubriques intitulées « Pornhub Records » et « Music », qui pourraient vous permettre de divertir votre tablée sans (trop) passer pour un pervers. Il faut certes fouiller un peu au milieu de contenus divers et variés, mais on finit par y trouver l'impensable : quelques clips musicaux décents.

Rien d’étonnant à cela : depuis 2014, le site de partage de vidéos pour adultes dispose de son propre label de musique, Pornhub Records. La structure, née à la suite d'un appel à contributions pour composer l'hymne du site (remporté par un certain Jordan Royale), permet aujourd'hui à Pornhub de financer des vidéos pour n'importe quel artiste. C’est le cas récemment de Loner, dernier single du rappeur queer Mykki Blanko. La vidéo a été produite par Pornhub et une marque de prêt-à-porter, puis publiée simultanément sur la plateforme et d'autres services de streaming vidéo, le 22 novembre dernier.

D’autres avaient déjà tenté la même expérience : en 2015, le rappeur Waka Flocka Flame y avait publié son clip Bust, produit en partenariat avec le site pour adulte, qui propose aussi un rôle de simple hébergeur. On y trouve des noms aussi variés que le groupe de metal allemand Rammstein (en 2009), le groupe de rock expérimental californien Xiu Xiu ou le DJ FaltyDL. A première vue, l’intérêt paraît évident : Pornhub attire environ 60 millions de visiteurs uniques par jour. Une audience potentiellement massive, sur un site où le temps passé par les internautes avoisine les 9 minutes (chiffres Pornhub 2015). Dans les faits toutefois, l'impact reste modeste : un mois après sa publication, la vidéo de Loner a été vue 18 300 fois sur Pornhub, contre 288 000 fois sur YouTube.

Si ces artistes ont choisi Pornhub, c'est pour d'autres raisons que l'audience pure : dans la majorité des cas (Rammstein avec Pussy, Xiu Xiu avec Black Dick, Waka Flocka Flame avec Bust et DJ FaltyDL), le site leur offre le moyen de diffuser une version non censurée (et souvent porno) de leur clip, introuvable sur YouTube. Sauf pour Mykki Blanco. Dans sa vidéo, aucun acte sexuel, même suggéré. Son choix peut être interprété de manière plus politique : sur fond de textes sur la solitude amoureuse, on y voit le rappeur déguisé de manière extravagante, en drag queen et d'autres personnages plus énigmatiques ou fantasques...

Mykki Blanco sait d’expérience que son esthétique queer, associée à son image revendicative de rappeur gay, séropositif, et militant de la cause LGBT, choque énormément (Henri Guaino s’en souvient). L’actualité récente lui a donné raison : publié le 22 novembre également sur YouTube, son clip a momentanément disparu quelques jours plus tard de la plateforme, sous l’effet des notifications de nombreux utilisateurs pour « contenu potentiellement offensant ». Avant de réapparaître sous le label « interdit au moins de 18 ans ».

“L’imagerie queer que dépeint ma vidéo est perçue comme une apologie, passible d’une interdiction pour un public désigné comme ‘sensible’.” Mykki Blanco

Pour le rappeur, qui s’est exprimé dans la foulée, même si son clip est de nouveau accessible, le mal est fait : « Cela envoie un message clairement homophobe. L’imagerie queer que dépeint ma vidéo est perçue comme une apologie, passible d’une interdiction pour un public désigné comme “sensible”. Alors que bien d’autres vidéos, à l’imagerie hypersexualisée et hétéronormée, où les femmes sont souvent réduites à l’état d’objet, sont universellement désignées comme “appropriées” et donc librement visionnables. » Freddie Mercury dans le clip d’I want to break free n’a effectivement pas connu pareil destin. Et si l'on considère un clip comme Anaconda de Nicki Minaj, difficile de donner tort à Mykki Blanco.

Pornhub deviendrait-il un espace de liberté pour des musiciens estampillés subversifs ? Pas sûr. Hormis ceux mentionnés jusqu'ici, ils sont rares – voire inexistants – à solliciter les services de Pornhub. Mais un cas comme celui de Mykki Blanco fait clairement le jeu du « Netflix du porno » – son surnom aux Etats-Unis –, bien décidé à s’acheter une « virginité » auprès du grand public pour nourrir ses visées expansionnistes. Dans The Guardian, Corey Price, le patron de Pornhub, confiait récemment : « Le plus important dans tout cela, c’est que ces musiciens deviennent membres de notre famille, et alimentent le débat en cours autour de la sexualité et de sa présence dans la société. » 

A cet égard, la pub vidéo lancée sur le Net avant Noël est un sommet. Elle suggère, de manière totalement soft et à l’égal de n’importe quel autre service (livraison, banque, poste…), qu'un abonnement premium à Pornhub apportera de la féérie dans tous les foyers pendant les fêtes de fin d'année. Alors grand-mère, on s’abonne?

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