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Quand la chasse au renard devient une « fête »

La Fédération des chasseurs du Nord appelle à chasser le goupil les 22 et 23 février. Les associations de protection de la nature dénoncent une « tuerie ».Elles ont manifesté samedi 15 février à Lille.

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Publié le 15 février 2014 à 11h22, modifié le 16 février 2014 à 09h20

Temps de Lecture 5 min.

Un couple de renards en Mayenne.

La Fédération des chasseurs du Nord n'avait pas imaginé que ses « Ch'tis Fox Days » prévus les 22 et 23 février déclencheraient une telle tempête : manifestation à Lille, samedi 15 février, pétition sur le site internet Mes Opinions.com ayant recueilli près de 38 000 signatures... En clair, cette opération de « régulation » des populations de goupils au titre un brin country met le département du Nord en émoi.

« Ce n'est qu'un appel à chasser. Nous faisons cette opération tous les ans. Cela n'a rien d'obligatoire », essaie-t-on de tempérer à l'accueil de la fédération, visiblement dépassée par le flot des réactions. Cette opération existe en effet depuis plusieurs années, mais elle n'avait jusqu'à présent fait l'objet d'aucune campagne de communication. Cette fois-ci, l'affiche mettant en scène toutes les forces appelées à intervenir sur le terrain – chasseurs, déterreurs, piégeurs et lieutenants de louveterie – a alerté les associations de protection de la nature.

« PUR LOISIR »

« Une tuerie inadmissible se prépare, sans aucune justification sanitaire ou scientifique, par simple plaisir, par pur loisir », condamne Madline Reynaud, directrice de l'ASPAS (Association pour la protection des animaux sauvages), à l'origine de la mobilisation. Selon elle, les « Ch'tis Fox Days » visent aussi à mettre à l'abri le gibier d'élevage, devenu une proie facile pour les renards.

Alertée, la préfecture du Nord s'est empressée de mettre les choses au point : « Les “Ch'tis Fox Days” sont une initiative sous l'entière responsabilité de la Fédération des chasseurs du Nord, de l'Association des piégeurs agréés et de l'Association des déterreurs du Nord. Cet événement ne déroge en rien à la règlementation générale et n'est soumis à aucune autorisation spécifique. »

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Ceci dit, Dominique Bur, préfet de région Nord - Pas-de-Calais, « ne cautionne pas cette opération et son caractère festif »« Ils n'ont pas mon aval, je le leur ai dit et je veillerai à l'application stricte des règles en particulier pour les tirs de nuit », déclare-t-il. M. Bur est d'autant plus contrarié que les chasseurs ont enrôlé dans leur expédition les lieutenants de louveterie, qui sont des agents assermentés nommés par la préfecture.

ANIMAL « NUISIBLE »

Le renard est une espèce dont la chasse est autorisée par arrêté ministériel du 26 juin 1987. Il est par ailleurs considéré comme un animal « nuisible » par un arrêté ministériel du 2 août 2012. A ce double titre, il peut être tué quasiment toute l'année et les « Ch'tis Fox Days » ne peuvent être contestés du point de vue de leur légalité. Mais entre des prélèvements ponctuels et l'opération commando qui semble se préparer, il y a une différence.  

« Nous n'appelons pas au massacre. C'est une opération de régulation nécessaire pour trouver un équilibre entre les populations de gibiers et les prédateurs qui font des dégâts », plaide Quentin Lecoeuvre, porte-parole des chasseurs. Sur quels critères, à partir de quelles données la « régulation » des populations de renards dans le Nord se justifie-t-elle ?

C'est sur ce terrain que les associations, qui dénient au canidé son statut de « nuisible », entendent porter le débat. « Scientifiquement, “nuisible” cela ne veut rien dire. C'est simplement une définition administrative qui autorise la destruction de l'animal. Le renard est un animal utile qui se nourrit de campagnols qui abîment les cultures », déplore Denis-Richard Blackbourn, docteur en écoéthologie à l'université Paris-V, rattaché au Muséum national d'histoire naturelle.

Pour être classé « nuisible », l'animal doit soit porter atteinte à la santé publique, soit mettre en danger d'autres espèces de la faune ou encore provoquer des dégâts économiques. Il faut aussi qu'il soit présent de « manière significative » dans le département. Le classement est, depuis 2012, décidé par le ministère de l'écologie sur recommandation de la préfecture. Cette dernière est censée appuyer sa décision sur l'avis que lui remet un groupe de travail de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage, composée de représentants du monde de la chasse et des agriculteurs, des membres d'association de protection de la nature et des personnalités scientifiques.

« Dans le département du Nord, comme d'ailleurs dans le reste de la France, l'argument sanitaire ne peut être avancé, explique Jean-Marie Gourreau, vétérinaire et membre du Comité national de la protection de la nature, qui a participé à la manifestation contre les chasseurs. La rage a été éradiquée. S'agissant de l'échinococcose alvéolaire, une maladie mortelle, il est vrai, seuls trois ou quatre cas ont été recensés, il y a des lustres, et il a été démontré que le renard n'est pas plus porteur que le chien ou le chat. »

5 300 RENARDS PIÉGÉS

Pour évaluer si l'espèce est présente de « manière significative », voire trop nombreuse, et si des dégâts importants existent, le groupe de travail chargé de fournir un avis à la préfecture se fonde sur les données de captures fournies par l'association des piégeurs et sur les déclarations de sinistres des particuliers. En 2012, 5 300 renards avaient été piégés, un chiffre comparable à celui des cinq années précédentes mais en forte augmentation par rapport aux chiffres observés depuis le début de la décennie. Cette forte augmentation traduit-elle une présence plus marquée du prédateur dans le département ou la plus forte mobilisation des chasseurs ? Impossible de trancher.

La même année, 120 sinistres ont été déclarés pour un montant de 23 300 euros. Mais, fait remarquer Alain Ward, vice-président du Groupe ornithologique et naturaliste du Nord et du Pas-de-Calais, « sans que ces déclarations aient été vérifiées pour savoir si les poules avaient été attaquées par un renard ou par le chien du voisin ». M. Ward, qui fait partie du groupe de travail, rappelle ainsi qu'aucun consensus n'avait pu être dégagé entre les représentants des chasseurs et des agriculteurs d'un côté et les représentants du monde de la « nature ». Aucun avis favorable à un classement en animal nuisible n'avait pu être formulé. 

Les services régionaux de l'Office national de la chasse et la faune sauvage (ONCFS) reconnaissent qu'il n'existe aucun suivi des populations de renard dans le département qui permettrait d'évaluer leur densité. « Bien que nous puissions dire que l'espèce se porte bien et qu'elle est plutôt en augmentation, nos méthodes de comptage restent approximatives et il n'existe pas de données objectives pour évaluer la population de renards et dire qu'il y a surpopulation », précise Bertrand Warnez du service départemental du Nord, en soulignant qu'il mobilisera une équipe d'une dizaine d'agents les 22 et 23 février pour s'assurer que les adeptes des « Ch'tis Fox Days » respecteront bien la règlementation.

PAS DE DONNÉES OBJECTIVES

Sandrine Ruette, chef de projet sur le renard à l'ONCFS, confirme qu'il existe une méconnaissance du nombre de renards à l'échelle nationale et que, dans le Nord, aucune enquête de suivi n'a été menée depuis dix ans. « Les opérations de comptage, qui doivent surtout être réalisées la nuit, sont compliquées et on ne peut pas être partout. L'élimination de la rage a certainement profité aux populations de renards et localement il peut y avoir des densités jugées importantes, explique-t-elle. Lorsque des dégâts portant atteinte aux activités économiques se produisent, la règlementation prévoit d'autoriser des prélèvements pour éliminer les individus qui posent problème. Mais il ne s'agit pas de s'attaquer à une population. »

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