Libé des solutions

En Afrique, des aéroports en kit pour des drones de transport

Le Rwanda expérimente des mini-aéroports permettant le transport de marchandises par avion sans pilote, afin de pallier les problèmes d'infrastructures routières. Un projet que ses créateurs aspirent à étendre dans le continent.
par Sibylle Vincendon
publié le 23 décembre 2016 à 15h20

C'est l'histoire d'un type qui va voir l'architecte du plus grand aéroport du monde et lui demande : «Peux-tu me construire le plus petit ?» Et l'autre dit oui. L'architecte, c'est le britannique Norman Foster, auteur de l'aéroport de Pékin, le plus grand en effet. Le type, c'est Jonathan Ledgard, spécialiste de l'Afrique, enseignant à l'Ecole polytechnique de Lausanne, persuadé que la création de lignes de transport de marchandises par drones est primordiale dans un continent où n'existe pas un réseau routier digne de ce nom. Sauf que, les drones étant de mini-avions, il leur faut un mini-aéroport. Voici le Droneport, petite voûte sur quatre pieds, construite en assemblant des tuiles courbes de terre crue, mises au point par le cimentier Lafarge-Holcim. Pas de cuisson, pas d'arbres coupés pour chauffer les fours, pas de CO2. Une mise en œuvre locale. Et comme la matière première, c'est la terre, «vous pouvez la trouver pratiquement partout», résume Edward Schwarz, responsable de la fondation Lafarge-Holcim. Parfois, il faudra modifier un peu la recette en fonction de la composition du sol, mais n'a-t-on pas fait comme ça depuis l'Antiquité…

Un prototype du Droneport a été construit en 2016 à Venise lors de la Biennale. Démonstration convaincante mais pas suffisante. Ce dont rêve Ledgard, c'est d'un réseau de Droneports, pour y baser des lignes. «J'ai beaucoup pensé au développement du train en Europe vers 1850 et aux effets qu'ont eus les gares sur des petites villes», explique-t-il. Au fond, il s'agirait de faire des Droneports le même levier pour des endroits enclavés et difficiles à desservir en Afrique. De premières négociations sont en cours avec le Rwanda, où «le gouvernement veut financer trois Droneports. Nous sommes en train de choisir entre trois ou quatre sites». Ledgard espère bâtir le premier modèle in situ à partir de juin 2017 et avoir contribué à créer les trois d'ici 2020.

«Robots pas chers et intelligence artificielle»

Techniquement, la construction ne prend que trois ou quatre semaines, pour un budget de 300 000 euros maximum. Pas lourd. Selon que l'on bâtit sur place un ou plusieurs modules, le Droneport peut aussi abriter des centres médicaux, des marchés, des équipements. Pas plus ambitieux qu'une station-service d'autoroute, le Droneport pourrait agréger au moins autant de services. Le plus compliqué, estime Ledgard, c'est d'obtenir que la régulation suive. «Si vous pouvez prouver que le système est sûr et sécurisé, son développement pourra être considérable, assure-t-il. En 2020, l'Ethiopie, par exemple, pourrait construire deux ou trois Droneports par semaine». Localement, l'équipement peut devenir «un atout pour la communauté».

Longtemps journaliste économique basé en Afrique pour The Economist, Ledgard avait été frappé par le passage direct du Kenya de zéro téléphone au tout mobile. «Quand j'ai vu ça, je me suis demandé ce qui était important pour le développement de l'Afrique.» Réponse ? «Des robots pas chers et de l'intelligence artificielle. Cela peut paraître étrange car l'Afrique a des taux de chômage très élevés. Mais je défends l'idée que dans un pays pauvre, sans industrie, les robots peuvent se révéler utiles.» Et le drone «est un robot pas cher», qui a quand même besoin d'un port d'attache. D'où la demande de Ledgard à Foster. «Le Droneport est une petite pièce d'un méga projet», résume-t-il.

Si un réseau de ces aérogares adaptées parvenait à se développer en Afrique, son promoteur est bien conscient qu'il intéresserait rapidement des géants du business comme Amazon ou Alibaba. Mais même si, lui, se dit motivé par des «valeurs civiques et sociales», il ne peut qu'espérer que l'Afrique développera «une économie qui ira vers le collaboratif». Autour du prototype du Droneport, en tout cas, c'est un mélange de valeurs et d'un incroyable professionnalisme qui s'est cristallisé. Chez Lafarge, la fondation a financièrement soutenu le projet mais les ingénieurs ont travaillé la Durabric, leur produit de terre crue destiné à l'habitat abordable, pour en faire la tuile qu'il fallait. Le bureau d'études Ochsendorf, DeJong & Block, l'institut technologique de Zurich ont, eux, mis au point un «kit» permettant la mise en œuvre locale. Enfin, Carlos Martin Jiménez, maçon espagnol spécialiste des voûtes, descendant de générations d'artisans, est venu à Venise pour monter le prototype. Il a constitué son équipe de briqueteurs avec des étudiants de l'école d'architecture de Madrid, plus familiers des écrans que des truelles. Ils y sont parvenus. Signe que les artisans du Rwanda n'auront pas trop de difficultés.

Lire aussi le hors-série de «AA», The Droneport project (bilingue).

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus